Mali : Coup d’état militaire aussi classique que bête

samedi 24 mars 2012.
 

2) Le Nord du Mali, 
zone instable et convoitée

Le potentiel pétrolier et minier du nord du Mali n’est pas étranger à l’instabilité chronique régnant dans cette zone. 
La guerre en Libye y a aggravé les facteurs de la crise.

La guerre qui embrase depuis le 17 janvier le nord du pays a eu raison, la semaine dernière, de l’imparfaite et fragile démocratie malienne. La crise n’a pourtant pas commencé avec l’entrée en scène d’une nouvelle rébellion touareg emmenée par les indépendantistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Depuis de longues années, la périphérie désertique du pays fait figure de « zone grise » échappant au contrôle de l’État, que sillonnent les groupes islamiques armés se réclamant d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Ces vastes contrées, traditionnellement propices à la contrebande, ont aussi fait figure, ces dernières années, d’eldorado pour les narcotraficants latino-américains à la recherche de nouvelles routes de la cocaïne.

Une zone échappant au contrôle de l’État

Accusé de ne pas s’engager assez fermement dans la lutte contre Aqmi et son juteux commerce d’otages, le président Amadou Toumani Touré se justifiait en ces termes, le 8 octobre 2010, dans un entretien à l’Humanité  : « Demander à notre armée de contrôler toute cette zone, avec ses modestes moyens, c’est lui demander l’impossible. Le Mali n’est pas opposé à l’option militaire. […] Mais cela ne suffira pas, si nous ne gagnons pas la bataille au sein de populations exposées aux contraintes et à la peur. […] Ces populations du Nord vivent dans une grande précarité. Les jeunes n’ont pas accès à l’éducation, ils n’ont pas de travail, pas d’avenir. […] Sans développement, les méthodes militaires, même généralisées, seront vouées à l’échec. »

Montée en puissance de l’exploration pétrolière

Depuis, les répliques de la guerre en Libye n’en finissent plus de déstabiliser une région sahélo-saharienne déjà fragile. Dès le 14 octobre 2011, Saïd Djinnit, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest, s’alarmait des conséquences possibles du « retour de Maliens de Libye, parmi lesquels figurent des centaines de militaires ayant servi l’ancien régime du colonel Kadhafi ». Des hommes équipés « d’armes lourdes, de missiles, de centaines de véhicules », prévenait-il. Mais l’instabilité chronique régnant dans cette zone doit aussi sans doute beaucoup aux convoitises que suscite son potentiel pétrolier et minier.

Le 6 janvier dernier, le géant pétrolier français Total signait deux nouveaux permis d’exploration pétrolière avec les autorités mauritaniennes. L’un d’entre eux concerne le bassin de Taoudéni, qui chevauche la Mauritanie, le Mali et l’Algérie. Côté malien, la prospection pétrolière, dans ce même bassin, a été confiée en novembre dernier à l’angolais Petroplus. 
L’algérien Sonatrach n’est pas en reste, via sa filiale Sipex, alliée à l’italien ENI. « Il ne faut pas oublier que notre pays est sur la même structure géologique que les pays voisins qui exploitent déjà le pétrole », exposait récemment Baba Diawara, directeur général de l’Autorité pour la promotion de la recherche pétrolière au Mali (Aurep). Autre ressource potentielle du nord du Mali, l’uranium. Dès 2009, des conventions d’exploration concernant le massif montagneux de l’Adrar des Ifoghas, au nord de Kidal, étaient conclues entre Bamako et la société australienne Oklo Uranium Limited.

Reprise du travail à Bamako. Fonctionnaires et salariés du secteur privé ont repris le travail hier à Bamako, après la paralysie née du coup d’État militaire du 22 mars. Politiquement isolée, confrontée à de nouvelles offensives des rebelles touareg, la junte militaire a appelé à l’arrêt des hostilités au nord et à l’ouverture de « négociations ». Son chef, Amadou Sanogo, a également exhorté les partis politiques réunis au sein d’un « front pour la sauvegarde de la démocratie » à « rejoindre » 
les putschistes pour « tracer le chemin le plus court de retour 
à un ordre constitutionnel ». Toujours hier, la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) se réunissait à Abidjian en sommet extraordinaire, avec à l’ordre du jour la crise malienne.

Rosa Moussaoui

1) Coup d’État militaire à Bamako

Des militaires ont annoncé, jeudi, le renversement du 
président Amadou Toumani Touré, qu’ils accusent d’« incompétence » face à la rébellion touareg embrasant le nord du pays.

En quelques heures, la mutinerie partie mercredi de Kati, ville garnison des environs de Bamako, s’est muée en coup d’État militaire. Jeudi, vers 4 heures du matin, des hommes en uniforme sont apparus à la télévision nationale, dont le siège était occupé depuis la veille. Le porte-parole des mutins, le lieutenant Amadou Konaré, a justifié ce coup de force par « l’incapacité du pouvoir » à lutter contre les rebelles touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qui ont infligé ces dernières semaines de sévères défaites à l’armée malienne, sous-équipée et peu familière des vastes contrées désertiques du nord du pays.

Dans ces régions situées au nord de la boucle du Niger, rebelles, groupes islamistes armés et autres réseaux de trafiquants tirent profit de l’instabilité créée par une crise libyenne aux allures de bombe à fragmentation. La circulation d’armes et de munitions provenant des arsenaux libyens et le retour de militaires touareg ayant servi dans l’armée de Kadhafi ont donné à la rébellion touareg une ampleur et une capacité opérationnelle jamais atteintes lors de précédents soulèvements. Au point que s’est installée, depuis le 17 janvier, une véritable guerre, dont Bamako semble avoir perdu le contrôle, à la veille de l’élection présidentielle, prévue le 29 avril.

Après que des échanges de tirs nourris ont opposé, dans la nuit de mercredi à jeudi, les bérets rouges de la garde présidentielle aux mutins, ces derniers ont pris le contrôle de la colline de Koulouba, où se trouve le palais présidentiel. Celui-ci a connu d’importants dégâts matériels, nous affirmait hier un membre du cabinet présidentiel. Lequel assurait, à la mi-journée, que le président Amadou Toumani Touré était « en sécurité dans une caserne, à Bamako », entouré de militaires restés loyaux, malgré « une situation très confuse ».

La junte militaire a dissous les institutions

La junte militaire, elle, dit s’être constituée en 
« comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État ». Elle a décrété le couvre-feu, la dissolution de « toutes les institutions » et la fermeture de toutes les frontières, terrestres et aériennes. L’aéroport de Bamako a été bouclé par des forces de police et tous les vols étaient annulés, hier, « jusqu’à nouvel ordre ». La plupart des habitants de Bamako sont restés terrés chez eux, hier, guettant les développements de cette grave crise politique. Les putschistes, « fermement condamnés par l’Union africaine et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) », ont promis de « restaurer le pouvoir » civil et de mettre en place un « gouvernement d’union nationale ». Hier, seul Oumar Mariko, du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi), seule force d’opposition représentée à l’Assemblée nationale malienne, avait répondu positivement à cet appel. Joint par téléphone, il justifiait ainsi ce choix  : « Nos militaires ont l’impression d’être sacrifiés sur l’autel d’une forme de collusion entre les autorités, les narcotrafiquants, les preneurs d’otages et les rebelles. »

Rosa Moussaoui, L’Humanité du 23 mars 2012


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message