Lettre ouverte de Grèce à Jean-Luc Mélenchon

dimanche 29 avril 2012.
 

La gauche n’est-elle pas en train de revenir au premier rang  ?

Par Manolis Glezos, écrivain et ancien résistant grec, membre de la Syriza (coalition de la gauche radicale).

Cher camarade,

Tu es en train d’oser mettre en valeur le fait que notre force vient de nos racines qui sont le produit de plusieurs métissages. Et tu as choisi de le faire, depuis une ville qui est tout à fait exceptionnelle. Depuis un port emblématique. Depuis Marseille. Depuis la Méditerranée.

La Méditerranée. La mer qui est par excellence la mer – carrefour de peuples, de civilisations, de valeurs, de religions, d’échanges de biens, de modes de vie. « La Méditerranée hétéroclite se présente dans nos souvenirs comme une image cohérente, comme un système où tout se mélange et se recompose en une unité originale », notait dans sa préface de La Méditerranée Fernand Braudel.

De tous les ports de la Méditerranée, tu as choisi d’adresser ton discours magistral aux 120 000 citoyens, depuis Marseille. La ville aux plusieurs aspects, aux plusieurs couleurs, la ville de l’irrévérence face à toute sorte de pouvoir, la ville qui a été fondée sur l’union d’éléments différents. « Marseille a été et reste toujours une sorte d’entrepôt d’Histoire, comme d’ailleurs tous les grands ports », remarquait récemment un véritable enfant de la ville, le réalisateur franco-arménien Robert Guédiguian.

Il y a 2 600 ans, le marin phocéen Protis rencontrait lors de son voyage dans la Méditerranée à la recherche de lieux de commerce, Gyptis, la fille du roi du Lacydon. Leur mariage mit les fondements « de la plus française des villes de notre République », comme tu l’as très bien remarqué tout en soulignant que « notre chance c’est le métissage », c’est-à-dire le mélange, la communication. Ce sont justement les caractéristiques de Marseille mais également de tous ceux qui se sentent être des gens de leur terre et en même temps des citoyens du monde.

De ceux qui agissent et réfléchissent tout en ayant des horizons ouverts vers l’avenir, en essayant d’appréhender le présent des peuples, sans pour autant rester attachés aux outils d’hier, mais en essayant de façonner les outils d’aujourd’hui. De ceux qui cherchent la richesse non pas à travers les Bourses, les marchés, l’argent mondialisé ou à l’aide de soi-disant systèmes politiques représentatifs mais qui veulent donner le pouvoir au peuple pour qu’il l’exerce lui-même. Aujourd’hui que les certitudes du capitalisme sont balayées par la crise, l’exigence de démocratie directe et d’indépendance nationale acquiert une énorme actualité.

Démocratie directe pour le pouvoir réel du peuple, indépendance nationale pour que l’Europe s’affranchisse de la domination des États-Unis. Là ce sont deux questions que tu mets en valeur de façon systématique depuis Marseille, depuis la Bastille, en jetant les bases d’une véritable renaissance de la gauche, justement de celle « qui ne transige pas, qui met ses rêves assez haut pour qu’il en reste quelque chose ». Ton appel à la « révolution citoyenne » pour la création d’une « République sociale » est un pas dans la direction de la démocratie directe contre la dictature actuelle des marchés et des chiffres, de la violence et de la terreur. Un pas justement dans l’esprit de la résolution de Koryschades (« tout le pouvoir vient du peuple et est exercé par le peuple lui-même ») et de la constitution du village d’Aperathiou.

Tu as dit que la France « n’était pas une nation occidentale mais une nation universelle dont le socle se trouve dans la Méditerranée », en rejetant ainsi la paranoïa du choc des civilisations et en montrant la voie de l’émancipation de la France, de la Grèce, de l’Europe entière face aux centres de prise de décision outre-Atlantique.

Et tout cela ce n’est pas de simples slogans, prononcés au cours d’une campagne électorale. Ta campagne n’est pas faite dans des bureaux, préparée sur le papier, une campagne fondée sur deux ou trois bons mots. C’est une campagne d’inspiration mais qui fait également des propositions. Qui dénonce mais qui donne de la perspective. Une campagne de rêve et de réalisme.

Tu as réussi en l’espace de quelque mois à mettre la gauche, et pas seulement la gauche française, là où elle devait être depuis longtemps  : au premier rang dans les batailles politiques et sociales, en offrant parallèlement une perspective réelle et concrète. Tu as choisi, et ce n’est pas un hasard, de présenter l’essence de ta proposition au cours d’un discours dans la ville de la Marseillaise, la ville qui représente de la meilleure façon ce que croient les gens de gauche d’aujourd’hui  : la ville de l’ouverture et du savoir qui est venu grâce aux étrangers, aux Arabes, la ville de la composition, une porte d’entrée qui a enrichi une terre stérile. Une composition idéale pour une gauche qui insiste sur les valeurs de l’indépendance nationale, de la démocratie, de la justice sociale, et rend actuelle et nécessaire la révolution citoyenne  !

Manolis Glezos,


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