J’ai tant rêvé de toi (poème de Robert Desnos)

jeudi 4 avril 2013.
 

22 février 1944 Robert Desnos, poète, est arrêté par la gestapo

J’ai tant rêvé de toi

que tu perds ta réalité.

Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant

et de baiser sur cette bouche la naissance

de la voix qui m’est chère ?

J’ai tant rêvé de toi

que mes bras habitués en étreignant ton ombre

à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas

au contour de ton corps, peut-être.

Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante

et me gouverne depuis des jours et des années,

je deviendrais une ombre sans doute.

O balances sentimentales. J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute

que je m’éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l’amour et toi, la seule qui compte aujourd’ hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres

que les premières lèvres et le premier front venu.

J’ai tant rêvé de toi,

tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie.

Robert Desnos (Corps et Biens)


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