Rencontre à gauche : Europe, emplois, écologie… l’urgence en débat

vendredi 21 septembre 2012.
 

L’agora de la Fête de l’Humanité a été le théâtre d’un échange de vues entre forces de gauche. Regrettant l’absence du Parti socialiste, Pascal Durand (secrétaire national d’Europe Écologie les Verts), Martine Billard (coprésidente du Parti de gauche) et Pierre Laurent (secrétaire national du PCF) ont débattu, une heure durant, avec le public.

Comment appréciez-vous les premiers 115 jours du gouvernement et quelles perspectives percevezvous pour la satisfaction des revendications de ceux qui, à gauche, ont imposé dans les urnes ce changement de pouvoir ?

MARTINE BILLARD D’abord, le gouvernement est à la tête de l’État sur la base des 60 propositions de François Hollande. C’est pourquoi le Front de gauche a pris la décision collective de ne pas y participer, d’autant qu’elles s’inscrivent dans le cadre de l’acceptation des politiques d’austérité en Europe avec un traité budgétaire qui n’a pas bougé d’une ligne. Mais même si on se réfère à ces seuls engagements socialistes, on pouvait imaginer qu’il y aurait plus d’avancées. Le bilan aujourd’hui donne l’impression d’un pouvoir qui flotte, qui n’a pas pris toute la mesure de l’urgence. Les mesures qu’il aurait fallu prendre dès le début du mandat n’ont pas été décidées. Immédiatement, il aurait fallu mettre un terme à la toute-puissance de la finance. Nos parlementaires ont voté le collectif budgétaire du mois de juillet parce qu’il efface un certain nombre de mauvaises décisions prises par Nicolas Sarkozy, mais il ne comporte pas de remise en cause des pouvoirs de la finance. Reste le budget 2013, mais les messages envoyés pour l’instant, avec les tergiversations sur l’ISF ou sur les 75 %, sont des messages de peu de fermeté. De la même manière, la présence de 8 ministres, dont le chef du gouvernement, à l’université d’été du Medef – et plutôt pour caresser dans le sens du poil l’organisation patronale – peut inquiéter alors que l’engagement avait été pris, pendant la campagne électorale, d’une loi empêchant les plans de licenciement. Nos députés l’ont redéposée à l’Assemblée nationale mais la volonté gouvernementale de la mettre rapidement à l’ordre du jour n’existe pas. Or tout retard pris donne le signe au patronat qu’il peut continuer à fermer des entreprises. De même, la politique menée par Manuel Valls sur l’évacuation des camps de Roms est inhumaine. Il faut une autre politique avec l’intégration, la scolarisation des enfants. Sur les questions environnementales également, des « contre-signes » sont envoyés avec la poursuite des épandages de pesticides ou la recherche de pétrole au large de la Guyane. Finalement, on ne peut aujourd’hui qu’être déçus. Et il est de notre responsabilité de nous battre contre le traité et contre ces politiques d’austérité et leurs conséquences à tous les niveaux, économique, social, environnemental.

PASCAL DURAND L’année dernière, nous étions tous d’accord pour dire que l’enjeu des élections n’était pas simplement de sortir Sarkozy. Évidemment, il fallait en finir avec cette politique de casse à tous les niveaux, mais notre volonté était de construire une véritable alternative, de ne pas nous contenter d’une simple alternance. Depuis, nous, nous avons fait le choix de participer au gouvernement. Cette question, que les communistes connaissent bien, se pose à tous parce que le monde dans lequel nous vivons nous révolte, parce qu’il y a des millions de chômeurs, parce que la précarité énergétique grandit. Nous voulions donc peser de l’intérieur pour faire comprendre à ce gouvernement que la logique consistant à concilier patronat et salariés est révolue. Il faut entrer dans un vrai modèle d’alternative au système libéral que nous subissons depuis des années. Et ce n’est pas vrai que rien ne se passe. D’une part, nous avons obtenu, dans le collectif budgétaire que le Front de gauche a voté, la fin de toutes les logiques sarkozystes de privilèges pour les riches, du bouclier fiscal, des exonérations sur les grands groupes. Sur l’environnement, j’étais le premier inquiet que rien ne se passe, mais il a été annoncé à la conférence que les tarifs sociaux de l’énergie vont bénéficier à quatre millions d’usagers au lieu d’un actuellement, nous nous sommes battus pour cela. C’est une victoire. Ce ne sont pas des grands soirs mais des petits matins qui font bouger les choses. Nous avons besoin du Front de gauche. Quand, à Sandouville, le plan social est annoncé dans l’automobile, la CGT a le courage de dire qu’il remet en cause notre propre modèle, et recycler, c’est une manière différente de répondre qu’Arnaud Montebourg. C’est en imaginant le futur qu’on y arrivera. C’est ce que font les syndicats, les salariés à Fralib, M’Real et Sandouville. On ne peut le faire qu’ensemble. Il faut que nous, nous pesions à l’intérieur du gouvernement, il faut que le Front de gauche pèse avec nous à l’intérieur du Parlement et que le mouvement social, sans lequel rien ne se passera, mette en place les conditions d’une transformation économique, écologique et sociale.

PIERRE LAURENT. La contradiction majeure de la politique gouvernementale consiste à prétendre au changement tout en intégrant le diagnostic de la crise exprimée par le patronat et par les dirigeants européens. Nous ne sommes pas allés au gouvernement parce que nous savions que les avancées que nous allions obtenir seraient rattrapées à vitesse grand V par ces enjeux. J’avais écrit à Jean-Marc Ayrault pour un moratoire sur les plans de licenciement et pour que soient inscrites, dès juillet, des mesures législatives anti-licenciements. Cela n’a pas été fait. Tous les grands groupes s’enfoncent aujourd’hui dans la brèche. Ce ne sont plus 30 000 à 40 000 licenciements qui s’annoncent comme en juin, mais de 80 000 à 100 000 qui s’ajoutent aux 700 000 emplois industriels disparus depuis dix ans. Quand le gouvernement parle d’efforts « donnant-donnant » entre salariés et patronat, il se moque du monde. Sarkozy a inventé la rupture conventionnelle qui concerne 900 000 salariés. 80 % d’entre eux affirment avoir signé sous la contrainte. La flexibilité du marché du travail existe déjà à plein et ce n’est pas du « donnant-donnant ». Alors dans cette course de vitesse entre les forces de l’argent et le monde des salariés qui a voulu le changement, il faut très vite se mettre du côté des salariés. C’est ce que nous avons fait, non pas en rejoignant l’opposition, mais en gardant toute notre liberté de parole et d’action pour pouvoir être efficaces dans les luttes et faire des propositions. Le gouvernement ne se donne pas les moyens d’affronter les forces qui refusent le changement, de changer la politique. Or sans ces moyens-là, c’est l’échec. Pire, si en plus il endosse des politiques comme la ratification du traité budgétaire, il se lie définitivement les mains. Toutefois, si nous mettons entre les mains des citoyens la réalité de ce pacte européen, il se lèvera des forces, très au-delà de celles du Front de gauche, pour demander à la gauche de ne pas le ratifier. Nous sommes capables de faire bouger la situation plus vite qu’on ne le croit. Le vote de la présidentielle a figé, à un moment, les rapports de forces, mais pas définitivement. Les urgences de la crise sont là, les contradictions sont là. Si nous menons le débat avec intelligence, avec respect, sans faire de cadeaux, avec notre liberté de parole, je fais le pari que la situation pourra bouger en profondeur.

PASCAL DURAND. Pour reparler de la gauche et de ses difficultés : tout à l’heure, Pierre, tu citais Aragon, moi je vais citer Gramsci, ça ne devrait poser de problèmes à personne ici. Gramsci disait : « La crise, c’est quand le vieux se meurt et que le jeune peine à naître. » On est en plein dans cette période-là. On voit bien que la troisième révolution industrielle qui est celle de Rifkin est en cours. On voit bien que ça bouge ! On voit bien qu’il faut effectivement aller vers quelque chose. Mais attention, parce que Gramsci rajoutait « mais le pire peut en sortir ». Et ce que je voudrais dire, c’est ce que j’ai déjà dit l’année dernière. Et malheureusement les élections nous ont donné raison : c’est le fascisme qui est en train de monter partout en Europe, la peste brune est en train de ressortir. L’histoire nous a montré que, quand la gauche est désunie, on sait qui va gagner à la fin : ce ne sont pas les salariés, les ouvriers, c’est la peste brune et c’est le totalitarisme. On voit bien en Europe ce qui est en train de se construire : la Catalogne est en train de dire : on ne paye plus pour les pauvres d’Andalousie ou de Galice ; la Flandre ne paye plus pour la Wallonie. L’enjeu que nous avons devant nous est considérable : c’est de sauver la solidarité en Europe. Nous devons le faire parce que sinon c’est le fascisme qui va gagner.

Considérez-vous, vous aussi, que la démocratie est menacée en Europe ?

PIERRE LAURENT. Dans l’affaire du traité européen et plus globalement dans la manière dont on impose les politiques d’austérité, il y a un énorme problème démocratique qui dépasse la seule question de la procédure d’urgence. Ceux qui aujourd’hui essaient d’imposer des politiques d’austérité, conscients qu’elles sont aujourd’hui majoritairement rejetées par les peuples, sont en train de sophistiquer, traité après traité, mesure après mesure, les mécanismes de confiscation des décisions politiques. Ils sont en train de vider la démocratie de son sens. On ne le dit pas assez, mais il y a en Europe des gouvernements qui dirigent des pays majeurs sans jamais avoir été élus. Donc, il y a effectivement quelque chose de grave là-dedans. Et il est anormal qu’un gouvernement de gauche qui vient d’être élu mette le doigt dans ce type de procédures. Je ne dis pas que c’est facile d’obtenir un référendum, et on ne va pas l’obtenir en quinze jours, d’accord. Seulement, il n’est pas non plus possible d’accepter que l’on soustraie progressivement, et de plus en plus, des décisions majeures aux peuples, à qui l’on dit : « Vous pouvez voter, vous pouvez changer de gouvernement, ça ne change rien, parce que ce qui est important se décide de toute façon ailleurs. » Dans la bataille que l’on mène, il y a une bataille contre l’austérité, mais il y a aussi une bataille pour la reconquête de la démocratie. Je veux rappeler que la majorité politique réelle dans le pays comporte une diversité de forces. Avec le Front de gauche, nous avons fait un choix de responsabilité quand nous avons appelé à battre Sarkozy au deuxième tour et à voter Hollande. Mais que les choses soient claires : il n’y avait aucun renoncement à ce que nous croyons juste. Alors à ceux qui font mine de nous dire : « Vous avez élu Hollande alors maintenant rentrez à la maison, ce sera cette politique- là ! », non ! Ça, ce n’est pas la démocratie ! Nous avons appelé quatre millions d’électeurs à battre Sarkozy, en pleine responsabilité, sur des objectifs qui ne s’enferment pas dans les 60 propositions du candidat Hollande. Je me rappelle, comme si c’était hier, la discussion que j’ai eue au téléphone avec Jean-Marc Ayrault, le soir du second tour des législatives. Je lui ai posé une question puisqu’il appelait pour savoir si nous confirmions notre décision de ne pas participer au gouvernement : « Est-ce que le programme sur lequel vous nous demandez d’entrer au gouvernement est encadré par les seules 60 propositions de François Hollande ? » Et Jean-Marc Ayrault m’a répondu : « C’est le seul mandat que j’ai, Pierre, et je dois te le dire. » Eh bien ça, c’est un problème politique, parce que la majorité du pays n’est pas celle-là. Et la gauche devrait assumer le débat, le mener au grand jour, et ne pas se contenter de le faire passer sous le tapis, faute de quoi elle ira à l’échec.

MARTINE BILLARD. C’est vrai qu’il y a une montée de l’extrême droite. Dans certains pays, comme la Hongrie, c’est la marche vers le fascisme avec tout ce que l’on sait de l’histoire sinistre de l’Europe, des milices et des pogroms et ainsi de suite. Mais peut-on contrer la montée de l’extrême droite dans notre pays en gérant simplement au jour le jour ou en redonnant vraiment de l’espoir à notre peuple ? Pourquoi est-ce que l’on ne va plus voter ? Pourquoi va-ton voter Front national ? Parce qu’on ne croit plus aux forces de gauche, parce que l’on a été déçu. C’est pour cela que nous avons construit le Front de gauche : pour redonner de l’espoir à tous ceux qui se battent. Oui il est possible d’avoir une autre politique de gauche dans ce pays. La solution, ce n’est pas de tabler sur l’échec de la gauche et d’attendre la fin en espérant être le recours. Nous ne sommes pas fous, nous savons bien le danger que cela représente. Nous nous battons dès maintenant, parce que nous pensons qu’il est possible de faire autrement. Nous voulons des avancées maintenant, parce qu’il y a trop de danger à rester inerte.

PROPOS RECUEILLIS PAR JULIA HAMLAOUI ET ADRIEN ROUCHALEOU, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message