« Nous vivons une situation dramatique » (Syndicaliste espagnol)

vendredi 10 mai 2013.
 

Le 1er mai est aussi un moment de rencontres, d’échanges. Dans le défilé organisé par la CGT, FSU et Solidaires, un syndicaliste espagnol. Il accompagnait des militants du Parti de gauche et notamment Philippe Juraver, membre du Bureau national. Rafael Tejero Herencia, c’est son nom, a accepté de témoigner de ce qui se passe aujourd’hui en Espagne. Il souhaite que les Français ne connaissent pas la situation que vivent les Espagnols et souhaite le succès du 5 mai en lançant ce message : « Ensemble nous vaincrons ! »

Bonjour Rafael, peux-tu te présenter ?

Bonjour, je suis Rafael Tejero. Je travaille à "Standard technologies", c’est une entreprise du secteur automobile. Elle fabrique des pièces en aluminium pour les voitures. Je suis syndicaliste. J’ai adhéré il y a longtemps à l’UGT (ndl : Union Générale du Travail, l’un des deux syndicats majoritaires en Espagne avec la CCOO, Comisiones Obreras ). Mais, depuis huit ans, compte tenu de la situation dans le pays, mon engagement est devenu plus intense et j’ai été élu par mes camarades pour les représenter.

Peux-tu nous raconter ce qui s’est passé dans ton entreprise et où vous en êtes maintenant ?

Cela fait déjà de nombreuses années qu’il y a des problèmes dans l’entreprise. Ça a commencé en 2008 avec la crise, mon entreprise comptait alors 550 personnes, elle a été vendue, elle a été divisée, ils en ont changé le nom, et maintenant nous sommes 160 travailleurs. Mon entreprise a fait un "ERE" (ndl = plan de licenciement) et elle a pris des mesures pour « coûter moins cher », être « plus compétitive » mais les problèmes continuent Il y 3 mois, l’entreprise nous a fait la proposition suivante : baisser notre salaire de 20% pour continuer à fonctionner, et nous les 170 familles. Nous avons voulu lutter, mais les gens en Espagne ont très peur et sur 160 familles, 100 n’ont pas voulu lutter. Certains voudraient bien luter mais ils pensent que s’ils luttent, on va les licencier. Avec la réforme du marché du travail il est maintenant très facile de licencier et de justifier le licenciement.

Nous avons cependant fait des choses concrètes, ceux qui ont pu. Nous nous sommes mis à l’entrée de l’usine, nous avons stoppé la production du site avec des drapeaux, avec des pétards, de la musique en revendiquant nos droits dans l’usine et nous avons fait des Assemblées pour les travailleurs.

Et maintenant...

Aujourd’hui, tous les travailleurs touchent en moyenne 200 euros en moins et mon entreprise continue à avoir des problèmes économiques et de productivité comme ils disent, mon entreprise doit faire beaucoup plus de production avec moins de coût et donc on continue à avoir les mêmes problèmes économiques, les mêmes problèmes de productivité mais en touchant 200 euros en moins. En fait, nous en sommes donc exactement au même point mais en touchant moins.

L’Espagne a connu deux grèves générales celle du 29 mars et du 14 novembre de l’année dernière, peux-tu nous en parler ?

Lors de ces deux grèves générales, nous nous sommes mobilisés au niveau de toutes les branches du syndicalisme dire que nous ne voulons pas des politiques d’austérité et de la réforme du travail. Lors de ces grèves, il y a eu de nombreux arrêts de travail, nous avons stoppé des sites de production, bloqué des routes, et beaucoup de gens ont participé.

Tu m’as parlé de peur , ici on a entendu des slogans "nous n’avons pas peur" "oui on peut", qu’en est-il ?

La réforme du travail fait peur aux Espagnols, elle te laisse à découvert, et les patrons peuvent te licencier en un rien de temps : si une entreprise prévoit trois trimestres de pertes par rapport au bilan précédent, elle peut te licencier. C’est l’une des clauses, mais il y en a d’autres tout aussi faciles comme la "mobilité fonctionnelle" (ndl = la mobilité forcée). Pour le patron, c’est devenu très facile de justifier un licenciement. Dans mon entreprise, le mois dernier, ils ont licencié 12 personnes, en utilisant la "modification substantielle"(ndl : modification des horaires de travail, de la journée de travail, du régime de travail par tour, du système de rémunération... lorsqu’elle dépasse les limites de la "mobilité fonctionnelle") par le changement des horaires, du jour au lendemain, même si ça fait plus de 20 ans que tu es dans la boîte.

Si tu ne l’acceptes pas, on te met dehors. La clause de la réforme du travail prévoit que si une entreprise a des pertes par rapport à l’année précédente, et ce, même si elle continue à gagner de l’argent, elle peut justifier des licenciements. On se retrouve alors avec des gens qui ont 30 ans d’ancienneté dans l’entreprise et qu’on met dehors pour 20000 euros.

Qu’en est-il de la répression syndicale ?

La pression antisyndicale, la persécution, le harcèlement syndical sont très forts, les délégués sont dans la ligne de mire aussi bien de l’entreprise que de la droite, de Rajoy et de son gouvernement. Ils veulent retirer les moyens aux syndicats car c’est la seule barrière entre eux et le peuple et on les gêne. Et maintenant, lutter dans un syndicat en Espagne, c’est très difficile et dès qu’ils en ont l’occasion, ils te licencient.

Que peux-tu nous dire de la situation espagnole, des luttes en cours, des "mareas"...?

En Espagne, depuis la crise économique et sociale, des groupes des mouvements ont été créés. Cela a commencé avec le mouvement du 15M (ndl : "les indignés").

Le mouvement 15M est un mouvement qui est contre les politiques d’austérité et les politiques qu’utilise actuellement le gouvernement espagnol mais qui est aussi un peu à part des syndicats, c’est un mouvement que nous pourrions qualifier d’"indépendant". C’est un mouvement que beaucoup de personnes ont suivi, de tous âges, des très jeunes aux très âgés et depuis, à la suite du 15M, se sont créées de nombreuses plates-formes. Par exemple, celle contre les expulsions (ndl : la PAH Plate-forme contre les expulsions) ou contre les licenciements dans les grandes entreprises... Elles sont très actives.

Il y a eu plusieurs manifestations importantes, plusieurs "mareas" comme on les appelle, pour aller jusqu’au Parlement pour y revendiquer là-bas nos droits. Des marches très longues. Les rendez-vous se faisaient par internet, pour que, arrivés au point de rencontre, il y ait beaucoup de monde. Chaque fois à l’arrivée, il y avait un important déploiement de forces policières, souvent même, il y avait plus de policiers que de manifestants. La répression policière en Espagne, est très forte. A toutes les manifestations et les "Mareas" que nous avons faites aussi bien à Madrid qu’à Barcelone, il y a eu une très forte répression policière. Dès que nous faisions quelque chose, ils chargeaient sur-le-champ. On ne nous permet pas de revendiquer, ils interviennent tout de suite et nous délogent.

Lors de ces manifestations, il y a tous les syndicats : éducation, santé, transport, industrie...

Les deux partis principaux, le PP et le PSOE ne sont pas les bienvenus, car les politiques qu’ils ont faites étaient justement antisyndicales et on ne leur a pas permis de venir. Il y a donc tous les syndicats et parmi les partis politiques Izquierda Unida (ndl : parti membre du PGE) mais qui reste pour le moment minoritaire.

Et maintenant comment tu vois les choses..

Nous ne savons pas exactement ce qui va se passer maintenant, ce que nous savons, c’est que ces politiques gouvernementales d’austérité qu’a menées Rajoy, ne fonctionnent pas..Zapatero (ndl : PSOE) avait déjà fait des coupes et il y avait 22% de chômage. Rajoy est entré avec une politique de coupes budgétaires et maintenant avec sa politique on en est à 27% de chômage et des prévisions où le taux de chômage pourrait atteindre 30%, la situation espagnole est donc dramatique, c’est le mot.

A mon niveau, des proches et des amis me disent qu’ils vont chercher de la nourriture parce qu’ils ne touchent plus le chômage. A côté de cela le gouvernement fait des cadeaux aux entreprises.

Tu nous as parlé de la situation politique et sociale du pays, où la colère augmente, quelle issue vois-tu à tout cela ?

J’espère que la société espagnole réagisse car nous vivons une situation extrêmement dramatique, la réaction que nous aurons sera aussi très radicale car la situation est réellement très mauvaise. En Espagne, on cherche aussi à nous "enfumer" dans les médias. Ce qui se passe avec les scandales de corruption, le cas Barcenas ou avec le beau-fils du roi Urdangarin, c’est une honte, ce sont de graves problèmes qui aggravent la situation du pays, mais on cherche aussi à les mettre en avant d’une manière très médiatique pour que nous, les Espagnols, nous prêtions attention à autre chose et pas à ce qui est réellement en train de se passer en Espagne : en attendant, on ne parle pas des expulsions, des enfants qui vont à l’école sans pouvoir manger, des familles qui n’ont plus rien à manger, des cantines sociales qui débordent de monde et réellement tous ces scandales de corruption, ça nous fait honte à nous, les Espagnols, mais c’est aussi utilisé pour masquer ce qui se passe réellement en Espagne au niveau social.

Il reste deux ans d’ici les prochaines élections, moi je ne sais pas ce qui va se passer, ce que l’on entend, c’est encore davantage de coupes, et plus de contre-réformes et une situation qui va encore se dégrader pour toutes les familles et tous les travailleurs.

La réaction du peuple... on est en train de toucher le fond, on est réellement en train de toucher le fond, et pour moi, les gens devront lutter, et sortir dans la rue, et lutter durement parce qu’on est en train de nous laisser sans rien.

Beaucoup ont perdu un peu la confiance dans leurs représentants politiques Oui c’est vrai, on entend les slogans "Qu’ils s’en aillent tous !" ou le "moi, je n’ai pas peur", ce sont des slogans que font sortir les syndicats, maintenant, c’est tout le peuple qui doit se les approprier.

Je pense, c’est qu’avec le temps, comme on va nous laisser sans rien, au bout du compte on réagira, et d’une manière très forte quand ça explosera.

Tu es ici pour le 1er mai et tu le sais nous aurons notre marche le 5 mai pour la VIème République. Qu’en penses-tu ?

Je trouve cela très bien la lutte que vous êtes en train de mener, je la comprends. Pour le 5 mai, oui vous devez continuer à lutter et continuer ainsi pour obtenir ce que vous voulez, la VIème République. Que vous luttiez de toutes vos forces, surtout pour ne pas qu’il vous arrive la même chose qui nous est arrivée, à nous les Espagnols, la réforme du travail et toutes les politiques d’austérité qu’on nous a imposées ici. Alors oui, je souhaite que vos luttes soient victorieuses, car je pense que vous en France, vous êtes un exemple à suivre et ensemble nous vaincrons.

Propos recueillis Par Juliette Estivill


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