Fabrice Luchini, Révolution française et revenu maximum

samedi 26 janvier 2013.
 

GQ ! Ce soir-là je suis allé au Musée d’Orsay pour la soirée de remise des oscars du magazine GQ. J’y jouais le rôle de « l’homme politique de l’année 2012 ». Pour le style. Oui parlons de style.

Le « style » c’est le moment où le fond rejoint la forme et donne à voir un tout. J’ai créé un style selon cette rédaction. Entre un mathématicien, un grand cuisinier, et ainsi de suite.

Ainsi de suite ? C’est-à-dire, vu de ma place à table et dans la salle des « lauréats », il s’agit surtout de Fabrice Luchini, réactionnaire assumé, qui entretient avec moi un rapport du type qui unit la mangouste et le crotale. On devine la mutuelle attraction, l’assaut du jeu des cabotinages, la joute serrée des mots et des références littéraires. Luchini n’aime pas Robespierre à qui il me compare autant par jeu que pour se situer. Ce fut notre sujet. Il me promit des lectures et j’en fis de même. Il me demanda conseil pour lire sur la Grande Révolution parce que je crois que je la lui ai présentée sous un jour nouveau. J’hésitais. Lui proposer Jaurès, Soboul ou plus directement Hazan me sembla trop anguleux pour lui. Je suggérais Michelet quoique je ne sois pas du même angle que celui-ci, et de très loin. Mais je me suis dit qu’un acteur et un littéraire entrerait plus facilement dans la beauté de ce moment de l’histoire par une évocation fortement teintée de lyrisme comme celle-là. Le tout est de lui mettre l’eau à la bouche, en quelque sorte.

Bien sûr on parla à table du revenu maximum annuel à trois cent mille euros. « Avant ou après impôt » me demande Luchini. Je lui explique que la tranche à cent pour cent est inclue dans le barème de l’impôt. Les trois cent mille euros restent acquis ! Peut-être l’ai-je rassuré ! Pourquoi cette somme, comment, et ainsi de suite. Je ne dis pas que j’ai convaincu mais je vois bien que l’idée est alors comprise dans son sens exact : ni une punition ni une aigreur sociale mais un choix de vie en société où il est mis une limite à l’accumulation et aux consommations ostentatoires. A noter : stupeur de la tablée d’apprendre que le revenu maximum fut voté la nuit du 4 aout quand furent abolis les privilèges féodaux. Le maximum à l’époque avait été fixé à 3000 livres de rente. Luchini n’a pas de raison a priori de nous être hostile.

Et parmi tous ces gens que je vois là, si certains ne seront jamais de notre bord ni d’aucun appui politique, combien cependant sont venus me dire qu’ils votaient avec nous et comptaient sur nous. Mais oui ! Vous ne le croiriez pas. Moi aussi j’étais scotché. Et je ne parle pas seulement de ceux qui servent à table, ouvrent les portes qui étaient tous, parfois imprudemment selon moi, chaleureusement heureux des salutations que nous nous fîmes contre l’usage qui fait ignorer les « petites mains » dans ces sortes de soirées. Je parle de quelques-uns des beaux messieurs et belles dames avec qui j’ai passé la soirée et partagé le repas. Quant aux autres, quoi ? Ils sont aussi notre pays. Il importe aussi qu’ils comprennent ce que nous allons faire et pourquoi nous voulons le faire. Surtout s’ils ne veulent pas en entendre parler. Et puis je suis rentré chez moi dans un Paris au froid de loup. Ce matin, au métro vers la gare de l’est où j’allais prendre mon train pour retourner à Strasbourg, un homme dormait par terre dans le hall avec son chien. Les Cendrillons d’hier savaient-ils que tous les carrosses redeviennent des citrouilles après minuit dans ce monde ci ?

Ce matin un sms de victoire. Les camarades m’apprennent que les Pilpas ont gagné au tribunal. Peut-être mes lecteurs se souviennent-ils que je m’étais rendu dans l’entreprise en décembre pour soutenir la lutte, juste avant le meeting à Toulouse contre l’austérité ! Donc voilà : le plan social est rejeté. L’employeur est condamné à payer 2500 euros de frais de justice. Ces Pilpas vont sans doute fêter ça. C’est si dur de tenir en lutte ! Tout tient à la capacité du groupe humain à rester soudé. En tenant compte des contraintes qui pèsent sur chacun, et qui ne sont pas toujours dites car la pudeur est là aussi. Une victoire c’est comme un matin de printemps : plein de promesses. La cohésion se renforce, on prend confiance en soi. Mais je suppose qu’il faudra aussitôt penser la suite. Car les décisions de justice favorables aux travailleurs sont méprisées par les puissants. Ils comptent sur l’usure et l’angoisse du lendemain qui ronge les salariés. Ce mépris ne leur coute rien car il est rarement sanctionné. Et le nouveau gouvernement n’aide jamais. On se souvient du sort des Sodimédical et de leurs trente-deux victoires judiciaires. Et on se souvient du « on ne vous oublie pas » que le président Hollande leur avait lancé quand les salariées étaient venues l’interpeller à la foire de Chalons sur Marne. Pour finir, on sait la suite ! Si l’accord avec le MEDEF passe, les courageux qui peuvent bloquer individuellement un « accord d’entreprise » qui diminue les salaires ou allonge la durée du travail seront réduits au silence. D’autant que le texte signé prévoit que les licenciements se feront non plus sur des critères généraux, par exemple l’ancienneté dans l’entreprise, mais sur une évaluation des compétences professionnelles. Vague à souhait, cette disposition est faite pour pousser chacun à penser d’abord à sauver sa peau en compétition avec les autres. On devine le résultat sur l’action collective ! La lutte des classes….


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