Derrière le Printemps français, l’influence de l’institut Ichtus

mercredi 24 avril 2013.
 

Une nébuleuse, plus qu’un collectif. Un label, plus qu’un mouvement. Apparu il y a un mois, à quelques jours de la manifestation du 24 mars contre le « mariage pour tous », le Printemps français intrigue. La dégradation de l’Espace des Blancs-Manteaux (Paris) où se tenait le Printemps des associations de l’Inter-LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) dans la nuit de samedi 6 à dimanche 7 avril, ce sont eux. Le « réveil à l’aube » de la sénatrice UDI Chantal Jouanno, favorable à la loi Taubira, encore eux.

Le Printemps français ne s’en cache pas : il appelle à une « résistance à la Gandhi éventuellement illégale », selon le mot de sa porte-parole, Béatrice Bourges, lors d’un entretien au mensuel catholique d’extrême droite Monde et Vie. Dans ce numéro d’avril, un certain Philippe Darantière – dont l’implication dans le Printemps français a été relevée par Mediapart – est encore plus direct. Pour lui, « il n’existe pas d’autre solution que d’imprimer à ce mouvement une certaine radicalité qui serve aussi d’avertissement à la classe politique de droite ».

M.Darantière et Mme Bourges gravitent dans la sphère d’Ichtus, un institut catholique traditionaliste, héritier de la Cité catholique, un mouvement d’extrême droite, « contre-révolutionnaire », qui connut une certaine influence dans les années1950 et 1960. La Cité catholique se vit à l’époque « comme une école de cadres catholiques, ayant pour but d’éclairer, de susciter, d’animer, tout ce qui peut tendre à promouvoir une renaissance authentiquement française –donc catholique – dans l’ordre temporel », explique Marie-Monique Robin dans son enquête, Escadrons de la mort, l’école française (La Découverte, 2004).

Conférences

Mme Bourges évolue dans ce milieu. Représentante du Collectif pour l’enfant, elle a été démise de ses fonctions de porte-parole de la « manif pour tous » par Frigide Barjot, au lendemain de la manifestation du 24mars aux abords des Champs-Elysées. Mme Bourges venait publiquement de réprouver les propos de Mme Barjot condamnant les débordements et provocations auxquels s’étaient livrés quelques dizaines de militants d’extrême droite. Et elle avait dès le dimanche matin appelé à l’occupation des Champs-Elysées avec des tentes, hors des consignes officielles de la « manif pour tous ».

Mme Bourges – que nous avons tenté de joindre en vain – est une habituée du siège d’Ichtus. Son ouvrage contre l’homoparentalité, écrit dès 2008, figure dans la liste de livres prescrits par l’institut. Elle est à cette époque la conférencière attitrée sur ce thème. En 2007, elle anime un atelier sur cette question lors des universités d’été de l’institut. Cette année-là, Guillaume Peltier, aujourd’hui vice-président de l’UMP, mais à l’époque cadre du MPF villiériste, interviendra sur la « dissidence culturelle ».

Mme Bourges participe aussi à plusieurs meetings organisés par Ichtus « contre l’adoption par les homosexuels », qui sont autant d’occasions de rappeler la nécessité « d’agir, de se former, de constituer des réseaux ».

« Subversion permanente »

Le 13 octobre 2012, elle est l’une des intervenantes du colloque « Catholiques en action », organisé par Ichtus au lycée Saint-Jean-de-Passy, à Paris. « Les élections ont consacré la mainmise totale de la “subversion permanente” sur tous les pouvoirs politiques, dit la plaquette d’invitation. Il faudra donc, dans les prochains mois, intervenir sur tous les fronts : familles, écoles, communes, partis politiques, médias. (…) Un ravaudage électoral ne suffira pas. »

De son côté, Philippe Darantière, cet ancien militaire, est un familier des universités d’été d’Ichtus. L’une de ses interventions, « Pour une action politique catholique », fait toujours partie des DVD de formation de l’Institut.

L’expression « Printemps français » a été évoquée pour la première fois par Jacques Tremolet de Villers. Début février, il écrit dans Présent, le quotidien des catholiques traditionalistes proches de l’extrême droite, à propos de la mobilisation en cours contre le mariage gay : « Si on se faisait, en France, en 2013, un “printemps français” ? Comme d’autres se sont fait un “printemps arabe” ! C’est ça qui serait vraiment déroutant, neuf… la vraie surprise, l’incroyable ? » Cet avocat, qui a assuré la défense du milicien Paul Touvier, a été formé par l’Action française, comme le fut son maître, Jean Ousset, fondateur de la Cité catholique. C’est M. Tremolet de Villiers qui a fondé Ichtus pour prolonger l’œuvre de M.Ousset.

« Stratégie par capillarité »

La proximité d’Ichtus du Printemps français n’étonne pas Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite : « Avec le Printemps français, on retrouve la stratégie par capillarité de la Cité catholique. » Le chercheur associé à l’IRIS ajoute : « Le principe de base consiste à faire des adeptes dans ce qu’ils appellent les “corps sains de l’Etat”. C’est une double action : gagner des positions d’influence dans la société civile et former des décideurs, des élus. »

Bruno de Saint-Chamas, le président d’Ichtus, dément toute implication dans le Printemps français, même s’il affirme y « connaître des gens ». « Mme Bourges a travaillé avec des gens d’Ichtus, mais nous ne sommes pas une école politique. Nous sommes comme une station-service, les gens prennent ce dont ils ont besoin », résume-t-il. M. de Saint-Chamas avoue regarder tout cela avec « intérêt » et affirme que son institut a de plus en plus de demandes de formation. Un phénomène, dit-il, qui a commencé après l’élection de François Hollande, mais qui s’est accentué avec le mouvement contre la loi Taubira.

Prendre date

L’un des avantages du « spontanéisme » du Printemps français est que les mouvements peuvent s’y agréger, y pousser des pions et prendre date. C’est le cas du Bloc identitaire (BI). Ce parti d’extrême droite radicale n’est pas totalement éloigné de l’extrême droite catholique. Un de leurs compagnons de route, l’avocat Frédéric Pichon, y est très actif.

Si Philippe Vardon, l’un des dirigeants du BI, affirme « ne pas avoir de rôle direct » dans le Printemps français, mais ne nie pas que ses troupes « participent à tout ce qui se fait. Nous sommes en première ligne. On essaye d’être utile et de donner un coup de main. » C’est aussi l’occasion de prendre langue avec des militants qui se radicalisent, issus d’autres organisations, comme l’UNI (association étudiante proche de l’UMP, tendance « dure »). « Il y a de nouvelles convergences, des prises de conscience », résume M.Vardon.


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