Pour Mélenchon, un chat est un chat même si le chat saigne…

samedi 22 mai 2021.
 

Marx nous a enseigné que si l’on veut décrypter une idéologie ou un discours, il faut nous référer aux conditions de vie matérielle d’existence des porteurs de cette idéologie.

Nous sommes habitués à ce que Jean-Luc Mélenchon soit taxé de populiste dès qu’il utilise un vocabulaire populaire.. Nous avions montré dans notre article clash-back sur les randonnées médiatiques de Jean-Luc Mélenchon,que cette accusation constituait l’axe principal de la propagande anti Mélenchon avant les élections présidentielles.

Si l’on veut vraiment avoir une approche sérieuse de la question du populisme, on peut écouter un débat très intéressant entre Julliard et Mélenchon sur la thématique Le peuple a -t-il toujours raison ? Ce débat a eu lieu à France Culture en janvier 2011.

En revanche, qu’ une expression aussi banale que " coup de balai" suscite des réactions critiques de la part des dirigeants du PCF est surprenant, du moins au premier abord, et suscite interrogations auxquelles nous allons essayer de répondre.

Le "coup de balai" a provoqué suffisamment de remous pour rendre nécessaire la parution de deux articles du quotidien communiste L’Humanité de manière à contextualiser l’expression jugée inopportune . On peut lire dans l’Humanité :Le "coup de balai" de Mélenchon en débat à gauche". "L’idée du coup de balai n’est pour moi ni la bonne expression, ni la bonne orientation" disait ce weekend Pierre Laurent. Critique renouvelée avec plus de vigueur encore ce lundi matin par André Chassaigne. Gênés aux entournures par la dureté du ton du co-président du PG, le PCF préfère parler du fond. « Le message que nous devons envoyer est un message de fond sur le programme du gouvernement et pas quelque chose qui peut être mal interprété ».

Pourtant le « coup de balai » est une expression couramment employée à gauche. Un lecteur attentif, Claude Testanière, qui nous propose quelques exemples. Le 18 Fructidor (4 septembre) 1797, le directoire estime qu’un « coup de balai » est indispensable contre royalistes. Auguste Blanqui a lui-même utilisé cette expression dans son journal Le Père Peinard, fondé en 1880 : « Lorsque viendra par conséquent le grand coup de balai ? ». Claude Testanière défend ici l’usage de l’expression « coup de balai » comme intervention populaire pour demander la révocation d’élus.pas…"

Lire la suite ici.

Ce genre de remarque médiatisée est évidemment reprise par le journal de Bruno Ledoux et Édouard de Rothschild, (je veux dire Libération), qui titre : "Affaire Cahuzac : Mélenchon pour la « purification » éthique" (5 avril 2013)

Après avoir évoqué "en toute objectivité factuelle" les débuts de trotskiste de Mélenchon et les propos considérés comme injurieux vis-à-vis de ses "anciens camarades", on découvre alors "les réticences des camarades" (en l’occurrence, ceux du PCF), etc. « Parler de coup de balai, ça me blesse, répond André Chassaigne, président du groupe Front de gauche à l’Assemblée. C’est un slogan inacceptable aux relents de populisme. Il encourage chez les gens un rejet global de la politique. » Les communistes promettent des « débats » et des « explications » sur le mot d’ordre du 5 mai…." L’article fait alors référence à un autre article de Libération intitulé : "Pierre Laurent (PCF) préfère le « coup de braquet à gauche » au « coup de balai »"

De même, sur le site de France 3 Auvergne, on peut lire : Les "phrases outrancières, les petites phrases, la politique spectacle, ça n’alimente pas des solutions politiques" a dit André Chassaigne sur France Inter lundi matin en parlant de Jean-Luc Mélenchon. Invité de Pascale Clark, le député communiste du Puy-de-Dôme a ajouté que "quand on dit qu’il faut un grand coup de balai, la solution n’est pas là". "Je le dit tout à fait tranquillement, je ne le (ndlr : Jean-Luc Mélenchon) casse pas" a précisé André Chassaigne"

Remarquons que les chaînes régionales de France 3, n’éprouvent pas souvent le besoin d’inviter un représentant du Front de gauche pour parler des luttes sociales ou des réunions citoyennes animées par celui-ci.

Les responsables communistes n’étant pas des imbéciles qui ne sont pas complètement inconscients des conséquences négatives que peuvent avoir l’affichage de leurs propos critiques dans la presse de l’argent L’Humanité recadre le débat et fait paraître un article intitulé : "Mélenchon appelle à "une marche citoyenne le 5 mai" pour la VIème République Heureusement, les deux articles de l’Humanité permettent de relativiser les choses et de revenir à l’essentiel.

Mélenchon, sur son blog, un peu surpris par la virulence de ces réactions du PCF et des socialistes, rappelle que : " En septembre 2011, Ségolène Royal, exprimait son indignation à propos des affaires qui impliquaient la sphère Sarkozy. Elle s’était exprimée dru et cru : « A ce stade d’accumulation d’affaires et d’atteintes graves portées à la morale publique, la seule solution, c’est un bon coup de balai à ceux qui dirigent si mal le pays, font honte à la France ». Aucune des indignations qui m’accablent ne s’exprima. Les socialistes qui pérorent sur ce mot « balai » pour en faire un épouvantail par référence aux années trente et aux fascistes, ignorent que le thème du balai était précisément le leur dans les années trente ! C’était d’ailleurs aussi celui des communistes dans les années vingt ! D’une certaine façon rien n’est donc plus banal que ce balai que l’on va voir dans la rue d’autant plus nombreux que glapissent les tartuffes : « Cachez ce balai que je ne saurais voir ». En fait ce balai n’a aucune sorte d’importance doctrinale pour nous. C’est juste une expression. Ce qui compte c’est la marche du 5 Mai. Son caractère citoyen. Lire la suite

Alors que Mélenchon a été aussi taxé de "poujadiste de gauche" par Harlem Désir, rappelons ceci Lorsqu’en 2005 Bernard Cassen (il était à cette époque à la direction du Monde diplomatique) avait pointé du doigt un certain nombre d’éditorialistes mobilisés à faire de la propagande pour le oui dans tous les médias, à propos du référendum européen, il avait été taxé de poujadiste par le rédacteur en chef de l’époque de Charlie hebdo Philippe Val. Un article assez comique de ACRIMED décrivait la situation. (Voir ACRIMED )

Donc, utiliser un vocabulaire populaire, aussi banal que le "coup de balai", nommer un chat, un chat, tant bien même que le chat saigne, serait être populiste ou dégagerait des relents de populisme. Préférerait-on : "coup de plumeau ?" ou quelque chose comme " il est urgent de reconsidérer les fondations de nos structures institutionnelles" ? d’un ton peut-être plus montebourgeois ?

Pour ma part, je trouve l’expression "coup de balai" bien modérée et préférerais l’expression "coups de bulldozer", plus proche du langage des ouvriers du bâtiment et des travaux publics, rendant mieux compte de la nécessité de détruire les institutions de la Ve république pour en reconstruire de nouvelles. Il ne suffit pas de faire un toilettage au balai et à la serpillière des institutions féodales et délabrées où séjournent les petits seigneurs de notre temps qui sont en fait d’un autre temps. en fait, , mais en effet de construire une 6ème république. Mélenchon fait preuve de délicatesse. Par exemple lorsqu’il parle de "salaud, il précise : " au sens que Sartre donnait à ce terme". Ce langage tout à la fois populaire et châtié peut provoquer des réactions diverses.

Alors comment comprendre cette différence de langage entre les porte-parole du parti de gauche et notamment de Mélenchon et les porte-parole du PCF notamment de Chassagne ?

Avant d’aborder ce problème de forme, rappelons avant toute chose l’essentiel : les organisations du Front de gauche sont d’accord sur un programme commun de gouvernement appelé "L’humain d’abord". Mais ce n’est pas tout. Si l’on prend le temps indispensable de consulter les textes de base récents :
- Le texte de synthèse du 36e congrès du PCFde février 2013
- le texte de synthèse du 3ème congrès du PGde mars 2013 - le manifeste pour l’écosocialisme

On constate que ces textes se recouvrent en partie, son convergents, sont complémentaires. Je signale au passage qu’il serait absolument nécessaire que sur le site national du Front de gauche apparaissent les liens permettant de télécharger tous les textes de congrès et résolution des neuf composants du Front de gauche. On ne peut demander à des organisations de coopérer sur des bases claires et constructives sans mettre à disposition de l’ensemble des dirigeants et des militants ce qui constitue l’ossature idéologique de leur engagement commun.

La radicalité du langage de Jean-Luc Mélenchon à l’égard du PS et de la finance s’explique pour les raisons suivantes :

- Un mépris de François Hollande et du premier ministre à l’égard de la quasi-totalité des propositions faites par le FDG.
- Mélenchon veut se faire le porte-parole de la colère populaire concernant les licenciementsboursiers, les différentes répressions à l’encontre des salariés, la chasse aux sans-papiers et aux Roms accompagnée d’une multitude d’expulsions, l’absence de répression contre les spéculateurs et les fraudeurs fiscaux, le laisser-faire à l’égard des banques et de la finance, la corruption d’un certain nombre de représentants politiques, etc. La liste est suffisamment longue pour que le ton devienne violent et que Mélenchon se transforme en haut-parleur de la révolte.
- La nécessité de bien faire comprendre qu’il existe deux gauches, que le FDG ne peut être considéré comme une simple force d’appoint du PS, qu’il est autonome et que celui-ci a toutes les capacités pour devenir majoritaire et gouverner le pays.
- Ne pas laisser à la droite et l’extrême droite le monopole du mécontentement et de la critique verbale violente.
- La nécessité de répondre à une demande populaire d’ordre et de détermination dans un contexte de désordre économique et moral. (voir notre article : La demande populaire d’ordre : un enjeu électoral majeur
- Mélenchon est aussi le porte-parole de ceux qui, au Front de gauche, sont particulièrement attachés à l’idée d’autonomie à l’égard du PS et qui ne sont pas disposés à faire des alliances contre nature pour des raisons électoralistes alimentaires.
- Le temps passant, les citoyens considérant comme excessifs actuellement les propos de Mélenchon, finiront par se rendre compte lorsqu’ils vont être atteints de plein fouet par la et aux repos crise que celui-ci n’exagérait pas

Certes, sur le fond, le PCF est d’accord avec les critiques de Mélenchon mais reste réservé sur la violence de ses critiques pour la raison suivantes  :

- le compte n’y est pas certes mais certaines avancées ont été réalisées. Ainsi, l’Humanité titrait : André Chassaigne : "Nous avons ouvert des brèches" "Avec une nouveauté : le combat mené avec des députés issus d’autres rangs de la gauche sur des amendements signés ensemble. Nous avons ouvert les premières brèches. Des convergences politiques à gauche se sont manifestées pendant le débat. Cela a montré que l’on pouvait se rassembler pour dire au gouvernement : « Vous devez changer de cap, celui que vous avez pris n’est pas le bon. »" On retrouve ici la vieille stratégie du PCF : faire pression sur la direction du PS.
- il existe au sein de la majorité socialiste des divergences internes entre élus et même entre membres du gouvernement que pourrait exploiter le FdG comme l’indique la citation ci-dessus.

- de nombreux représentants communistes ont été élus grâce à des alliances locales avec le PS qu’il convient donc de ménager en s’abstenant de trop de virulence . Voici quelques chiffres pour expliquer cela :

- Nombre de parlementaires, de conseillers généraux et régionaux : pour le PCF 329, pour le PG 30

- Nombre de mairies dirigées par des communistes : 761, par le PG : 29

Source interview de Jean-Luc Mélenchon le 24/02/2013 sur Canal+. Voir la vidéo entre 6 mn 30 et 14 mn 30

Si nous examinons le cas particulier d’André Chassagne, très attentif au ton utilisé par Mélenchon, voici ce qu’écrit l’encyclopédie libre Wikipédia :

Tête de liste du Front de gauche en Auvergne (André Chassagne) pour les élections régionales de 2010, il remporte, avec 14,2 % des suffrages exprimés, le meilleur résultat de sa formation toutes régions confondues. Pour le second tour des élections régionales, le 21 mars, sa liste fusionne avec celles de René Souchon (PS-PRG-MRC) et de Christian Bouchardy (Europe Écologie).

Mais qui est René Souchon ? Il (René Souchon) se représente aux élections régionales de mars 2010. La liste qu’il mène est désavouée en interne par 56 % des militants socialistes du Puy-de-Dôme mais elle est finalement validée par les instances nationales du PS après quelques modifications dans sa composition.

Continuons avec André Chassagne : Candidat à sa propre succession dans la cinquième circonscription du Puy-de-Dôme sous l’étiquette Front de gauche pour les élections législatives de juin 2012, il est facilement réélu député, avec 41,2 % des suffrages exprimés au premier tour - malgré la concurrence de Martine Munoz, la candidate du PS - puis 67,5 % au second tour contre Maxime Costilhes, le candidat UMP. source : wikipédia André Chassagne

On comprend donc mieux avec ces éléments l’attitude modérée de Chassagne à l’égard du PS : il doit son élection au second tour des régionales 2010 à une intervention des instances nationales du PS, d’autre part il doit son élection comme député en 2012 au deuxième tour grâce au report des voix de l’électorat PS. André Chassaigne sait parfaitement qui est Mélenchon : ils étaient d’ailleurs ensemble en 2005 pour défendre le non au TCE. Il sait très bien que Mélenchon n’est pas un populiste. Non, cette divergence de forme verbale résulte d’une différence tactique  : il faut pouvoir préserver des convergences avec certains élus du PS et ne pas décourager le corps électoral réformiste de manière à préserver des alliances locales pour la conservation ou l’augmentation du nombre de sièges du PCF avec les conséquences financières que cela peut avoir sur la vie du parti. (Subvention de 15 millions d’euros pour le PCF soit environ la moitié de son budget).

Il est bien évident que la violence verbale de Jean-Luc Mélenchon peut être ressentie de diverses manières selon les catégories de population et du niveau d’exposition au bombardement médiatique. Il est tout aussi évident qu’un ouvrier victime d’un licenciement boursier ne recevra pas le message de la même manière qu’un retraité percevant une pension mensuelle de 3000 €. Si un jour cette pension est divisée par deux, le retraité n’aura plus la même perception des propos qu’il jugeait excessifs.

Mais au-delà des différences de forme qui peuvent être l’objet de discussions dans une organisation démocratique comme l’est le FdG, reste la question du fonds. Il ne pourrait être acceptable, sous prétexte de sauver quelques sièges, de trahir les engagements figurant dans le programme L’humain d’abord et dans les plates-formes de congrès votées démocratiquement par les partis respectifs.

La marche citoyenne pour la 6ème république à Paris organisée pour le 5 mai 2013, annoncée par le parti de gauche et par le parti communiste français montre bien qu’en dépit de quelques dissensions passagères, l’unité est toujours au rendez-vous au grand désespoir des états-majors et des petits soldats de la guerre cognitive déployée contre le Front de gauche par l’oligarchie financière et par sa machinerie médiatique .

Hervé Debonrivage


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