Le totalitarisme, concept de guerre froide

samedi 12 janvier 2013.
 

Pour en finir avec le totalitarisme, de Roger Martelli. Éditions La ville brûle, 2012, 160 pages, 10 euros. Enseignant, chercheur et militant, Roger Martelli associe ses différentes compétences pour nous présenter un ouvrage à la fois percutant et argumenté sur la question du totalitarisme. Partant de son usage extensif dans l’enseignement secondaire, il retrace de manière suggestive l’intrusion puis la généralisation du terme dans les manuels qui traitent de l’histoire du XXe siècle. Il en souligne les effets désastreux qui amènent à gommer ce qu’a été la spécificité du nazisme, son idéologie raciste comme ses pratiques de répression inhumaines.

Sur ce point, il rappelle opportunément ce que les chercheurs ont révélé, ces dernières années, de la machine de mort nazie, fondée sur une doctrine cohérente associant le projet colonisateur, exterminateur et contre-révolutionnaire. L’obsession du judéo-bolchevisme, loin d’être irrationnelle, est au cœur d’un système inscrit dans une histoire nationale dominée par les stigmates de la Première Guerre mondiale, au terme de laquelle la population allemande avait, pour un temps, soutenu la révolution allemande.

Hanté par le retour de la révolution, le nazisme met en œuvre un plan d’exploitation des peuples et de domination des nations au service de la seule Allemagne, dont il s’agit d’acheter la soumission afin qu’elle accepte l’inhumanité d’un projet national fondé sur l’esclavage et l’extermination de tous ceux qui sont censés le menacer.

Pour autant, Roger Martelli ne fait pas l’impasse sur le stalinisme, auquel il consacre un chapitre spécial, dans lequel il recense ses erreurs et ses crimes. À la lumière des recherches récentes, il souligne combien l’analyse historique des soixante-dix ans de la Russie soviétique implique une approche différente de celle du fascisme.

L’auteur invite pourtant le lecteur à s’engager dans une voie plus exigeante de la réflexion, en soulignant l’importance de la démarche critique à l’égard de l’expérience soviétique. Tout en prenant en compte le projet initial révolutionnaire, son ambition transformatrice et progressiste, comment ne pas évaluer la dramatique régression autoritaire, les crimes de masse commis au nom de la construction d’une société nouvelle  ?

Pour autant, les combats du siècle, la lutte à mort entre l’Allemagne nazie et la Russie soviétique, ne permettent pas de tout confondre explique l’auteur, qui note que la victoire idéologique du libéralisme prônant la confusion de tous les totalitarismes s’est nourrie de la peur que le système soviétique ne trouve les moyens de se réformer après qu’il a tenté de se distancier du stalinisme.

Le terme de totalitarisme, qui masque la spécificité du nazisme et permet de réaliser en creux l’éloge sans réserve du libéralisme, n’apparaît pas plus pertinent pour penser les avatars des expériences révolutionnaires du XXe siècle. Au bout du compte, il apparaît utile de renvoyer cette terminologie à l’univers idéologique de la guerre froide, qui a permis son expansion. Au moment où l’idéologie néolibérale a perdu de sa force propulsive, il est opportun de mettre à distance une terminologie qui l’a légitimée.

L’auteur rappelle opportunément ce que les chercheurs ont révélé, ces dernières années, de la machine de mort nazie, fondée sur une doctrine cohérente associant le projet colonisateur, exterminateur et contre-révolutionnaire.

Serge Wolikow, historien, L’Humanité


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