Au Maroc, l’écosocialisme et la Méditerranée

vendredi 22 février 2013.
 

Récit du voyage de Jean-Luc Mélenchon au Maroc, par Corinne Morel-Darleux.

Arrivée au Maroc accueillie par un croissant de lune mercredi soir, le sourire aux lèvres. Voyager, c’est à chaque fois décaler un peu le temps et l’esprit, prendre une grande inspiration, faire le pas de côté essentiel pour se décoller le nez. Confronter aussi ses présupposés à la réalité… Et au Maroc, tous les ingrédients sont réunis pour donner envie d’aller y voir de plus près.

Ici, sur les rives de la Méditerranée, flotte encore le parfum du printemps arabe et du mouvement marocain du 20 février. Ses répercussions politiques, comme en témoigneront les représentants de la société civile, syndicalistes, associatifs, représentants d’Attac et militants des droits de l’homme, politiques de gauche que nous allons rencontrer, n’ont pas fini de secouer la société marocaine. La parole des syndicalistes et associatifs se libère, l’autre gauche se rassemble et s’organise, des problématiques écologiques et sociales comme l’accès à l’eau et sa gestion publique grandissent. Ajoutez à cela qu’ici les deux tiers de la population a moins de 30 ans, que le pays est dirigé par un monarque et un gouvernement avec le parti islamiste PJD, et vous aurez une idée des raisons pour lesquelles nous faisons l’analyse que le Maroc est un des lieux où peut naître et grandir la révolution citoyenne. Le tout sur fond de mimosas, de palmiers et d’eucalyptus… Bref, bien décidée à ouvrir grands le regard, l’esprit et le cœur, à ne pas en perdre une miette.

A Casablanca je retrouve donc Jean-Luc Mélenchon et Alain Billon, notre responsable Maghreb-Machrek du PG. Eux ont déjà largement entamé cette tournée écosocialiste en Tunisie et Algérie. Ils me racontent l’ambiance à Tunis, le centre culturel d’Alger, et le programme chargé qui nous attend au Maroc. Le tout autour d’un plat de calmars frits dans un restaurant populaire de Casa, et la joyeuse interruption permanente de marocains qui viennent saluer Jean-Luc, toujours amicaux et respectueux, et nous remercier avec chaleur de la campagne présidentielle. C’est fou de se rendre compte à quel point tout ce que nous avons fait, à grandes foulées et le nez dans le guidon, a été suivi ici avec attention et beaucoup d’enthousiasme. Ici aussi nous avons par nos actions, sans toujours en avoir conscience, redonné espoir à plein de gens. Franchement c’est une chouette piqûre de rappel. Et tout au long de notre séjour nous serons ainsi stupéfaits de voir à quel point le discours du Prado à Marseille, mais aussi les images de la Bastille et notre discours contre le FN ont marqué les esprits. Jean-Luc est connu ici comme le loup blanc, on lui donne du « Président » à chaque coin de rue. Jusqu’aux journalistes qui une fois l’interview terminée reviennent sur leurs pas pour partager leur propre souvenir de campagne et repartir avec leur cliché-souvenir. On se prend à rêver…

Et c’est précisément avec trois journalistes que démarre notre périple marocain. Il s’agit du journal "L’économiste", qui attaque l’entretien sur ce qui différencie notre écosocialisme de la sociale-écologie du PS. Ah. Sociale-écologie ? Au PS ? Mais la seule Ministre porteuse d’écologie au PS, Nicole Bricq, a été débarquée en moins de deux dès qu’elle a commencé à ruer contre les forages off-shore en Guyane ! Soyons sérieux. Je ne développerai pas sur la pratique écologiste du gouvernement actuel, j’en fais chaque jour ou presque un communiqué, un tract, un billet. Puis un peu plus tard, nous sommes interrogés sur l’écologie profonde. Mais on ne peut pas passer son temps à se comparer aux mille et une tendances qui existent dans toutes les branches de l’écologie ! Comme le répond Jean-Luc, pour nous l’écosocialisme n’est pas une nouvelle métaphysique, ni une nouvelle idéologie de discussion de salon, c’est une réponse très concrète. Et puisque nous sommes sur ses rivages, nous allons beaucoup nous appuyer, tout au long de ces journées marocaines, sur l’exemple de la Méditerranée. De part et d’autre de la mer nous sommes tous interdépendants de cet espace naturel sensible. La Méditerranée forme une communauté économique, écologique et humaine pour nos peuples. Ainsi, à une journaliste qui l’interroge sur ses racines marocaines et son caractère « mélangé », Jean-Luc répond : « Mélangé ? Mais c’est le même peuple qui tourne en rond depuis 2000 ans autour de la Méditerrannée ! ». Et je repense à mon dernier passage à Marseille, le vieux port relooké en vaste surface de bitume, les Docks ouvriers repoussés au profit des « bronze culs » de l’Europe… Marseille ville méditerranéenne métropolisée de force par l’architecture et une forme d’urbanisme qui se veut moderne, qui tente d’aseptiser la ville rebelle. Qu’ils bétonnent et miroitent, Marseille restera une ville orientale ! Et pour en revenir à cette mer commune, si nous voulons éviter d’en faire un cloaque, il va falloir planifier et investir, et non laisser l’argent s’évaporer sous forme de dividendes. Alors certes, la conscience n’est probablement pas encore mûre sur ce sujet. Elle le deviendra probablement dès que les médias comprendront qu’il s’agit d’un sujet économique. En attendant, nous prenons notre part : car parler de la Mer ici c’est trouver une langue commune, rendre le discours audible et démontrer que notre projet écosocialiste n’est pas hors sol. C’est ainsi que loin de paraître incongru, le thème de l’écosocialisme, bien ancré dans le réel, a attiré 700 personnes dont beaucoup de jeunes à la conférence de Jean-Luc Mélenchon à Tunis et ce, en pleine effervescence citoyenne suite à l’assassinat de notre camarade Chokri Belaid.

Mais l’écosocialisme, il ne suffit pas d’en parler. Pour bâtir ce projet, nous avons besoin de forces autonomes, capables d’entrer en rupture avec le système, et de porter l’écosocialisme un peu partout dans le monde. Après Londres ou Sarrebruck, et avant le Forum de Quito en avril, c’est aussi le but de cette tournée au Maghreb : repérer les écosocialistes en puissance, témoigner de notre expérience du Front de Gauche, et donner du cœur aux camarades en rappelant que l’alternative est possible. Car de fait, comme nous le rappellerons à chaque occasion durant ces trois jours, les nôtres vont bientôt faire leur retour au Parlement en Italie, dont l’autre gauche avait été rayée depuis l’illusion de l’alliance entre la gauche et le centre. Le mouvement monte également au Portugal, où le Bloco et le PCP s’ils s’unissaient atteindraient pas loin de 25%, en Espagne avec Izquierda Unida, Syriza bien sûr en Grèce, et désormais l’espoir suscité par le Front populaire en Tunisie… Prochaine étape, le Maroc ! Nous avons donc rencontré les trois partis de l’Alliance démocratique de gauche, et la Voie Démocratique. Car la recomposition politique est en marche. Suite au mouvement du 20 février, le volet marocain du Printemps arabe, le Roi a proposé une nouvelle Constitution, soumise à référendum. Mais nos camarades ici nous expliquent l’illusion de renouveau. Ils nous racontent que toutes leurs propositions d’ouverture démocratique (commission autonome, accès aux médias, révision des listes électorales…) ont été refusées. En conséquence, plusieurs organisations politiques et syndicales ont refusé de prendre part à cette mascarade de démocratie et n’ont pas participé aux élections anticipées qui ont suivi, refusant bien sûr également de co-gérer le pays avec le parti islamiste PJD arrivé en tête. Parmi eux, les trois partis de l’Alliance démocratique de gauche qui sont en voie de regroupement vers ce qui pourrait ressembler à notre Front de Gauche et que nous avons longuement rencontrés. Ils disposent déjà d’une plateforme commune, se présentent ensemble aux élections. Leur objectif est désormais d’aller vers la constitution d’une véritable fédération avec des instances décisionnelles partagées et à terme, qui sait, un grand parti de l’autre gauche… La réunion de travail s’est prolongée par un accueil fraternel chez un de nos hôtes, autour d’un grand dîner à la marocaine. Entre pastilla et pâtisseries orientales, j’ai passé avec vif plaisir une grande partie de la soirée à discuter avec la nouvelle Secrétaire générale du Parti socialiste unifié, Nabila Mounib. Il est singulier de voir à quel point, malgré un contexte politique très différent, nous dressons la même analyse, sommes confrontées aux mêmes difficultés. Aux mêmes espoirs aussi. Nos indignations, nos combats et nos rêves sont les mêmes. Échange de coordonnées, je me promets de l’inviter à nos prochaines Assises pour l’écosocialisme.

Résidence de France à Rabat, un paradis de citronniers, d’eucalyptus et de palmiers dessiné par le dernier disciple de Le Corbusier. Comme il est étrange de penser que dans moins d’une heure nous allons rencontrer la CGT du Ministère des Affaires Etrangères… Nous rencontrerons également au cours de notre séjour l’Ambassadeur de France, l’USFP (Parti Socialiste local) qui a refusé de gouverner avec le PJD. Il sera également question de l’usine à bas salaires de Renault à Tanger, futur grand port de la Méditerranée en pleine expansion, du projet de grand Maghreb démocratique, de la ligne LGV Tanger-Casa accordée à Alstom en compensation des avions achetés aux Etats-Uniens, de la question Saharienne et des relations avec Alger, de l’absence de véritable séparation des pouvoirs politiques, religieux, économiques, médiatiques et judiciaires au Royaume du Maroc, d’éducation et d’arabisation dans les écoles et d’ambiance dans les facultés, de répression et de criminalisation des militants et de libertés…

Ce soir à Rabat, devant mille personnes, Jean-Luc démarrera sa conférence sur l’écosocialisme par la bifurcation anthropologique. Taux d’alphabétisation, accès à la contraception, tout ce qui crée le terreau d’une humanité plus libre. C’est bien là que ça se joue. Car notre projet écosocialiste est avant tout un humanisme, un idéal d’émancipation universel. Que nous aurons brièvement touché du doigt et auquel nous aurons apporté notre modeste pierre entre Casablanca et Rabat…


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