Droit français et racisme

vendredi 14 avril 2006.
 

Les hommes naissent libres et égaux en droits

Le 26 août 1789 l’Assemblée nationale constituante adopte le texte définitif de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les hommes naissent libres et égaux en droits y affirme-t-on, et c’est en s ‘appuyant sur cette déclaration que la Convention abolira l’esclavage le 4 février 1794. Mais très rapidement la République va davantage se préoccuper de la liberté du capitalisme naissant, de la docilité de la nouvelle classe ouvrière dont les usines ont besoin, de la conquête de nouvelles terres sur les autres continents pour y piller les ressources nécessaires à l’industrie.

Les instruments de la loi seront adaptés en conséquence, dès 1792 la loi Le Chapelier (1) interdit toute organisation corporative, en 1802 l’esclavage est rétabli par Bonaparte.

Il faudra du temps pour redonner chair aux idéaux de la révolution française. L’esclavage sera définitivement aboli en 1848 à la faveur de la révolution de 1848. Le droit de grève attendra 1864 et le droit syndical 1884. Ce sont les rapports de force favorables aux salariés au lendemain de la seconde guerre mondiale qui permettront en 1944 aux femmes de devenir des citoyennes avec le droit de vote confirmé par la Constitution de la 4ème République en 1946. Son préambule réaffirme que « tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés », « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. ». La Constitution de 1958 reprendra ces principes, contenus par ailleurs dans la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948 à l’ONU.

Que s’est-il passé de 1848 à 1948 en matière de droits des étrangers ? Pas grand chose, les gouvernements de notre pays ne se sont guère préoccupés de cette question, colonialisme oblige, le Front populaire seul a manifesté l’intention de s’attaquer à la xénophobie et au racisme mais sans avoir le temps de légiférer. A noter en 1939, en pleine montée du nazisme, un décret (Marchandeau) qui punit la diffamation raciste par voir de presse sans grand effet à l’époque.

Le tournant de 1972

La première proposition de loi contre le racisme est déposée à l’Assemblée nationale en 1959, et c’est en 1972 qu’une loi sera adoptée à l’unanimité (13 ans pour la construire). Il convient de rappeler que cette loi intervient après la ratification par la France de la Convention internationale de New-York

La loi de 1972 traduit d’abord un progrès sensible dans l’énonciation des faits racistes, elle est ensuite un rappel aux valeurs républicaines. Pour la première fois la loi punit la diffamation raciste, sanctionne toute mention d’appartenance à une nation, une race, une religion. Elle permet à des associations (mais pas aux syndicats) et plus uniquement aux victimes de se porter partie civile.

La loi de 1972 va modifier le Code pénal et la loi sur la presse de 1881. Jusqu’alors seuls l’écrit et la parole racistes sont passibles de sanctions. La discrimination au travail ou dans la vie courante ne l’est pas. La loi de 1972 (loi Pléven) aborde un certain nombre d’actes commis dans la vie courante mais reste timide s’agissant du travail. Les lois Auroux de 1982 corrigeront un peu cette timidité en intégrant au Code du travail l’article L 122-45 qui prohibe la sanction ou le licenciement d’un salarié fondé sur « son origine, son appartenance à une ethnie, une nation ou une race ». En 1990 (loi Gayssot) une nouvelle loi renforce la lutte contre les actes racistes, antisémites ou xénophobes. La Commission nationale consultative des droits de l’homme est chargée d’établir chaque année, le 21 mars, un rapport public faisant le point sur la lutte contre le racisme. Le Code pénal, la loi sur la presse sont enrichis, et cette fois le Code du travail aussi. Certaines dispositions seront précisées par la loi du 31 décembre 1992. (2)

Une table ronde réunissant l’Etat, les employeurs et les syndicats est organisée le 11 mai 1999 sur le thème de la lutte contre les discriminations raciales dans l’entreprise. Une déclaration (dite de Grenelle) commune avance un certain nombre de dispositions visant à améliorer l’arsenal juridique. Ces dispositions ont été introduites dans la loi dite de modernisation sociale du 16 novembre 2001, laquelle transpose la directive communautaire du 29 juin 2000. Elles modifient le Code du travail sur les points suivants : (3)

- le domaine de la discrimination prohibée est étendu ;

- La charge de la preuve est répartie entre la victime et l’auteur présumé des faits ;

- Les syndicats disposent du droit d’agir en justice ;

- Les pouvoirs de l’inspection du travail sont élargis en cette matière.

Le rôle des syndicats et des représentants des salariés dans les différentes institutions s’en trouve fortement élargi, nous y reviendrons dans un autre chapitre.

La directive communautaire du 29 juin 2000 n’a pas été entièrement transposée dans le droit français par la loi du 16 novembre 2001. Par exemple la France ne dispose pas encore d’un organisme indépendant pour apporter aux victimes d’une discrimination une aide indépendante pour engager une procédure.

En installant le 24 octobre 2002 le Haut Comité à l’Intégration, instance de réflexion destinée à coordonner l’action publique en matière d’intégration, le Premier ministre a précisé les orientations de son gouvernement dans ce domaine :

- La mise en place d’un contrat d’accueil et d’intégration. Ce contrat d’accueil s’adresse aux personnes nouvellement arrivées en France. Piloté en région notamment par les préfets, il propose des formations linguistiques, sociales, ainsi qu’un accompagnement personnalisé des primo-arrivants.

- Une politique de promotion sociale et professionnelle. Cette politique se traduira par des actions de soutien scolaire à destination, notamment, des jeunes résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la Ville.

- La création d’une autorité administrative indépendante (fin de la transposition de la directive communautaire du 29/06/2000). Cette instance est une "structure de médiation". Elle a vocation à promouvoir l’égalité de traitement et la lutte contre les discriminations. Elle contribuera ainsi aux recommandations exprimées par le Haut Conseil à l’Intégration dans ce domaine.

Début 2004 ces orientations annoncées ne sont pas encore entrées dans les faits.

Le Code du travail après la loi de 2001.

L’article L 122-45 et suivants du Code du travail définissent aujourd’hui la discrimination raciale comme le droit pénal, c’est à dire une distinction opérée aux dépens d’une personne en raison de son origine.

Tous les actes de la vie professionnelle sont aujourd’hui concernés par la discrimination, et non plus seulement le recrutement ou le licenciement. Cela concerne les discriminations directes comme les discriminations indirectes. Les témoins des faits sont maintenant protégés.

La charge de la preuve est aménagée entre la victime et son employeur. Le salarié doit rassembler les éléments de fait laissant présupposer l’existence d’une discrimination. L’employeur réunissant quant à lui les éléments prouvant que sa décision étant étrangère à toute discrimination.

Les syndicats peuvent désormais ester en justice à la place des victimes. Cette disposition s’appuie sur les prescriptions prévues à l’article L 123-6 du Code du travail concernant l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. (4)

La procédure d’alerte au profit des délégués du personnel, lesquels peuvent saisir l’employeur en cas d’atteinte aux droits des personnes, est complétée pour couvrir les discriminations.

Une autre disposition concerne les conventions collectives de branche qui, pour être étendues, devront prévoir des mesures de lutte contre les discriminations. (5)

Quel bilan des lois contre la discrimination raciale ?

Le bilan des lois de 1972 à 2001 est modeste, en tout cas sur le plan pénal. Ces textes constituent pourtant de réelles avancées, mais nous savons aussi qu’une loi, si avancée soit-elle, ne tire son efficacité que de l’ensemble du dispositif juridique qui accompagne sa mise en pratique, ainsi que des réalités politiques et sociales qui finalement lui donnent sa véritable signification. C’est précisément cet environnement de mise en œuvre qui n’a pas été, qui n’est pas, à la hauteur des ambitions des textes. Le rapport rédigé par J.M. Belorgey en 1999 avait pourtant identifié de nombreuses pistes concrètes pour faire reculer la discrimination raciale, elles n’ont pas été véritablement explorées.

En matière de discrimination raciale comme dans d’autres domaines, une loi, même « bonne », peut rester une pure intention généreuse et finalement changer que peu de choses au quotidien, si rien n’est fait par ailleurs pour s’attaquer aux causes du racisme et faire reculer les préjugés. Traiter le racisme et les discriminations dans la seule sphère morale, en refoulant tous les considérants économiques et sociaux, ne nous fait intervenir que sur la surface du phénomène. Les dangers du racisme, qui concernent tous les salariés, doivent être compris par le plus grand nombre, sinon on s’en arrange, l’expression publique du racisme recule peut-être mais on n’en pense pas forcément moins.

Les syndicalistes ont donc intérêt à ne pas réduire leurs interventions en faveur de la lutte contre les discriminations raciales à la seule mobilisation des textes juridiques, mais à les utiliser en articulation avec tous leurs autres moyens d’intervention dans l’entreprise ou/et dans la cité, en y associant, par delà la ou les victimes, tous les salariés.


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