6 mai 2012 2013 « La période d’essai est terminée »

vendredi 17 mai 2013.
 

180.000 manifestants ont repris dimanche 5 mai, un an après l’élection de Hollande, possession de la Bastille. De là ils ont marché jusqu’à la Nation en passant auparavant sous une Arche où était écrit : Ensemble jusqu’à la VIè République. Retour sur cette journée de contestation radicale d’une politique austéritaire et de capitulation et premier acte d’une souveraineté populaire en marche pour la refondation nécessaire de la République

Il y avait Dimanche 5 mai à la Bastille un parfum de fête populaire. Les rues de Lyon, de Daumesnil étaient pavoisées comme à la parade de bannières rouge et verte du PG ou rouge du PC accrochées en guirlande aux arbres. Tout laissait penser que malgré les vacances il y aurait foule. Et foule, il y a eu à l’occasion de ce double anniversaire, celui de l’ouverture des Etats-Généraux en 1789 et celui de l’accession, l’an dernier, d’un président socialiste au pouvoir après les cinq désastreuses années Sarkozy. 180000 marcheurs ont pris possession de la Bastille pour s’indigner de la capitulation de François Hollande face au Medef et à la commission européenne et du déni de sa reddition sans condition présentée comme seule politique possible et réclamer un changement de politique et de nouvelles institutions.

Beaucoup de manifestants ont commencé à rejoindre le cortège des organisations du Front de Gauche dès avant 13 heures, s’entassant dans une humeur bonhomme, mais radicalement critique autour de la colonne de Juillet. De nombreux balais étaient de sortie pour un grand nettoyage de saison et les pancartes se répondaient les unes les autres. Hollande était rappelé à ses promesses trahies et la 5e République à sa déliquescence. Quitte à faire des détours comme l’une qui réclamait « Robespierre, reviens ! » tandis qu’une autre, citant l’antique philosophe grec Héraclite, affirmait « Sans l’espérance, on ne trouvera pas l’inespéré ». Les figures du Che, de Chavez ornaient quelques tee-shirts qui affichaient aussi « On lâche rien, Wallou ! », des badges pour une 6e République ou des slogans au feutre genre « Chérèque aime les sucettes à l’ani », « Quand l’injustice devient la loi, la résistance est un devoir »… Bref, une foule en marche pour une nouvelle république, mais où chacun pouvait faire entendre sa petite musique.

La bonne humeur et la bienveillance ou le caractère multigénérationnel et parfois familial du cortège n’ont pas édulcoré sa détermination. Car l’heure est grave comme pouvait le rappeler l’existence d’un campement de SDF, devenu permanent au fil du temps, installé sur le trottoir longeant l’Opéra Bastille, honteuse métaphore d’une répartition injustifiable du travail et des richesses. Une tente vide était d’ailleurs suspendue à l’extrémité de cet espace d’habitat précaire avec ces quelques mots : « Construire un monde solidaire. » L’heure est même particulièrement grave comme le relevaient les différents cortèges égrenant les mauvais coups portés contre le Code du travail avec l’ANI, contre les syndicalistes avec le refus de toute amnistie, contre la démocratie avec les institutions de la 5e République dont les affaires (celle de Cahuzac entre autres) ont montré le délitement et l’inadéquation. De nombreux représentants d’entreprises en lutte en témoignaient comme les Fralib, revêtus d’un tee-shirt libellé « Unilever tue l’emploi » et qui défilaient derrière un éléphant blanc en carton-pâte ou des salariés d’Arcelor-Mittal, de Sanofi…

Les porte-parole des organisations du Front de gauche ou associé à la marche à titre parfois personnel comme Eva Joly, accompagnée de nombreux militants d’EELV, ont repris dans leurs interventions ces inacceptables manquements démocratiques d’une République à bout de souffle qui, ajoutés à une politique de rigueur, conduisent à la catastrophe économique et sociale et font le lit de l’extrême droite. « Il faut réformer les institutions. Nous voulons un changement de république et reconstruire l’Europe, a dit l’ancienne candidate à la présidentielle d’EEL. Ne pas constituer un bloc anti-allemand, mais un front anti-austérité. Cependant, rien ne se fera si la société ne se réveille pas. »

Pierre Laurent, secrétaire générale du PCF a abondé dans son sens, précisant que cette « marche ne doit pas rester sans lendemain » appelant à réunir des assemblées citoyennes. Car le bilan est lourd, un an après l’élection de François Hollande. « C’est une année gâchée pour le changement. » Et ceci devient « trop dur et trop dangereux pour notre pays. » Après le Code du travail se profile une nouvelle attaque contre les retraites. « Il faut arrêter les forces de la finance. »

Nous en avons les moyens a apprécié Jean-Luc Mélenchon exaltant « la puissance contenue par le (présent) rassemblement et qui dépasse de loin l’homme qui peut l’exprimer, un parti ou même un groupe de partis » tandis que montaient les cris de « Résistance ! Résistance ! ». « Nous sommes toujours le peuple souverain et c’est à lui seul d’être constituant » a-t-il rappelé, soulignant que les mandats accordés à ses représentants devraient être susceptibles de révocation par référendum. La 6e République à venir devrait aussi avoir pour objectif d’introduire la citoyenneté dans les entreprises et se fixer pour horizon productif l’intérêt général. « Le premier devoir d’être humain, c’est de prendre ses responsabilités devant l’écosystème et d’établir la règle verte, c’est-à-dire ne pas prendre plus à la nature qu’elle est capable de renouveler. »

Dans le même ordre d’idées, est-il possible d’envisager un remboursement de la dette par des populations incapables de combler un trou qui se creuse chaque jour un peu plus ? « Il faut choisir : la guerre ou la paix entre les peuples. » A cette aune, l’inflation est un moindre mal. Aussi a-t-il prévenu à l’adresse de François Hollande et de son gouvernement, « La période d’essai est terminée. Si vous ne savez pas quoi faire, nous, nous savons. L’urgence est là et nous ne pouvons pas attendre. Ce jour est un point de départ et nous travaillons à une nouvelle majorité. » Encourageant les initiatives, il a conclu qu’à partir d’aujourd’hui, « aucun de nous n’est seul ».

Effectivement, il faudra près de 25 minutes au carré de tête des porte-parole pour effectuer les 300 premiers mètres depuis le carrefour entre la rue de Lyon et la rue Daumesnil où ont été prononcés les discours. Des milliers de participants ont en effet précédé la tête de manifestation pour se masser plus avant sur son parcours. Beaucoup essaient d’apercevoir les orateurs. A ce jeu-là, Jean-Luc Mélenchon se taille un franc succès. Il a ce talent d’attiser les braises de convictions douchées par le temps et les déceptions et paie de son énergie contagieuse la reconnaissance des militants. Sans se la jouer rock-star comme certains médias peuvent le sous-entendre mais en remplissant la fonction de « tribun du peuple » comme il le revendique lui-même.

Et le peuple de gauche ne s’y trompe pas. Des pancartes dans le cortège qui va s’étirer durant trois longues heures vers la place de la Nation appellent chaque citoyen à « écrire sa constitution ». Certains, à l’exemple des pratiques grecques des inventeurs de la démocratie ont déjà des idées arrêtées sur le « tirage au sort » pour se préserver du clientélisme et de la corruption. En tout cas, il s’agit d’un virage à 180° avec le présent qu’une affiche résume en « l’oligarchie, c’est cause toujours ». Les médias ne sont pas épargnés par cette critique de la parole confisquée : les franges de certains balais ont été confectionnées dans des liasses de journaux. Et contre le consensus qui bâillonne et interdit, même dans les lieux privés comme le local du syndicat de la magistrature, de nommer un chat un chat, deux « murs des cons » se succèdent dans le cortège. On y reconnaît des patrons voyous, des médiacrates, des exilés fiscaux…

Au-delà de la bataille des chiffres, des commentaires de politologues sur la journée d’hier, la marche citoyenne pour une nouvelle République et contre l’austérité a constitué un vrai premier acte de mobilisation active. Il devra être nécessairement suivi de nombreux autres comme l’ont rappelé Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon et les autres, juchés sur la plate-forme d’un camion, le long de la manif peu avant Nation, exhortant les participants à ne pas compter leurs efforts ni économiser leur énergie. Si l’on évoque la lointaine journée du 5 mai 1789, rien ne laissait présager la formidable dynamique qui allait changer le monde. Les cérémonies d’ouverture des Etats Généraux se sont déroulées tranquillement, presque banalement. La quasi-totalité des représentants du Tiers-Etat s’en était tenue humblement au port de l’habit noir de leur condition qui devait ne pas ternir la magnificence colorée des autres ordres. En l’absence d’un roi qui signifiait par là le peu de cas voire l’ennui et le mépris que suscitait pour lui l’irruption de la multitude, ils ont commencé à prendre l’initiative et leurs affaires en main…


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