MEDEF contre salariés : qui choisit le gouvernement ?

mardi 1er janvier 2013.
 

Ce mardi 18 décembre, François Hollande a dîné avec 71 grands patrons membres de l’Association française des entreprises privées. L’AFEP regroupe les très grandes entreprises et le CAC 40. C’est la première fois qu’un président de la République participe à un dîner organisé par cette association. Comme en août, c’était la première fois qu’un premier ministre, en l’occurrence Jean-Marc Ayrault, assistait à l’université d’été du MEDEF. A ce stade, la répétition fait sens. Ce repas c’est un signal. C’est une signature. L’examen critique des dossiers qui comptent dans la vie des salariés le confirme.

Qu’il s’agisse du SMIC, des retraites ou de la précarité, dans les trois cas la partie s’engage au plus mal pour les salariés avec un gouvernement qui n’est jamais leur allié. Quand les chèques de 20 milliards d’euros au titre de la "compétitivité" arriveront dans les mains des patrons, les salariés eux seront en train de se battre le dos au mur pour protéger ce qu’il leur reste de leurs acquis.

Deux centimes ! C’est la hausse du SMIC horaire net au premier janvier prochain. Le SMIC va augmenter de 0,3 %. Cela signifie 3 centimes de plus par heure pour un SMIC brut. Sur un mois, pour un temps complet, cela procure royalement 4,55 euros de mieux sur le salaire brut. Ramené au salaire net, la hausse est encore plus blessante : 2 centimes par heure travaillée. Soit à peine plus de 3 euros par mois pour les smicards qui bénéficient d’un emploi de 35 heures par semaine ! Cette misère chichement distribuée suffit pourtant au ministre de la gauche « qui agit, pas la gauche tonitruante d’Amérique du sud », l’indépassable Michel Sapin, pour se donner des airs de bienfaiteur. Pourtant cette hausse ne doit rien au gouvernement Ayrault. Elle est automatique. Elle est la conséquence mécanique du mode de calcul actuel du SMIC. Ce mode de calcul prend en compte l’inflation et la hausse moyenne du salaire horaire ouvrier de base. La mini-hausse de 0,3% du SMIC est le résultat mécanique de ce calcul qui s’imposerait à n’importe quel gouvernement. Un gouvernement de gauche en principe va bien au-delà.

Pas le gouvernement de Jean Marc Ayrault. Lui, a refusé de donner un "coup de pouce" au SMIC comme Nicolas Sarkozy le refusait déjà. Ayrault a pourtant le pouvoir de décider d’augmenter le SMIC comme il veut, unilatéralement et par un simple décret. Si c’est un choix politique de l’augmenter, c’est donc aussi un choix politique de ne pas l’augmenter. Ce refus d’un coup de pouce c’est la suite logique du ralliement de François Hollande au discours patronal sur le soi-disant "coût du travail" qui serait responsable de la perte de "compétitivité" de la production en France.

Le MEDEF reçoit cinq sur cinq ce genre de message. Pense–t-il qu’il s’agit de peur, de faiblesse ou de complicité de ce gouvernement ? Peu importe. Il veut pousser son avantage. Laurence Parisot veut profiter de la bienveillance du gouvernement à son égard. Elle ouvre une nouvelle ligne de front. Dimanche 16 décembre, elle est ainsi revenue à la charge contre le droit à la retraite. Pour elle, l’injuste contre-réforme Fillon de 2010 ne va pas assez loin. Sur BFMTV, elle a notamment demandé un nouveau report de l’âge légal de départ à la retraite : « Nous disions déjà en 2010 qu’il faudrait au moins 63 ans, et je le redis aujourd’hui. Il faudra à nouveau repousser l’âge légal de départ à la retraite, allonger la durée de cotisations ».

Le gouvernement rejettera-t-il clairement cette hypothèse ? Le pire est à craindre ! Le programme de François Hollande était bien flou sur ce point. François Hollande ne s’est jamais prononcé pour rétablir le droit à la retraite à 60 ans pour tous, alors même que c’était le cœur de l’action de masse contre la réforme des retraites. Son projet présidentiel avait trouvé une astuce d’emballage : présenter le maintien du départ a soixante ans pour les carrières longues comme un rétablissement du droit à la retraite à soixante ans. La bienveillante cécité des médias permit à la duperie de fonctionner. En criant à la ruine de l’économie, la droite crédibilisa l’apparence de gauche du programme Hollande sur ce point. Pourtant les lecteurs attentifs comme nous avaient bien montré que pour le reste des salariés Hollande prévoyait seulement le grand défaussage habituel : « Une négociation globale avec les partenaires sociaux afin de définir, dans un cadre financier durablement équilibré, l’âge légal de départ à la retraite, la prise en compte de la pénibilité, le montant des pensions et l’évolution des recettes indispensables à la pérennité de notre système de retraite solidaire ». Cette négociation doit commencer en mars prochain. Les salariés y seront abandonnés au rapport de force avec le patronat qui n’a aucune raison de ne pas compter sur la compréhension du gouvernement. La preuve.

Le lecteur attentif aura remarqué que pour François Hollande, la durée de cotisation ne fait pas partie des éléments de la négociation. C’est cohérent avec la position du PS. Cette position était développée par Marisol Tourraine dans Le Monde du 19 mai 2010. Depuis, elle est devenu ministre des affaires sociales, donc des retraites. Voila ce qu’elle déclarait : « Le PS a tranché. Nous acceptons la poursuite de l’allongement de la durée de cotisation jusqu’en 2020. Aujourd’hui, il faut 40,5 annuités pour partir à taux plein ; en 2020, ce sera 41,5 ». Le PS a déjà cédé au MEDEF sur ce point. C’est pour cela que Laurence Parisot revient à l’offensive sur l’âge légal. Elle veut gagner sur les deux tableaux.

Comme par hasard, le lendemain de l’offensive du MEDEF, la machine médiatique s’est remise en marche autour d’un rapport du « Conseil d’orientation des retraites ». C’est la même mécanique qu’avant la contre-réforme Sarkozy de 2010. La même méthode de communication qu’avant les annonces de Jean-Marc Ayrault sur la compétitivité. D’abord le MEDEF avance ses pions. Puis un rapport d’un organisme soi-disant indépendant valide la démarche. Il vient fournir les éléments de langage de la propagande qui sera ensuite répétée sur toutes les antennes. « Le Monde » donne un cachet de référence officiel et indépendant à cette propagande. S’installe alors de grotesques campagnes d’affolement et de conditionnement idéologique. « Libération », le quotidien du social-libéralisme, fournit les tireurs dans le dos à gauche. Le tout est répété en boucle sur toutes les chaînes de radio et de télé. Et bien sûr dans ces inénarrables « débats » entre politologues, journalistes entrelardés d’UMP et de PS, tous d’accord sur le fond mais disputant la forme ou le rythme. La même machine médiatique à bourrer le crâne est en place dans le débat sur le contrat de travail. A l’heure actuelle, aucun accord n’est signé. Mais tous les grands médias officiels vantent déjà, par anticipation, un éventuel « compromis historique » entre patronat et syndicat. Par contre, aucun ne parle du contenu de la négociation. Et pour cause, puisque c’est le MEDEF qui part grand gagnant du consensus médiatique.

Que veut le patronat ? Atomiser et individualiser toutes les relations sociales dans l’entreprise. Au cas précis du moment, il s’agit de pouvoir licencier plus facilement. Comme d’habitude un plan général se déploie par des offensives sur des mesures ponctuelles précises, présentées séparément les unes des autres. Il exige une réduction des possibilités de recours et une diminution des indemnités en cas de licenciement abusif. En cas de licenciement, il veut aussi pouvoir invoquer devant le juge des motifs différents de ceux qui ont été reprochés au salarié au moment du licenciement. Incroyable ! Il serait alors impossible pour le salarié de préparer sa défense et de faire valoir ses droits correctement. Tout cela c’est l’environnement de la mesure centrale attendue : la fin du CDI.

Encouragé par la tendresse gouvernementale, le MEDEF reprend sa guerre pluri-décennale contre le Contrat à durée indéterminée. Ce fameux CDI est vital pour les salariés. Non seulement pour leurs droits sociaux les plus divers et les plus essentiels. Mais aussi dans la vie quotidienne de la cité. Là, le CDI est le sésame qui ouvre la porte des crédits du logement et ainsi de suite ! Le fond de l’affaire pour lui est de se débarrasser des clauses individuelles du contrat de travail. Voyons ce que cela signifie. Supposons qu’un nouvel accord collectif soit signé dans une entreprise et qu’il change certains points substantiels du contrat de travail comme la modulation du temps de travail, le niveau de salaire ou un changement de lieu de travail. Cet accord ne s’appliquera pas pour autant à tout le monde. En effet il y a une barrière très précieuse. Car on devine le genre d’accord qui se signe par les temps qui courent, le pistolet sur la tempe, très défavorable aux salariés ! Aujourd’hui pour que ce genre d’accord s’applique à tous, il faut que chaque salarié donne personnellement et explicitement son agrément ! Le MEDEF veut en finir avec cette protection. Il veut que l’accord collectif s’impose d’office aux salariés même s’il leur est défavorable. Pire : le patronat exige de pouvoir licencier sans indemnités les salariés qui refuseraient de voir modifier leur contrat de travail. Et il aimerait aussi priver ces salariés du droit de contester leur licenciement devant un juge.

Enfin, le MEDEF veut également frapper les chômeurs. Aujourd’hui, plus d’un chômeur sur deux n’est pas indemnisé par l’assurance-chômage. A titre d’exemple, pour 2013, l’UNEDIC prévoit 127 000 chômeurs de plus mais à peine 7 000 chômeurs indemnisés de plus. Soit une différence de 120 000 personnes qui sortiront de l’indemnisation ! C’est déjà insupportable. Mais le MEDEF refuse de cotiser davantage alors que le chômage augmente. Pour lui, une éventuelle réforme de l’indemnisation du chômage doit se faire « à coûts constants ». C’est-à-dire qu’il faudra raboter les droits des chômeurs actuellement indemnisés pour pouvoir indemniser ceux qui aujourd’hui survivent avec le RSA. Déshabiller Pierre pour habiller Paul. On connaît. C’est inadmissible.

Depuis des années, le MEDEF radote ces vieilles lubies. Les gouvernements de droite et des ministres comme Xavier Bertrand étaient de fervents relais de ce genre de réclamations. Le CDI serait trop rigide, licencier serait trop difficile, il n’y aurait pas assez de flexibilité, etc. Des dizaines de nouvelles dispositions dans le code du travail ont été introduite pour répondre à ce genre de demandes. Pourtant depuis des années, la précarité se développe et le chômage augmente quand même. Et ce phénomène est européen. Alors que la récession est plus forte en Grèce qu’en Espagne, la hausse du chômage est aussi dramatique en Espagne qu’en Grèce ! Pourquoi ? Parce que l’Espagne a un marché du travail plus "flexible", c’est-à-dire plus précaire, que la Grèce. Un signe de plus que la précarité ne protège pas du chômage, elle l’accroît ! La Banque centrale de l’Etat de New York a dû le reconnaître dans une étude comparative entre les deux pays. Voilà bien une autre façon pour moi de répéter que c’est le progrès social qui est la condition du progrès économique et non l’inverse.

La question du contrat de travail et de la précarité est absolument centrale dans la période. Tous les plans d’austérité européens comprennent des mesures de précarisation des salariés. La négociation en cours aura les conséquences immenses dans la vie de tous les salariés et chômeurs du pays. La précarité frappe déjà durement. 75% des embauches se font en contrats précaires. La fin de contrats précaires représentent plus du tiers des motifs d’entrées à Pôle emploi. Et il faut y ajouter un million de "ruptures conventionnelles" de contrats de travail depuis la création de ce mécanisme en 2008 ! La "flexibilité" est déjà extrêmement répandue, même beaucoup trop. Ce qu’il faut, c’est éradiquer la précarité. Le contraire de la pente prise depuis plusieurs décennies.

Le gouvernement est au pied du mur. Aidera-t-il les salariés ou les patrons dans ce bras de fer ? Il doit, bien sûr, clairement s’opposer à toute décision qui augmenterait la précarité des salariés. Mais le fera-t-il ? Il ne peut pas se défausser sur un éventuel accord signé par quelques syndicats avec le patronat. Si un accord est signé, les parlementaires ont le droit, et le devoir, de l’examiner au regard de l’intérêt général. Et s’ils jugent que l’accord est contraire à l’intérêt général, ils ne doivent pas le transcrire dans la loi. Cette logique, c’est la méthode républicaine du progrès social. Vous savez que je l’ai longuement expliqué pendant la campagne présidentielle, notamment dans mon discours de Villeurbanne. A l’époque où les médias fabriquaient l’affaire de la viande hallal et de la viande kasher pour aider madame Le Pen à exister et pousser vers elle les milieux populaires, nous appelions à comprendre les enjeux sociaux du moment !

Je ne suis pas le seul à défendre ce point de vue. Cette question n’est pas une querelle entre responsables politiques et responsables syndicaux pour savoir qui décide. Plusieurs syndicats défendent la supériorité de la loi sur le contrat. Et ils reconnaissent donc le droit pour le Parlement d’amender ou de rejeter un accord collectif, même national et interprofessionnel. Parmi ceux-ci, le premier syndicat de France, la CGT. Son secrétaire général Bernard Thibault l’a dit très clairement à la presse jeudi 13 décembre : « Le nombre de signataires potentiels ne suffit pas à rendre l’accord légitime pour autant et à condamner le législateur à le transposer à l’aveugle. Le dernier mot doit appartenir au législateur ». Voilà comment un syndicaliste prend en charge la démocratie républicaine au moment où les sociaux-libéraux et la droite l’abandonnent.


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