Une vraie démocratie doit former une opinion publique éclairée

lundi 9 avril 2012.
 

Notre système démocratique traverse une crise d’efficience et de légitimité et se trouve de moins en moins apte à répondre aux grandes mutations qui bouleversent notre société. L’information, le savoir, la prise de décision de la population (cf. la Fabrique du consentement, N.Chomsky) sont confisqués par une élite qui marginalise et exclut de la vie politique environ 80% de la population, qui, de toute façon, avec la crise actuelle, a surtout tendance à vivre « le nez dans le guidon ».

En même temps, tout n’est pas négatif.
Paradoxalement, grâce à la crise, politique, économique et sociale, on assiste à une montée de l’exigence de participation de la population à la vie politique. Mais l’incapacité de notre système institutionnel à répondre à cette exigence populaire se traduit dans l’immédiat par un fort taux d’abstention aux élections qui gangrène la vie démocratique.

Aujourd’hui, deux réponses émergent de part et d’autre des diverses formations politiques  : le recours au référendum et le développement de la démocratie participative. Si ces deux réponses peuvent apparaître comme une amélioration de la vie démocratique, elles peuvent aussi en être le frein. Il faut savoir que le référendum n’est pas toujours la panacée. Surtout lorsqu’il prend le masque du plébiscite, plébiscite qui est souvent l’arme des régimes autoritaires et autocratiques, car il permet de contourner les corps intermédiaires que sont les assemblées de représentants élus par le peuple. En effet, le référendum est fondamentalement ambivalent. D’une part, il est demandé au peuple un accord sur une décision mais, d’autre part, il est aussi (et surtout) une entreprise de relégitimation de la personne qui demande le référendum. La récente proposition du candidat Sarkozy d’un référendum sur la formation des chômeurs ou sur les droits des étrangers est symptomatique de cette dimension plébiscitaire dans son sens le plus négatif.

Pour ce qui est de la démocratie participative, si elle se contente de n’être qu’un simple exercice de consultation démagogique, ce n’est pas mieux. Même si son but avoué et louable est de rapprocher les représentants du peuple des citoyens dans la prise et la mise en œuvre de décisions, la plupart du temps elle n’est qu’un outil qui permet d’obtenir un consentement sur des décisions qui seront de toute façon prises ailleurs. Cette démocratie participative, dans les formes qu’elle connaît actuellement, n’est pas un véritable exercice de la souveraineté populaire  : on demande au citoyen son avis, mais ce n’est pas lui en fin de compte qui décide. Nous entrevoyons ici comment la démocratie génère dans son fonctionnement des mécanismes profondément antidémocratiques. La représentation pouvant être une forme de dépossession de la souveraineté du peuple, un frein ou même une arme de destruction de la démocratie.

La société française, dans son histoire, a conçu la république comme devant s’exprimer par l’intermédiaire de représentants ayant une fonction délibérative et décisionnelle. L’argument utilisé en 1789 et 1793 pour défendre un tel modèle était que les délibérations prenaient du temps, qu’il fallait une certaine technique et compétence pour traiter des questions compliquées que le peuple ne possédait pas (argument utilisé par Nicolas Sarkozy lorsqu’on lui a
demandé s’il voulait aussi organiser un référendum sur le traité européen) et qu’il était compliqué d’organiser une consultation à l’échelle d’un si grand pays. L’opinion éclairée, fondée sur la délibération donc, s’est trouvée être dès l’origine le privilège des élus de la nation. L’opinion publique a été, elle, réduite au sens commun, aux affects et aux passions, qu’il s’agissait de séduire par tous les moyens de la propagande et du marketing politique pour en obtenir le consentement.

Aujourd’hui rien n’a changé. La plupart des grandes formations politiques, sous des formes diverses plus ou moins soft, dénient à la population la capacité de délibérer et de décider, confisquant ainsi le débat public sur des questions aussi fondamentales que l’économie et la transition écologique. Le présidentialisme de la Ve République et l’affaiblissement du parlementarisme qui en découle ne fait qu’accentuer cette tendance à la dévalorisation du débat public.

Or plus personne n’est dupe, la situation actuelle est devenue intenable, même quasi insurrectionnelle (ce n’est pas pour rien que certains grands patrons ont soudainement fait amende honorable en demandant à payer des impôts plus justes  !). Si nous voulons vivre dans une véritable démocratie, nous n’avons pas d’autre choix que de former une opinion publique éclairée, qui ne soit pas celle d’une élite, mais celle de la masse. Comment peut-on concevoir que des décisions politiques fondamentales qui engagent notre avenir ne requièrent pas l’accès de tous à la connaissance et à l’information  ? La démocratie du XXIe siècle ne pourra être réellement une démocratie qu’à la condition que nous nous donnions les moyens de développer une véritable culture populaire sur ces questions. Cela suppose une éducation de qualité de la jeunesse, le développement d’universités populaires, cela suppose l’accès à une information de qualité, cela suppose que cette opinion se forme dans des débats, dans des discussions où l’on échange des arguments sur la base de la raison et non des affects ou des passions. Cela suppose aussi et surtout que ces débats et ces délibérations puissent avoir pour horizon la prise de décision. D’où la nécessité de réformer les institutions de notre République et de passer à cette VIe République qui pourra enfin concrétiser les espoirs de la Révolution française.

Aline Louangvannasy


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