Protection de l’enfance et délinquance des mineurs

lundi 5 février 2007.
 

Jean-Pierre Rosenczveig est président du tribunal pour enfants de Bobigny en Seine-Saint-Denis. Il a publié, notamment, le Dispositif de protection de l’enfance (éditions Jeunesse et Droit, 2005)

Quelle est l’évolution de la délinquance des mineurs dans votre département ?

Indéniablement, la délinquance des mineurs a augmenté sur trente ans, comme celle des majeurs. Mais depuis 2000 elle décroît, même si la part prise par les mineurs dans la délinquance de rue reste très importante dans de trop nombreux lieux. Indéniablement, elle est devenue plus violente. Là encore comme celle des majeurs. Reste que la France n’est pas à feu et à sang du fait de la délinquance des jeunes. Pendant qu’on focalise sur elle, on ne parle de rien d’autre ! On l’a vu dans la dernière campagne électorale. Pour autant, il fallait réagir et on l’a fait dès 1992 à partir des pratiques impulsées en Seine-Saint-Denis et avec une efficacité réelle mais il aurait aussi fallu s’attaquer aux causes. Ne parlait-on pas déjà de fracture sociale en 1997 ?

L’ordonnance de 1945 sur les mineurs correspond-elle toujours à la situation ?

Oui, quitte à l’adapter à la marge comme on l’a déjà fait une trentaine de fois depuis 1945 pour tenir compte des besoins nouveaux qui ont pu émerger et de l’évolution des idées dans le domaine de la délinquance juvénile. La majorité sortante a porté déjà quatre réformes législatives depuis 2002, et son candidat déclaré à la présidentielle, porteur de la dernière réforme, nous en promet une autre s’il était élu. Soit cette majorité a été un mauvais législateur, soit la délinquance s’est fondamentalement transformée ! L’instrumentalisation du thème est visible : on surfe sur les affaires qui émaillent l’actualité pour porter autre chose, le débat sur l’immigration notamment. Non seulement l’ordonnance du 2 février 1945 reste valable dans ses fondamentaux -ne pas s’interdire de punir, mais privilégier une démarche éducative- mais par quoi pourrait-on le remplacer ? Il s’agirait tout simplement d’en terminer avec le droit pénal des mineurs applicable aux plus de 16 ans. En abaissant la majorité pénale à 16 ans -numéro de passe-passe dont il faudra rendre compte au plan international- on va artificiellement faire chuter la délinquance des mineurs mais on s’engage surtout dans une vraie rupture sociale qui peut se justifier mais qui mérite débat. L’homme moderne est-il adulte à 16 ans et peut-il assumer la plénitude de ses responsabilités civiles, civiques et politiques puisqu’on entend lui faire assumer les conséquences de ses actes délictueux ? Nos contemporains sont-ils prêts à ce que leur chère tête blonde ou frisée claque la porte de la maison à 16 ans, puisse acheter ou vendre ce qu’elle veut et ait le droit de vote ? Ces conséquences ont-elles été réfléchies ? Même si les enfants ont grandi physiquement, ils restent psychologiquement des enfants. Leur immaturité est palpable ! Bien sûr que les actes posés peuvent être dangereux mais notre droit ne réagit pas seulement à l’acte, mais à la personne ! Ou alors on change de société. Qui peut dire le contraire ? Au cas par cas l’ordonnance de 1945 permet de prendre en compte la maturité précoce. N’y touchons pas !

Que pensez-vous de l’extension des compétences judiciaires du maire ?

Au doute à l’égard des institutions pour répondre aux problèmes de société posés -on doute des juges des enfants sinon du procureur et du conseil général- on répond par l’instauration de la confusion. D’ici peu on ne saura plus où on en est : maire shérif, juge ou arbitre-garant ? On revient à avant 1789 : chaque « pays » ou commune aura sa loi et ses règles du jeu ! Tout cela parce qu’on ne sait pas comment s’attaquer aux racines du mal !

Et les centres éducatifs fermés ?

La question est moins ce qui se passe dans ces structures qui sont la version moderne des foyers des années 1945 avec bien plus de moyens qu’à l’époque, avec des professionnels en nombre qui encadrent physiquement des jeunes et s’opposent à eux. C’est sur le concept même que le bât blesse : structure éducative ou structure fermée ? S’il s’agit d’une structure physiquement fermée, il faut répondre aux termes légaux d’une privation de liberté : débat contradictoire, défense, droit d’appel ; mandat limité en matière délictuelle à un mois renouvelable une fois, personnel pénitentiaire... S’il s’agit d’un lieu éducatif on doit pouvoir en sortir librement quitte à assumer les conséquences de cette désobéissance, à savoir une vraie incarcération. En vérité, devant l’état de nos prisons, certains n’osent pas assumer l’incarcération. En d’autres termes -et la chancellerie dans une note interne ne dit rien d’autre- un CEF serait dans l’illégalité au regard de la décision du Conseil Constitutionnel et du droit européen s’il était impossible d’en sortir sur un acte de volonté. Les résultats obtenus par les CEF ne sont pas nécessairement à la hauteur des moyens engagés : parfois 800 euros par jour et par mineur et en moyenne 600. Rien que de normal : ils ne constituent qu’une étape dans une prise en charge. Qui peut encore affirmer, comme cela a été affiché comme instrument de propagande, qu’ils vont éradiquer le crime ?

Que faire ?

Je le répète inlassablement : on peut améliorer l’appareil répressif -et l’objectif de protection sociale est louable- mais il faut s’attaquer aux vagues qui viennent se briser sur ces murs. Où sont la politique familiale, la politique sociale, la politique citoyenne bien identifiée en juin 1998 au conseil de sécurité intérieure mais pas véritablement déclinée depuis ? Le summum est atteint avec le « la répression, c’est la meilleure prévention ! » Une certaine idée de la société qui n’a pas démontré son efficacité.

Propos recueillis par François Salaün pour « Profession Education »


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