« Il faut sauver le peuple syrien », martèlent les dirigeants occidentaux

mardi 7 août 2012.
 

Comme une traînée de poudre, le « printemps arabe » a atteint et embrasé la Syrie... À propos de ces événements, l’argumentaire occidental s’articule en trois temps.

Les USA et l’UE soutiennent les mobilisations populaires et pacifiques visant à renverser Bachar Al Assad.

C’est pour se protéger de la répression exercée par le régime que le peuple syrien use de violence.

Quelle qu’en soit la forme, la révolte en Syrie se justifie puisqu’il s’agit d’un combat pour la démocratie.

Cet article invite à la réflexion autour de ces diverses propositions...

Quand le peuple se lève...

L’Occident « soutient les mobilisations populaires et pacifiques... ». À elle seule, cette assertion mérite de susciter une première réaction... de suspicion.

Un détail ? Au sujet de la Syrie, force est de constater que la cohérence n’est pas ce qui caractérise le discours européen, qui s’essaie plutôt au maniement du « deux poids, deux mesures »... Mille personnes la nuit à Homs, c’est le peuple syrien, mais pas un million de « pro-Bachar » dans les rues de Damas... Passons.

L’intérêt soudain porté par l’Occident à la Syrie découlerait de la situation dramatique vécue par la population de ce pays. Dès les premières heures de la révolte, les Vingt-Sept, menés par la France, ont choisi leur camp. À l’unisson, les États membres défendent le peuple syrien qui, courageusement, se lève, se bat pour la démocratie, exige de quoi vivre, a soif de libertés, manifeste et dit : « Non ! »...

Une remarque accessoire ? C’est bizarre comme cette phrase sonne faux dès lors que l’on y modifie un simple mot : « L’UE soutient les peuples européens qui se lèvent, se révoltent, revendiquent, crient : ’’Assez !’’ ». Cette formule n’a aucun sens...

Indignez-vous !

Rien que ces douze derniers mois, des millions de personnes se sont mobilisées pour marquer leur opposition aux programmes d’austérité expérimentés à travers l’Europe, sans que leur voix ne soit jamais entendue. Ce constat doit nous encourager à tempérer la confiance que nous accordons à la posture « pro-révolutionnaire » mimée par l’UE au sujet de la Syrie.

Quelle attitude adoptent, en effet, les « amis » belges ou français de la Syrie, les protecteurs du peuple syrien, dès qu’il s’agit de leurs propres populations ?

Sans la moindre considération envers les millions de manifestants et de grévistes français, Sarkozy fait passer en force sa « réforme des retraites ». Comme de la crasse, Cameron balaye les jeunes -« ces casseurs, ces bandits »- qui s’enflamment dans les quartiers défavorisés d’Angleterre. Équipé de balles en caoutchouc, l’exécutif espagnol éparpille les Indignés à Barcelone et Madrid. En accusant les syndicats de mener le pays vers l’abîme, Di Rupo lance son programme de « rigueur budgétaire ». En Grèce...

Victimes d’une grave intoxication... médiatique

Aussi, peut-il paraître surprenant que si peu de citoyens s’étonnent du soutien inopiné apporté par l’Occident aux Syriens. Comment se fait-il qu’aux yeux de nos gouvernants, quelques centaines de manifestants à Derra ou à Hama et une poignée d’internautes « suffisent » à incarner « le peuple » syrien ? De quelles vertus spécifiques ce dernier est-il porteur, pour soulever une telle indignation auprès de nos responsables politiques ?

« Il faut sauver le peuple syrien », martèlent les dirigeants occidentaux depuis mars 2011. Leur attitude à l’égard des peuples qu’ils administrent et leur refus de prendre la mesure des mouvements populaires qui secouent leurs propres pays, laissent transparaître un double discours. Analyser les propos opposés tenus par nos élus, qu’ils s’intéressent au peuple syrien ou bien à leurs propres concitoyens, doit donc nous pousser au scepticisme, à la plus grande méfiance quant à leur positionnement sur les questions relatives à « l’international ».

Pointer ces contradictions, cette hypocrisie, doit nous conduire à douter sérieusement du fait que ceux qui, chez nous, s’évertuent à taxer toute manifestation populaire de « réactionnaire », ceux qui n’ont de cesse de refuser « d’être pris en otage » par les grèves, ceux qui font tout pour présenter « un bris de vitre » de banque ou un « coup à agent » comme de la criminalité en bande organisée... on peut douter que ceux-là manifestent une compassion sincère envers le peuple syrien en lutte.

Une autre chose consiste à remarquer que l’Occident soutient... tout ce qui entend renverser Bachar Al Assad.

Révolu, le temps des révolutions ?

Le Peuple uni, jamais ne sera vaincu ? On devrait se réjouir du fait que nos gouvernants, poussés dans le dos par un vent chaud remontant depuis le sud de la Méditerranée, soient contraints de fredonner ce refrain (A). Car l’appui accordé par toutes les chancelleries occidentales à des peuples qui se rebellent a de quoi nous donner des idées en Europe... devrait nous encourager à suivre l’exemple arabe.

« Van Rompuy, dégage ! »

En effet, ne ressent-on pas le même désarroi terrible, la même rage sourde, dans l’immolation de Mohamed Bouazizi, le jeune Tunisien qui a déclenché le « printemps arabe », et dans le suicide, en avril dernier, de Dimitris Christoulas, un pensionné athénien (B) ?

« Merkel, dehors ! »

Dès lors, pourquoi n’aurions-nous pas la même légitimité que le peuple syrien ou que les Égyptiens à nous emparer des rues, à crier notre colère, à prendre la liberté de revendiquer des droits, à construire l’Europe des peuples...

À faire résonner aux « Ben Ali, dégage ! », on reçoit en écho, des « Monti, t’es fini ! » ?

Violence économique ? Demandez aux ouvriers licenciés à Opel, à Carsid... s’ils ne la ressentent jusqu’au plus profond de leur chair. Violence institutionnelle ? Questionnez les mille chômeurs exclus ce mois-ci par l’ONEm, ils vous en diront des nouvelles. Insécurité, violence sociale ? Interrogez les pensionnés, les allocataires du CPAS qui survivent sous le seuil de pauvreté. Zones de non-droit ? Donnez la parole aux détenus entassés à Forest, aux sans-papiers parqués à Vottem, ils vous en toucheront deux mots...

« Barroso, dégage ! »

L’Europe, la grande faucheuse

L’UE... Elle m’a fauché mon fric, elle m’a fauché la vie...

Vu la situation qu’ils nous font endurer, vu la vie qu’ils nous imposent, nos mandataires politiques méritent que l’on ne tire de la situation en Syrie qu’une seule leçon essentielle : nous aussi, nous avons le droit, le devoir, de nous révolter. Être cohérent, c’est choquant : si les Belges ne devaient retenir du « printemps arabe » qu’un seul slogan, ce serait le suivant...

« Di Rupo, dégage ! »

Dépasser les évidences

Quotidiennement, les gouvernements occidentaux réaffirment leurs positionnements à propos de la violence qui dévaste la Syrie. Afin de discuter de cela, il paraît utile d’introduire un certain nombre d’éléments dans la réflexion...

Rappel : quelques fondamentaux de la guerre contre le terrorisme

Tout le monde s’en souvient : fin mars 2012, en assassinant sept personnes, dont trois militaires et trois enfants juifs, Mohamed Merah faisait irruption dans nos foyers par la lucarne télévisée. On connaît sa fin... La menace était maximale !

Entrée en action de l’État français : « Plan écarlate », « raid » armé, isolement et élimination de la cible verrouillée. Affaire Merah, on connaît la suite : perquisitions et arrestations de complices potentiels dans les milieux de « l’islam radical », renforcement du contrôle des imams, discours électoralistes pointant le « péril islamiste » et amalgamant « musulmans » et « djihadistes en puissance », volonté du président-candidat Sarkozy de renforcer l’arsenal antiterroriste, en punissant notamment « l’apologie du terrorisme » et les internautes visitant des sites « extrémistes ».

Dieu est grand !

En Syrie, pour qui se donne la peine de s’informer, force est de constater qu’il n’y a pas un, comme en France, mais des centaines et des centaines de djihadistes actifs. Cette réalité est reconnue par toutes les parties au conflit : revendiquée par al Qaïda et confirmée par les USA. Quant à l’État syrien, il justifie son action par la nécessité de réprimer des gangs armés qui terrorisent la population.

Ce n’est plus un secret : « l’Armée syrienne libre » n’est pas uniquement composée de déserteurs refusant de massacrer les civils, comme le résument les séquences de JT. Depuis des mois, des Syriens, partisans des Frères musulmans, prennent les armes (convoyées via les pays limitrophes) et des salafistes entraînés en Libye ou rompus à la pratique de la « guerre sainte » en Irak se regroupent, affluent pour combattre les mécréants au pouvoir en Syrie (C).

Aucunes révélations ici : on est loin des Brigades internationaleset des pays tout à fait antidémocratiques comme le Qatar soutiennent les insurgés financièrement, matériellement, militairement et médiatiquement (via Al Jazira).

Les attentats à la voiture piégée à Damas ou à Alep se multiplient, les témoignages relatifs à des assassinats de chrétiens, d’Alaouites (D) ou de personnes favorables au régime, partout dans le pays, sont légion. Même Human Rights Watch s’est ému de certaines exactions commises par « l’opposition ».

La France aime les terroristes... quand ils s’attaquent à la Syrie

Il existe au moins trois manières distinctes de mettre en perspective « l’affaire Merah » et celle des « djihadistes » syriens.

Premièrement, on peut être frappé par certaines similitudes dans les deux situations. Deux États, la France et la Syrie, détenteurs du monopole de la violence légitime sur leur territoire, luttent contre le terrorisme.

Il faut le reconnaître : en France, par exemple, « l’opinion publique » est d’avis, à la suite de Sarkozy ou Hollande, que l’État doit afficher la plus grande fermeté à l’encontre du terrorisme, que mettre Mohamed Merah et ses pairs hors d’état de nuire est une nécessité, tout comme la guerre livrée par les États occidentaux contre al Qaïda et le fondamentalisme islamiste.

Or en Syrie, ce n’est pas à deux ou trois reprises, mais presque quotidiennement, que des intégristes tuent soldats et civils. Ne peut-on pas en déduire qu’une partie de la population syrienne pourrait réagir à la façon des Français, en réclamant plus de sécurité ?

Plus : si, comme la Syrie, jour après jour, semaine après semaine, la France était frappée par des attentats commis par des « fous de Dieu », comment l’État réagirait-il ? Jusqu’où serait relevé le niveau de vigilance et d’alerte ? De quelle couleur serait le plan antiterroriste, en pareilles circonstances ?

Les habitants des quartiers alaouites de Homs qui voient s’abattre sur leur immeuble, sur leur école, sur leur famille, les obus tirés par les rebelles n’ont-ils pas la même valeur que les autres victimes de la violence aveugle ? Il faut être cohérent : si on s’oppose au terrorisme salafiste en France, il faut être contre ce même terrorisme quand il martyrise la Syrie.

Pour qui défend, par principe, la « guerre contre le terrorisme » afin d’assurer, aux quatre coins du monde, la sécurité des populations, il est impossible d’expliquer comment un « terroriste djihadiste » devient un « combattant de la liberté » dès qu’il franchit la frontière syrienne. Si on combat al Qaïda en France, en Afghanistan ou en Irak, il faut également s’y attaquer en Syrie.

À bien y réfléchir, on pourrait même remarquer que réprimer, user de violence contre des « terroristes », constitue la fonction essentielle de tout État. Il y a bien évidemment une différence (importante) d’intensité dans la répression en Syrie et en France, mais pas de nature.

Dès lors, de quel droit un État comme la France s’arroge-t-il le pouvoir d’exercer une répression féroce contre le terrorisme mais dénie ce même pouvoir à l’État syrien ?

En fait, en poussant la logique de « la guerre contre le terrorisme » jusqu’à son paroxysme, on se rend compte que Nicolas Sarkozy, en affichant la plus grande clémence, voire un soutien, à l’autoproclamée « Armée syrienne libre », s’est rendu passible de prison, puisqu’il se place sous le coup de sa propre loi contre « l’apologie du terrorisme ».

- Sarkozy veut s’attaquer au terrorisme.

- Sarkozy soutient « l’Armée syrienne libre » au sein de laquelle se battent des djihadistes.

- La position de Sarkozy sur la Syrie le rend passible de prison pour « apologie du terrorisme ».

Terrorisme intellectuel

Ainsi, on peut percevoir toute l’incohérence du discours véhiculé par les dirigeants occidentaux quand on compare leurs commentaires sur le « terrorisme islamiste » : inflexibles et catégoriques quand il touche la France ou d’autres pays, compréhensifs voire bienveillants quand il frappe la Syrie.

En tout cas, ces argumentaires « sécuritaires », parce qu’ils sont empreints de paradoxes, rendent moins crédible la volonté affichée par l’Occident de lutter sincèrement, sans arrière-pensées, contre le terrorisme. Cette réflexion nous amène donc à la possibilité d’interpréter les situations française et syrienne décrites précédemment, d’une deuxième manière.

Autre chose est, en effet, de dénoncer l’attitude de tous les États (américain, français, syrien, russe ou israélien...), dits « démocratiques » ou non, qui se sont fait une spécialité d’utiliser la « guerre contre le terrorisme » pour délégitimer et réprimer ceux qui s’opposent à l’ordre (spécifique) que ces États ont établi et défendent, réduisant de la sorte des problèmes politiques à des questions de banditisme.

Dans ce miroir, j’ai vraiment la tête à Bachar !

En fait, adopter cette deuxième perspective « plus attachée aux libertés » permet de jouer de « l’effet miroir », la situation en Syrie nous éclairant sur la répression à l’œuvre au sein de notre propre régime politique. On pourrait, en effet, se demander si les dérives liberticides, consécutives à l’exploitation politique - à la récupération - de la menace terroriste (E), ne constituent pas une problématique plus brûlante en Occident que celle de l’islamisme radical.

Car c’est au nom de « la guerre contre la terreur » que l’Occident a mis en place un contrôle généralisé de sa population et restreint les libertés d’opinion, d’expression et d’association (F).

Surveillance du web, mises sur écoute, appels à la délation, caméras panoramiques, fichages systématiques, manifestations interdites, « Il faut plus de flics »... Chez nous aussi, l’arsenal « contre le radicalisme » s’étoffe à l’infini.

Et s’il est évident que, contrairement à ce qui se passe en Syrie, on ne risque pas sa vie quand on manifeste en Belgique, il paraît cependant nécessaire de formuler, quitte à complexifier le raisonnement et à susciter la polémique, une série de remarques supplémentaires...

Terrorisme d’État

Faut-il se bercer d’illusions pour imaginer que les dirigeants occidentaux, pourfendeurs du terrorisme d’État syrien, iront jusqu’au bout de la logique.

Qui s’en étonnera encore ? Quand les « amis de la Syrie » se retrouvent pour « comploter ouvertement » contre le régime syrien, Hillary Clinton est « main dans la main » avec les bouchers d’Ankara qui bombardent les populations kurdes dans l’Est anatolien et au nord de l’Irak ; Reynders, Juppé ou Fabius sont « bras dessus, bras dessous » avec les potentats « intégristes sunnites » du Golfe. D’ailleurs, hurler très fort contre « Bachar, le Syrian killer », semble particulièrement approprié pour rendre inaudible le cliquetis des chenilles des chars de la monarchie « de droit divin » saoudienne -sponsor officiel de la Charia -, intervenant contre la majorité chiite révoltée à Bahreïn...

On pourra encore se questionner longtemps... Pourquoi nos chefs d’État ne s’offusquent-ils pas du terrorisme israélien ? Et pourquoi ne délivrent-ils pas, de toute urgence, un mandat d’arrêt international à l’encontre de Rasmussen, le secrétaire général de l’OTAN ? Pourquoi ne le traduisent-ils pas devant le TPI, en tant que chef d’une organisation terroriste, pour les massacres perpétrés en Afghanistan et en Libye ?

L’Europe, ce n’est quand même pas la Syrie !

Comment, dans ce cadre, interpréter la dénonciation occidentale des massacres commis par le régime syrien ? Tancerait-on uniquement le manque de cohérence de Marlboro, si cette firme réalisait un spot publicitaire pour le dépistage du cancer ?

En réalité, s’il semble salutaire de s’insurger contre la répression du régime syrien, il s’avère primordial, si l’on veut vraiment être cohérents, de nous mobiliser contre nos propres représentants, les pompiers pyromanes, qui mènent cette action à l’échelle internationale.

C’est vrai, on torture en Syrie ! L’objet de cet article n’est pas de nier d’horribles évidences mais plutôt d’apporter la précision suivante. Pour être complet, autant dire toute la cruelle vérité : pour l’Occident, « le clan Assad » n’est qu’un simple sous-traitant ! Après le 11 septembre 2001, non contente de sévir à Abou Ghrahib et Guantanamo, l’armée US a délocalisé une partie de son département « torture » dans des pays comme... la Syrie.

C’est exact, on tue en Syrie. Mais ce n’est pas faire preuve de cynisme que de le souligner : c’est au nom de « la guerre contre le terrorisme » que les États-Unis, suivis par l’Europe, ont tué des centaines de milliers de personnes en Afghanistan et en Irak.

L’Occident, adepte des barbudos et des barbus ?

Le peuple armé, jamais ne sera écrasé... Comment appréhender le nouveau refrain entonné par les pays européens, qui louent les techniques de guérilla des déserteurs syriens ?

« Bien évidemment », on n’entamera ici aucun débat sur la possibilité d’user d’une quelconque violence chez nous (G). Mais à tout le moins, si la situation en Syrie encourage nos autorités à estimer que la violence - même aveugle ? - peut être justifiée quand il s’agit du peuple qui se protège et combat l’oppression (un peu à la manière de la Résistance, taxée de « terroriste » par l’occupant allemand), il faut alors qu’elles regardent les « terroristes » kurdes en Turquie ou palestiniens en Israël, le Hezbollah ou les FARC sous un autre angle... celui de la lutte révolutionnaire ou de la guerre de libération.

À présenter le problème de la sorte, on constate tout de suite diverses limites au raisonnement.

Il est peu probable que les « hommes de principes » qui définissent le terrorisme comme une menace stratégique essentielle se muent en partisans acharnés de la « lutte armée ». « Au mieux », mettent-ils parfois sur un pied d’égalité les missiles à guidage laser tirés par les hélicoptères de Tsahal et les roquettes artisanales du Hamas.

De même, il est peu vraisemblable qu’ils prennent un jour en considération les combattants irakiens ou les talibans. Pour preuve, la manière dont Sarkozy, récusant d’avance toute explication aux actes posés par « le tueur de Toulouse » (qui voulait protester contre la guerre en Afghanistan et contre les meurtres commis au nom du sionisme), préconisait une lutte sans pitié contre « tous ces monstres, contre tous ces Mohamed Merah ».

Séance de gymnastique mentale

Quel principe privilégier, au final ? Celui relatif à l’ordre et à la sécurité publique ou bien celui qui renvoie à la libération des peuples ? En fait, s’il peut être opportun d’en faire primer l’un ou l’autre, en fonction des situations, il semble que nos politiciens soient passés maîtres dans l’art de la jonglerie. De la sorte, ils arrivent à démontrer pourquoi tuer et terroriser des civils innocents est un acte de terrorisme en France, une bavure en Afghanistan et un acte de résistance en Syrie.

S’il paraît malaisé pour quiconque de justifier que des Alaouites se fassent égorger en Syrie et ce, même si l’on considère que le régime syrien, dirigé par un Alaouite, est une dictature, la rhétorique occidentale ne s’embarrasse pas de ces contradictions, jugées secondaires. Elle n’hésite pas à réaliser un grand écart, en prenant un troisième angle de vue sur les situations française et syrienne de départ.

Dans ce dernier cas, nos maîtres à penser expliquent que les actions collectives, aussi violentes soient-elles, sont un moyen justifié... par une noble fin : la défense de la démocratie. Cette violence est, par contre, illégitime en Occident puisque nous, nous vivons en démocratie...

En Europe, le double discours est bien rôdé, surfe sur l’évidence... Des personnes en armes dans la banlieue d’Alep, ce sont des libérateurs ; mais les banlieusards des quatre coins des capitales européennes, qui s’émeuvent de l’assassinat des leurs par la police, sont toujours appelés « émeutiers ».

La cohérence démocratique en quatre leçons

6 mai 2007 : même les premiers instants du mandat de Sarkozy ont témoigné de son profond mépris envers l’action sociale. « Rentrez chez vous ! Ici, c’est la démocratie. », avait-il asséné aux milliers de jeunes rassemblés sur les places de Nantes, Rennes ou Bordeaux pour protester contre son élection. Avec 53,6 % des voix (et un taux de participation de 83,97 % des électeurs inscrits), le président estimait que le mouvement social n’avait aucune légitimité puisque le peuple venait de s’exprimer dans les urnes. Résumons : vote > mouvement (H)

Cinq ans plus tard, alors qu’il briguait (en vain) un second mandat, Sarkozy-candidat annonçait qu’il soumettrait, s’il était réélu, toutes ses grandes décisions à l’avis du peuple via référendum... Synthétisons : référendum > vote > mouvement

Hasard du calendrier, presque au même moment, fin février 2012, l’État syrien organisait un référendum à propos d’une modification de la constitution en vigueur, ouvrant notamment la porte au multipartisme. Le « oui » a récolté 89,4 % des suffrages exprimés et le taux de participation a atteint 57,4 %... Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères de l’ancienne puissance colonisatrice de la Syrie, a néanmoins qualifié ce scrutin de « mascarade » et a encouragé le peuple syrien à poursuivre son combat.

Récapitulons : mouvement > référendum

Sur base de ces trois situations, on peut se demander où se cache la cohérence de la position française au sujet de la démocratie ? Quels sont donc, selon l’État français - fer de lance de la démocratie en Syrie -, les éléments constitutifs décisifs de la démocratie ? Le vote ? L’action sociale ? Les deux ?

Aucun des deux ! Par référendum, 54,68 % des Français ont dit : « Non ! » à la constitution (libérale) européenne. Qu’à cela ne tienne, quelque temps plus tard, Nicolas Sarkozy a dit : « Oui ! » au nom de la France, par des moyens détournés.

En réalité, comme avec les notions de « peuple » ou de « terrorisme », quand l’Occident mobilise la question de la « démocratie », il s’agit plus de propagande - afin de mettre en œuvre ses propres desseins - que de principes à défendre ou de dialectique à élaborer. Car les dirigeants européens se préoccupent autant de la démocratie que W. Bush s’intéressait à l’ONU.

Deux exemples récents en vrac : Retrait de souveraineté au profit de l’UE, de la BCE, du FMI et bain de sang social en Grèce. Passation de pouvoir du gouvernement élu à un gouvernement d’experts afin d’expérimenter la misère sociale à l’échelle de l’Italie...

La démocratie est grande !

C’est indubitable, la Belgique et la France, ce n’est pas la Syrie. Chez nous, la propagande officielle est vraiment au point... au point de nous faire tourner la tête. Au point de cacher sous des appels à la démocratisation de la Syrie, le fait que nos dirigeants démantèlent les conquêtes démocratiques, chez nous. Au point de nous faire avaler qu’en attaquant nos droits et libertés, nos mandataires protègent la démocratie...

Nous, les Occidentaux, nous aimons la démocratie ! Il semble que nous l’aimions tellement que nos représentants ont déposé un copyright sur le concept. Au nom de la démocratie, que ne serions-nous capables de réaliser ? Sous cet étendard, tel un seul homme, nous nous sommes rangés derrière nos chefs, partis en croisade en Libye (combien de morts ? À quels camps ont servi les armes belges ? Qui peut citer le nom de la région qui veut désormais faire sécession ?).

Chaque jour, le travail se poursuit inlassablement, démontrant tout le savoir-faire du système auquel nous sommes assujettis, détenteur d’une expertise incomparable en matière de lavage de cerveau. Depuis la chute du Mur, combien de centaines de milliers de personnes l’Occident a-t-il tuées... au nom de la démocratie ? (I)

La Syrie dans le viseur...

Aujourd’hui, c’est au tour de la Syrie de se trouver dans notre ligne de mire.

Sanctions, embargo, soutien logistique aux opposants, transferts d’armes aux insurgés, bombardement à l’uranium appauvri... L’Occident dispose de multiples procédés pour déstabiliser le régime en place à Damas et ne se prive pas pour en utiliser déjà certains à son encontre.

Le film que BHL rêve de tourner...

On a pu se rendre compte, en live, de l’étendue des dégâts causés par la campagne « Choc et effroi » mise sur pied par les USA afin d’exporter par la force, en tant que dealer exclusif, la démocratie en Irak. Pourtant, on arrive toujours à se persuader qu’il faut créer, au plus vite, des « corridors humanitaires » en Syrie. Faut-il être à ce point « kouchnerisé », pour continuer à penser qu’armer les opposants à Bachar Al Assad ou lui faire directement la guerre va réduire le nombre de victimes civiles du conflit !

Bruxelles-Damas, aller-retour

En opérant un va-et-vient entre situations syrienne et européenne et en les confrontant aux récits qui leur donnent sens en Occident, cette contribution avait plusieurs ambitions.

D’abord, en observant la Syrie comme un reflet déformé de nous-mêmes, d’une part, prendre du recul par rapport à « nos » États, qui organisent un système économique mondialement injuste et le protègent par la propagande la plus insidieuse comme par la plus disproportionnée des violences. D’autre part, fournir la démonstration exemplaire de la puissance du peuple en mouvement, comme force sociale capable d’amener le changement.

Ensuite, pour dépasser la version occidentale en noir et blanc, pour appréhender ce pays dans sa complexité, offrir quelques clés de lecture originales à propos de la Syrie.

Il faut être de bon compte : les défauts des sociétés occidentales ne doivent pas nous empêcher de dénoncer des injustices ailleurs dans le monde. D’ailleurs, bon nombre d’intellectuels de tous bords se chargent déjà de cette mission à l’égard de la Syrie.

Cependant, n’en déplaise à ceux qui entendent offrir une vision simpliste du conflit, il ne faut pas être un spécialiste du Moyen-Orient pour constater qu’il existe une convergence d’intérêts entre fondamentalistes religieux et fondamentalistes du marché (J), afin de déstabiliser un État syrien qui se présente comme « laïc, semi-socialiste et panarabe » (K). Le « printemps arabe » nous a également appris cela : il ne faut pas négliger le fait que des forces (internes et externes) réactionnaires jouent un rôle de premier plan au sein des mouvements populaires... un rôle déterminant quant à la direction qu’ils emprunteront en Syrie.

Enfin, car tout ceci a été dit, rappeler que les solutions à la crise syrienne ne passeront jamais par une intervention des États occidentaux.

Patrick Millereux


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