Manuel Valls, le socialiste de droite

mercredi 4 juillet 2012.
 

Le ministre de l’Intérieur est la figure la plus populaire du gouvernement. Un homme qui aime bousculer son propre camp. Peut-il faire de la gauche le parti de l’ordre ? Enquête sur le premier flic de France.

Pendant le tête-à-tête avec Claude Guéant, lors de la traditionnelle passation de pouvoirs, Manuel Valls n’a pas vraiment eu les oreilles qui sifflaient.

Le choix de son directeur de cabinet ? Rien à redire ! lui a lancé la bête noire de la gauche, dithyrambique sur le préfet Jean Daubigny. Une fois qu’il s’est installé dans son bureau, ce 17 mai, le téléphone n’a pas cessé de sonner. Et les félicitations ne venaient pas d’un seul camp.

C’est Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP, qui l’a appelé, "sincèrement heureux de sa nomination". C’est Brice Hortefeux, un autre de ses prédécesseurs Place Beauvau, qui lui a laissé un message.

Pendant ce temps, une figure de la droite pas vraiment mollassonne, Christian Estrosi, confiait : "Manuel et moi [sic], quelle différence ? On parle le même langage, mais toute sa démonstration est détruite par [la garde des Sceaux] Christiane Taubira." Même les jugements négatifs n’étaient que des demi-critiques. Observant les premiers pas du nouveau ministre, Xavier Bertrand glissait : "Valls ? C’est Sarkozy sans le son."

Ses positions droitières contestées

Quand il s’agit d’attaquer la gauche, la droite a un sujet de prédilection : la sécurité. Mais quand il s’agit de dire du bien d’un homme de gauche, la droite n’a qu’un nom à la bouche : Manuel Valls. L’un de ceux auxquels l’ancien chef de l’Etat songea le plus lorsqu’il voulut concrétiser ses rêves d’ouverture, en 2007. Aux législatives, le socialiste a fait des cartons jusque dans les villes UMP de sa circonscription.

Longtemps, à cause de ses positions "droitières", Manuel Valls a vu son ascension contestée dans son propre camp. Depuis la présidentielle, il n’est plus perçu comme le vilain petit canard de la gauche. Sur les 35 heures, la TVA sociale ou les retraites, ses propos hérissaient ses camarades.

Il assumait même pleinement la personnalisation du pouvoir, dans un registre dont les socialistes aiment à croire qu’il est réservé à la droite. Pis, il suggérait carrément de modifier l’appellation du "Parti socialiste". Le PS, tu l’aimes ou tu le quittes, lui disait alors Martine Aubry. "Les militants le détestaient, rappelle un dirigeant.

Son rôle pendant la campagne lui a redonné de la crédibilité et l’a propulsé comme un possible successeur de François Hollande." Pour les législatives, il a été le socialiste le plus demandé - il est allé soutenir plus de 20 candidats en trois semaines.

Manuel Valls est aujourd’hui le ministre le plus populaire du gouvernement, devançant parfois son chef, Jean-Marc Ayrault. Selon le baromètre BVA-Orange-France Inter-L’Express, réalisé les 21 et 22 juin, il est la première des personnalités dont les Français souhaitent qu’elle ait davantage d’influence.

Plébiscité par 71% des sympathisants de gauche (+7 points en un mois) et apprécié par la droite. Manuel Valls a une image de fermeté et il la revendique : "C’est pour cela que j’ai été nommé." En matière de sécurité, mais aussi d’immigration, la gauche doit maintenant apporter la preuve de son évolution - lui dirait qu’elle doit montrer à quel point elle est "décomplexée".

Sa hantise : passer pour un "Sarkozy de gauche"

Sur son bureau s’entassent des dossiers sensibles, qui vont jalonner le mois de juillet : définir les critères de régularisation des sans-papiers (qui "ne doivent pas nous ramener à la loi de 1997 [du gouvernement Jospin]", prévient-il) ; régler la question de la présence des enfants dans les centres de rétention ; plancher sur plusieurs projets de loi (sur les titres de séjour, l’immigration économique, les gardes à vue des étrangers).

"La droite va chercher à nous attaquer sur l’immigration et la justice, plutôt que sur la question de la sécurité, où son bilan est négatif", anticipe Valls, qui a déjà trouvé un argument. "Elle a régularisé de 26 000 à 30 000 personnes par an. C’est-à-dire massivement. Elle ne peut pas nous faire de procès."

Dès son arrivée Place Beauvau, il a entamé une tournée des commissariats suivie par un essaim de journalistes. Une méthode rapidement abandonnée. Sans doute pour ne pas passer pour un "Sarkozy de gauche". Sa hantise ! Le 8 juin, il tombe sur un article de Libération, titré "Islam : Valls a le même discours que Sarkozy".

C’est un reportage sur le vote de la communauté musulmane à la présidentielle, dans lequel un responsable associatif rappelle que l’ex-député de l’Essonne fut l’un des rares socialistes à voter pour l’interdiction du port du voile intégral.

"Ne pas laisser la nation au FN"

Ni une ni deux, Valls envoie un SMS au directeur de la rédaction du journal, Nicolas Demorand. En privé, il reconnaît toutefois des mérites à Nicolas Sarkozy pour son premier passage à l’Intérieur : "En 2002, il donne aux Français le sentiment qu’il veut traiter un problème, et il le traite un peu."

Mais celui qui fut quatre ans ministre de l’Intérieur et cinq ans chef de l’Etat n’a pas réussi, au final, à faire reculer l’extrême droite en France. "Je veux réhabiliter le rôle de l’Etat et ne pas laisser la nation à la droite et au FN, explique Valls, qui a imposé La Marseillaise dans les meetings de François Hollande pendant la présidentielle. La montée du Front national n’est pas qu’une question de sécurité ou d’immigration. Il y a une peur de l’avenir chez les gens isolés dans leur quartier ou dans les milieux ruraux, éloignés des services publics."

Le 22 juin, il se rend aux obsèques des deux femmes gendarmes assassinées par un récidiviste, dans le Var. Dans le Falcon qui quitte Paris aux aurores, il feuillette la presse. Le Figaro consacre une demi-page à sa femme, la violoniste Anne Gravoin, qu’il range soigneusement dans une chemise.

Dans Le Parisien, une interview retient son regard : Christiane Taubira, sa collègue responsable de la Justice, défend mordicus la suppression des peines plancher, qui interdisent aux juges de prononcer une peine inférieure à une certaine durée pour les délinquants au lourd pedigree.

Ces déclarations tombent au mauvais moment. "Je n’étais pas au courant de cet entretien." Il cache mal une pointe d’agacement. "Il faut que le Parlement et l’administration procèdent à une évaluation. Tout ce qui est abrogation ou table rase ne suffit pas à définir une politique. Mais la garde des Sceaux ne dit pas autre chose..."

Réservé sur le droit de vote des étrangers

Manuel Valls a du mal à réprimer l’envie qui a toujours été la sienne de faire entendre sa petite musique. Sa différence. En février 2010, il cosigne une proposition de loi constitutionnelle "visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France".

Rejetée par les députés, elle fut portée par le candidat Hollande... mais le ministre de l’Intérieur est désormais beaucoup plus prudent, car il estime que le candidat a perdu "un, voire deux points" au second tour de la présidentielle à cause de ce projet : "Ce n’est pas du tout le même symbole qu’en 1981, où ce droit de vote apparaissait comme une reconnaissance à l’égard de ceux qui venaient travailler dans notre pays."

Pas le même symbole, mais le même résultat qu’au lendemain de la victoire de François Mitterrand (c’est-à-dire l’abandon de cette mesure emblématique) ? "C’est un thème qui permet la jonction des électorats de droite et d’extrême droite, avertit Manuel Valls. Je songe aux municipales de 2014 et je dis juste : attention."

Il veut aussi éviter toute précipitation sur un autre dossier, cher, celui-là, à Jean-Marc Ayrault : la délivrance de récépissé dans le cadre des contrôles de police. Il se méfie de "tout ce qui alourdit le métier", de toutes ces "démarches administratives" que l’on imposerait aux policiers...

"Hollande en a pour dix ans"

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Eric Mandonnet et Marcelo Wesfreid


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