Jean-Luc Mélenchon en Tunisie : Notre meilleur hommage à Chokri c’est de continuer le combat

mercredi 27 février 2013.
 

A l’heure où ces lignes sont écrites, Jean-Luc Mélenchon s’est déjà exprimé au centre culturel de l’Institut français d’Alger. Il est à présent au Maroc. C’est donc Laurent Maffeïs qui prend momentanément le relais de l’écriture sur ce blog. Il a participé en Tunisie à la première étape du voyage des conférences sur l’Ecosocialisme au Maghreb. Laurent a été relayé en Algérie par Mounia Benaili. Au Maroc ce sera Corinne Morel-Darleux. L’ensemble du déplacement est coordonné et suivi par Alain Billon, le président de la Commission Maghreb-Machrek du Parti de Gauche. C’est lui qui a noué patiemment depuis le congrès du Mans du PG, ces relations approfondies avec de nombreux partis maghrébins qui rendent possible ce déplacement. Beaucoup de militants et de dirigeants de ces organisations ont d’ailleurs signé l’appel international à voter pour Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne présidentielle. Beaucoup d’entre eux seront présents lors du Congrès du PG fin mars à Bordeaux. Ces relations ont pris une dimension historique nouvelle depuis que les peuples du sud de la méditerranée sont à leur tour entrés dans un cycle de révolution citoyenne. Selon nous il ne fait que commencer. Une nouvelle étape de ce travail internationaliste avait aussi été franchie avec la première conférence méditerranéenne de l’autre gauche, tenue à Palerme en octobre 2012, à laquelle le Parti de Gauche a activement participé. A présent c’est un échange sur le fond qui s’organise autour de la présentation des thèses sur l’éco-socialisme. Les lignes qui vont s’afficher pendant plusieurs jours seront donc des compte rendus de voyages. Une autre façon d’informer et de partager.

Après Buenos Aires, Londres et Rome, Jean-Luc Mélenchon poursuit donc au Maghreb son cycle de conférences internationales sur l’éco-socialisme. Comme ce blog s’en est fait l’écho régulier, la démarche initiée lors des premières assises pour l’éco-socialisme a débouché sur la publication d’un premier Manifeste éco-socialiste en 18 thèses. Cette démarche se développe aussi sous la forme d’assises régionales rassemblant non seulement des militants de la gauche et de l’écologie politique mais aussi des associations et des syndicalistes. En visant l’intérêt général humain qui est mis en lumière par la crise écologique du capitalisme, ce manifeste porte un message résolument universel. Il propose ainsi une réponse radicale et concrète aux problèmes communs des peuples confrontés aux impasses du capitalisme financier, du productivisme et du libre échange. Ce manifeste a donc vocation à être porté et décliné dans d’autres pays que la France. C’est une des raisons pour lesquelles Jean-Luc Mélenchon avait prévu d’intervenir cette semaine dans le Maghreb, successivement à Tunis, Alger et Rabat. Ces déplacements préparent aussi la première réunion du Forum mondial pour la Révolution citoyenne prévu en avril et dont ce blog s’est aussi fait l’écho. Cette tournée maghrébine prolonge enfin l’engagement de la campagne présidentielle du Front de Gauche pour la refondation solidaire des relations entre la France, l’Europe et le Maghreb. Elle prolonge la bataille culturelle pour faire France de tout bois, notamment face à ceux qui voudraient importer la logique du choc des civilisations entre les deux rives de la méditerranée. Comme antidote, il suffit de se pencher sur la réalité sociale et humaine maghrébine pour mesurer à quel point les peuples du Maghreb et du sud de l’Europe forment par de nombreux aspects une société commune. Une convergence de situations encore accentuée par l’application des politiques d’austérité en Grèce, au Portugal, en Italie, en Espagne et en France.

Récit du dimanche 1er février, 1er jour en Tunisie. La venue de Jean-Luc Mélenchon en Tunisie a évidemment changé de nature avec l’assassinat politique d’un des leaders du Front populaire tunisien Chokri Belaïd. Les jours qui ont suivi cette exécution ont été présentés photo 1 marée humaine chokripar les médias dominants comme l’occasion d’un déferlement de sentiments anti-français en Tunisie en réaction aux déclarations stupides de Manuel Valls. La réalité locale avait pourtant fort peu à voir avec cette bulle médiatique. La colère du peuple tunisien après l’assassinat d’un de ses leaders révolutionnaires s’est exprimée de manière à la fois pacifique et massive dès le lendemain. 1,4 millions de Tunisiens ont ainsi manifesté dans les rues des différentes villes tandis que l’économie du pays était paralysée par une grève générale historique à l’appel de l’UGTT. A côté de ces mobilisations civiques sans précédents, les lamentables provocations de quelques intégristes en marge des obsèques relevaient plus du fait divers que de l’événement politique. Tout comme la soi-disant manifestation contre l’ingérence française tenue dans le centre de Tunis samedi après-midi. Alors que le parti Ennahda au pouvoir avait appelé à la mobilisation et que des ministres islamistes avaient même fait le déplacement, cette manifestation n’a finalement rassemblé que 3000 personnes. Les médias ont pourtant cru intelligent de montrer un énergumène non identifié brûlant un drapeau français, scène qui ne correspondait pourtant à aucune réalité collective. Et alors que les images des JT affolaient les téléspectateurs français, c’est une atmosphère de recueillement et de retenue qui régnait dans les rues de Tunis en cette fin de journée. Reste que Manuel Valls a encore perdu dans cette affaire une occasion de se taire. Lui et le PS sont les plus mal placés pour dénoncer le "fascisme islamique" en Tunisie. Ont-ils oublié que leurs amis du parti social-démocrate Ettakatol, membre de l’Internationale socialiste, gouvernent avec les dits islamistes ? Et que c’est même grâce à eux notamment que les islamistes disposent encore d’une majorité parlementaire alors qu’ils sont minoritaires dans le pays ? Plutôt que de s’occuper des violences en Tunisie auxquelles il ne comprend rien, Valls ferait mieux de faire cesser les violences que subissent en France les syndicalistes en lutte.

Venant de la France, c’est d’un tout autre message que les progressistes tunisiens ont besoin dans leur lutte quotidienne pour la liberté et la souveraineté. C’est cette solidarité concrète que Jean-Luc Mélenchon a voulu faire vivre dès les premières heures de sa présence en Tunisie dimanche 10 février. Déjà mercredi 6 et jeudi 7 février, les camarades du Parti de Gauche et du Front de Gauche avaient été en première ligne pour exprimer leur indignation et leur solidarité avec le peuple tunisien lors des rassemblements organisés à Paris mais aussi à Marseille et dans d’autres villes. Les militants tunisiens ne s’y sont pas trompés. Dès sa descente de l’avion, Jean-Luc Mélenchon étaitphoto 8 cimetière dépot gerbe accueilli par des délégations des forces qui font vivre la résistance démocratique en Tunisie. Une délégation du bureau politique du parti PPDU (patriote-démocrate) de Chokri Belaïd était accompagnée d’une groupe de ses jeunes camarades portant silencieusement des affiches de celui qui est devenu un martyr de la liberté. Une affiche rouge de résistance qui a fleuri dans tout Tunis mais aussi dans les magasins et sur les manteaux sous forme d’autocollant. Au-delà du parti de Chokri, une délégation des autres forces du Front populaire était aussi présente avec leurs drapeaux rouges où, comme sur celui de notre Front de Gauche, le Front populaire s’écrit en lettres blanches. La centrale UGTT avait aussi dépêché son secrétaire général adjoint pour cet accueil à l’aéroport. Sans oublier la délégation du Forum Tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) conduite par son président Abderrahmane Hedhili. Ce sont en effet ces militants du mouvement social qui sont à l’origine de l’invitation de Jean-Luc Mélenchon à tenir ici une conférence qu’ils ont magnifiquement organisée.

En accord avec les camarades de Chokri, Jean-Luc Mélenchon commença par se rendre auprès de sa famille, dans le HLM de la cité populaire El Menzah 6 au pied duquel il a été abattu mercredi matin en sortant de chez lui. Lors de cet échange, la veuve de Chokri,jlm famille bis l’avocate Besma Khalfaoui dira à Jean-Luc à quel point Chokri prenait plaisir à le regarder à la télévision chaque fois qu’il le pouvait. Son franc-parler et ses batailles contre l’impunité des puissants avaient donné à Chokri une audience considérable dans le peuple tunisien bien au-delà des adhésions politiques partisanes. Il exerçait ici à sa manière cette fonction tribunicienne qui permet de remettre le grand nombre en mouvement en dépit de la chape de plomb de l’idéologie dominante et de la résignation. Ne reculant devant aucune bataille, il avait par exemple défendu la chaîne Nessma TV poursuivie pour blasphème par les intégristes pour avoir diffusé pour la première fois au Maghreb le film Persépolis. Il savait aussi que l’éveil révolutionnaire des consciences resterait impuissant sans l’organisation de forces politiques tournées vers l’action. Chokri était donc, avec ses camarades patriotes-démocrates un militant infatigable de la construction et de l’élargissement du Front populaire. En se rendant ensuite sur sa tombe au cimetière du Djellaz, Jean-Luc Mélenchon leur redira combien ils peuvent compter sur nous pour ne jamais céder face à ceux qui croient nous faire taire. Au nom du Front de Gauche, notre délégation du Parti de Gauche déposa alors une gerbe rouge sur la tombe de Chokri.

Notre meilleur hommage à Chokri étant de continuer le combat, l’étape suivante de cette première journée à Tunis fut une rencontre de travail avec une délégation des partis du Front populaire, au siège de l’un d’entre eux, le Parti des Travailleurs de Tunisie dont Hamma Hammami est le secrétaire général. Alors que de vastes recompositions sont en cours sur la scène politique tunisienne au nom de la défense de la démocratie, le Front populaire porte l’exigence de ne jamais séparer cette bataille démocratique de sa finalité sociale. Sans quoi le risque est grand que le peuple, touché de plus en plus massivement par la misère en Tunisie, fasse défaut dans la bataille pour la démocratie elle-même. Ou même que sa colère se trompe de chemin par défiance vis à vis d’une bourgeoisie "moderniste" largement dépourvue de programme social. Hamma Hammami a aussi insisté sur la nécessité pour le Front populaire de s’inscrire dans une perspective concrète de conquête du pouvoir. Il faut mesurer l’importance de ce choix pour des militants de gauche radicale qui ont vécu des années dans la clandestinité. Loin du témoignage d’extrême gauche, le Front populaire a ainsi fait le choix d’un large rassemblement permettant de construire une nouvelle synthèse politique qui réponde radicalement aux problèmes rencontrés par le peuple tunisien. Ce Front regroupe déjà douze organisations issues de toutes les traditions de la gauche tunisienne : communistes, écologistes, patriotes démocrates, socialistes, trotskystes, nationalistes arabes, maoïstes etc. Pour peser concrètement dans le rapport de force des mobilisations démocratiques en cours, le Front populaire a ainsi décidé de participer et de faciliter les cadres d’action unitaires pour la démocratie et les libertés. C’est ainsi eux qui ont accueilli dès mercredi dernier une réunion de toutes les forces d’opposition qui décidèrent en commun d’appeler à la démission du gouvernement et de relayer le mot d’ordre de grève général, avec le succès que l’on sait.

La fin de cette première journée fut enfin marquée par une rencontre informelle à laquelle le président Marzouki avait souhaité convier Jean-Luc Mélenchon. L’occasion de mieux comprendre la situation politique tunisienne dans sa complexité, vue par un intellectuel qui ne cessa d’entretenir la flamme de la liberté sous la chape de plomb de Ben Ali.


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