La règle d’or en pleine incohérence

samedi 20 octobre 2012.
 

L’Assemblée a adopté le traité budgétaire européen. Le groupe socialiste a largement mêlé ses voix à celles de l’UMP pour voter le traité Sarkozy. La suite a été encore plus lamentable.

La droite a apporté 195 voix en faveur du traité. Bien sûr, compte-tenu du rapport de force à l’Assemblée, les voix favorables au traité sont plus nombreuses à gauche. C’est ce que répètent les socialistes pour essayer de masquer leur ralliement au traité Sarkozy. Il n’y a pourtant pas de quoi en être fiers. D’autant qu’ils savent que ces voix de droite leur seront indispensables au Sénat. A l’Assemblée, seuls les députés du Front de Gauche ont unanimement voté contre le traité. Au final 70 députés ont voté contre dont 45 député de gauche. Le "non" de gauche est donc majoritaire dans le "non" au traité. Comme en 2005. Au final, ce sont 12 députés d’Europe- Ecologie-les-Verts, 17 députés socialistes et 3 députés chevènementistes qui se sont joints au Front de Gauche. En dépit des pressions qu’ils ont subies ! 18 autres n’ont pas voté le traité, préférant s’absenter ou s’abstenir. A l’arrivée, il n’y a pas de majorité de gauche pour le traité Merkozy, même sous emballage socialiste. Le gouvernement Ayrault n’a pas pu rassembler la majorité absolue de 289 députés de gauche alors que le groupe PS compte à lui seul 297 parlementaires ! Le gouvernement ne peut agir qu’avec le soutien de la droite. Mais une alternative de gauche s’est manifestée avec le vote commun de ces députés socialistes, verts et Front de Gauche contre le traité. A l’arrivée, le "non" de gauche est significatif. En tout cas, il est plus fort que ce que redoutait le gouvernement.

Mais, hélas, seul le Front de Gauche a été cohérent jusqu’au bout. Dès le lendemain du vote sur le traité, les députés PS, EELV et radicaux de gauche ont voté comme une seule main pour la loi organique. Même ceux qui avaient rejeté le traité. Aucun député de ces trois groupes n’a voté contre la loi organique. Seuls les trois députés chevènementistes, apparentés au groupe PS, ont voté contre. Et on compte à peine 10 abstentions dans ces groupes. Pourtant, cette loi organique est étroitement liée au traité. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances l’a reconnu dès l’ouverture du débat à l’Assemblée : « le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques est un texte qui tire les conséquences du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, en termes de gouvernance de nos finances publiques et les incorpore dans le droit français ». C’est cette loi organique qui sacralise la règle d’or budgétaire d’interdiction des déficits. Elle précise les modalités d’application du traité. Ceux qui ont voté contre le traité mais pour la loi organique sont donc incohérents. C’est la même logique économique, politique et juridique. Il reste encore bien du chemin a faire pour délimiter stablement un nouveau pôle de gauche parlementaire.

Le choix d’une loi organique est un artifice politique et juridique de François Hollande. Certes, une loi organique est un texte juridique d’une valeur inférieure à la Constitution. Les lois organiques précisent les modalités d’application de la Constitution. Mais de ce fait, elles ont une valeur juridique supérieure aux lois ordinaires et notamment au budget. Le Conseil constitutionnel pourra censurer le budget s’il ne respecte pas la règle d’or inscrite dans la loi organique, exactement comme si elle était inscrite dans la Constitution. Cependant mettre la règle d’or dans une loi organique est plus simple que l’introduire directement dans la Constitution. Pour réviser la Constitution, il aurait fallu un référendum ou bien une majorité des trois cinquièmes du parlement. François Hollande ne l’a pas. Alors que pour faire adopter la loi organique, il lui suffit d’une majorité absolue à l’Assemblée. Ce tour de passe-passe démocratique est explicitement prévu dans l’article 3 du traité, pour mieux contourner le vote populaire.

Cette loi organique dit essentiellement deux choses. D’abord, elle reprend la règle d’or. Pierre Moscovici a essayé de le nier mais sans convaincre personne : « la loi organique n’énonce pas de règle d’or en tant que telle. Les innovations qu’elle propose sont d’ordre procédural ». Il sait que c’est faux et que la loi organique transcrit la règle d’or dans le droit français. Il sait aussi que la loi organique renvoie explicitement à l’article 3 du traité qui détaille cette règle d’or. A ce sujet, je veux répondre à une énormité qu’a proféré le centriste Charles de Courson dans le débat. Il a déclaré « Ce qui fait le malheur des peuples, ce n’est pas la règle d’or : c’est ceux qui l’ont oubliée, qui ont surendetté leurs peuples et qui les amèneront un jour à un régime dictatorial ! Tous les démocrates devraient être d’accord avec la règle d’or ! ». Il lui reste à apprendre plusieurs choses. D’abord que l’Etat le plus attaqué aujourd’hui après la Grèce, à savoir l’Espagne, avait pourtant inscrit la règle d’or dans sa constitution. Adopter la règle d’or n’est donc en rien une protection contre les spéculateurs, au contraire. Ensuite, il faut qu’il apprenne que la règle d’or a été appliquée par les dictateurs Pinochet au Chili et Salazar au Portugal. Ce n’est donc absolument pas une avancée démocratique !

La loi organique débattue à l’Assemblée interdit un déficit structurel supérieur à 0,5% de la richesse du pays soit 10 milliards d’euros. Ce chiffre concerne le total du déficit de l’Etat, des collectivités locales et de la Sécurité sociale. Pour 2012, le seul déficit structurel de l’Etat avoisinera 70 milliards. Pour revenir à l’équilibre, il faudrait donc supprimer 60 milliards d’euros soit autant que le budget de l’Education nationale ! Mais le gouvernement Ayrault va encore plus loin dans l’austérité et le dogmatisme anti-déficit. Le traité prévoit un déficit autorisé de 0,5% de la richesse du pays. Dans la loi organique, le gouvernement Ayrault serre la vis un peu plus en se fixant une limite plus dure encore : 0,25% sur deux années consécutives. Et dans ses perspectives budgétaires, le gouvernement Ayrault redonne un tour de vis de plus. Il se fixe comme objectif d’arriver à 0% de déficit structurel en 2016 ! Dis autrement, Ayrault va encore plus loin que ce que prévoit le traité Sarkozy en terme d’austérité et de recul de l’intervention de l’Etat ! En cela, Ayrault met ses pas dans ceux des libéraux les plus délirants.

Tous ces pourcentages sont censés être calculés en termes de « déficit structurel ». Cette notion barbare signifie que le déficit est calculé après correction des variations conjoncturelles et des mesures ponctuelles et temporaires. Si je vous en parle, c’est parce que c’est une escroquerie intellectuelle de première grandeur ! Il n’existe pas de méthode de calcul du déficit structurel commune à tous les instituts économiques. Le respect de la règle d’or dépendra donc de qui fera les calculs. Et à ce petit jeu, la Commission européenne est comme souvent la plus brutale et la plus anti-Etat. Selon le journal financier américain Wall street journal, les méthodes de calcul de la Commission européenne donnent un déficit structurel de 0,5% de la richesse du pays si on les applique aux Etats-Unis. La Commission du parlement américain chargé des affaires budgétaires aboutit elle à un déficit structurel de 5,3% de la richesse du pays. L’écart varie de un à dix ! Je prends cet exemple car c’est le plus caricatural. Mais pour la France, les écarts varient du simple au double selon que vous prenez les chiffres du FMI, de la Commission européenne ou d’autres organismes. Puisqu’il n’existe pas de définition commune, l’ampleur des coupes dépendra du bon vouloir de la Commission.

L’autre point central de la loi organique est antidémocratique. Il s’agit là encore de décliner le traité et son article 3. L’article 8 de la loi organique crée un « Haut conseil des finances publiques ». Celui-ci serait chargé de surveiller le processus budgétaire national. Il devrait valider les hypothèses de croissance du gouvernement. Il devra aussi contrôler que les déficits attendus et réalisés respectent le traité et la loi organique, alerter si ce n’est pas le cas etc. Toutes ces tâches relèvent normalement du Parlement, c’est-à-dire des élus du peuple. En tout cas c’est ce que dit la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Voici ce qu’en dit son article 14 : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». C’est la base de la souveraineté populaire en matière budgétaire. Or, ce Haut Conseil des Finances Publiques dépossède le peuple et son parlement de sa souveraineté. Ce Haut conseil ne sera composé que de technocrates et de comptables nommés et non élus. En lieu et place du Parlement, c’est la Cour des Comptes qui se voit reconnaître le rôle principal. Voyez plutôt. Si les amendements de l’Assemblée sont repris, le Haut conseil comprendrait 11 membres dont … aucun parlementaire ! Il y aurait cinq membres de la Cour des Comptes dont son président qui présiderait aussi le Haut Conseil. Le Haut conseil serait aussi composé de « quatre membres nommés, respectivement, par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat et les présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, en raison de leurs compétences dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques ; ces membres ne peuvent exercer de fonctions publiques électives nationales ». C’est-à-dire que ces « experts » seront nommés par des élus mais ne pourront pas être députés ou sénateurs. Il existe pourtant dans chacune des deux assemblées une commission des finances qui est déjà chargé du suivi et du contrôle budgétaire. Enfin, l’Assemblée a voté un amendement sur ce point. Il prévoit que le président du Conseil économique, social et environnemental désignera aussi un membre. Et un autre amendement précise que le directeur de l’INSEE siégera de droit dans cette instance. Mais cela ne change rien à la question démocratique.

Le même article 8 de la loi organique est extrêmement clair : « dans l’exercice de leurs missions, les membres du Haut conseil des finances publiques ne peuvent solliciter ou recevoir aucune instruction du Gouvernement ou de toute autre personne publique ou privée ». C’est la même logique « d’indépendance » qui s’applique déjà à la Banque centrale européenne. C’est cohérent avec la logique austéritaire de l’Union européenne. Il s’agit d’éloigner les questions budgétaires du peuple. Il s’agit de protéger les intérêts particuliers des rentiers de la volonté populaire. Les libéraux et les sociaux-libéraux expliquent qu’il n’y a qu’une politique possible. En conséquence, les « experts » choisis par eux seraient les seuls à savoir et donc à pouvoir décider. C’est une régression démocratique extraordinaire. Elle peut se résumer ainsi : tout sauf le peuple !

Au nom du Front de Gauche, François Asensi, député de Seine-Saint-Denis, a défendu une motion de rejet de la loi organique. Comme il l’a dit lui-même, c’était une respiration indispensable dans le débat : « mon propos sera moins consensuel. Je crois rêver en voyant cette assemblée, où droite gouvernementale et gauche gouvernementale s’entendent à merveille et où il n’y a plus aucune opposition sur le plan économique. Je constate une fusion politique entre les deux, au moins sur les questions économiques ». Puis, dans son argumentation, il est revenu sur cette volonté de confier la politique à des organismes « indépendants » de la volonté des peuples. Pour cela, il a notamment cité Pierre Mendès France. Voici ce qu’il disait en 1957 contre la ratification du traité de Rome, à la tribune de l’Assemblée, c’est d’une cruelle actualité : « l’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement « une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale ». Il a ensuite dénoncé la méthode « juridiquement contestable » de la loi organique et surtout son contenu : « cette loi organique sert de cheval de Troie aux diktats des marchés financiers et de la Commission européenne, et promeut une nouvelle étape vers une Europe antidémocratique et antisociale. Par les transferts de souveraineté inclus dans le traité budgétaire européen, par le reniement de la souveraineté populaire et parlementaire, cette loi organique bouleverse de manière structurelle l’équilibre des pouvoirs publics. Elle vise à créer un cadre budgétaire extrêmement contraint qui, tout en préservant les apparences, vide de pouvoir nos institutions ». En cohérence, les députés du Front de Gauche ont donc voté contre la loi organique, comme ils ont voté contre le traité.


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