Le 5 mai, et maintenant ?

dimanche 19 mai 2013.
 

Un succès, incontestablement. Par delà la querelle des chiffres, qui peut vraiment en douter ? Le 5 mai se sont pressées les foules qu’on disait démobilisées, bien au-delà des rangs de celles et ceux qui sont toujours au rendez-vous. Il leur en a fallu du courage et de la ténacité, insultées soir et matin par la gauche bien pensante. Qui y allant de l’accusation de « populisme », qui de « germanophobie », qui de « chauvinisme ». Et par-dessus tout, de « faire le jeu » de la droite et de l’extrême droite. Avec, sans mollir une seconde, les références surjouées aux années 30. Devant les reniements (ou les confirmations, ça dépend des sujets) du gouvernement Hollande/Ayrault, il eût fallu se taire et attendre. Son échec ne pouvant être que celui de toute la gauche. Mais cet échec est déjà acté ! Avec deux composantes. Les actes forts déjà posés ou en cours de l’être sont entièrement en faveur du système, que ce soit sur le terrain de la domination confirmée de la finance et des mécanismes de l’Europe libérale, le terrain purement social, celui des solidarités (avec le rejet une fois de plus du droit de vote pour les étrangers non communautaires), ou encore le terrain écologique. Il faudra à un futur gouvernement réellement de gauche refaire tout ce chemin à l’envers. Le salutaire droit au mariage et à l’adoption pour tous ne parvenant certainement pas à un quelconque équilibre de la balance. Et, seconde composante de cet échec annoncé et en cours, tout ceci ne peut que renforcer la chaîne de la crise que nous connaissons, l’austérité produisant de la dette qui renforcera l’austérité. Au point qu’il devrait être clair désormais pour tout observateur impartial que la déraison de ces choix a en fait son noyau rationnel : permettre la poursuite du renversement du rapport des forces en faveur des possédants à un rythme et un niveau inégalé malgré trois décennies de politique libérale.

Oui, il est plus qu’heureux que tant de personnes aient refusé le chantage et aient offert une alternative à gauche. Sans elles et eux, il ne resterait que des issues dramatiques, vers une droite plus que gangrénée par son extrême, quand ce n’est pas vers le FN en tant que tel. Une évolution dont cette part de la gauche ne veut à aucun prix, ce qui justifie son opposition résolue à la politique qui la favorise. Avec un fait majeur. Le FG est le cadre en dehors duquel il n’y a et il n’y aura pas de processus de construction d’une opposition de gauche et d‘une alternative. Il convient alors de montrer qu’une autre politique est immédiatement possible. Marine Le Pen s’en est pris une fois de plus à Jean-Luc Mélenchon, lui reprochant cette fois-ci de vouloir être « le premier ministre de Hollande ». Mais pourtant il s’agirait d’un gouvernement contre Hollande, pas avec lui…Jospin fut incontestablement premier ministre « de Chirac ». Mais sa politique ne doit qu’à ses choix, jusqu’à l’issue fatale que l’on sait. Nos amis de Syriza en Grèce, bien qu’ils critiquent les aspects antidémocratiques de leur Constitution, n’en font pas une condition préalable à un gouvernement de rupture. Il va de soi cependant qu’une telle issue ne peut s’imaginer dans un simple jeu parlementaire dans l’Assemblée issue des élections de juin 2012. Provoquer et enregistrer ponctuellement les évolutions d’élus vers la gauche (par exemple dans le cas de la loi d’amnistie sociale ou sur l’ANI), voir un possible départ du gouvernement d’EE va de soi. Tout ce qui va dans le bon sens est bon à prendre. Mais on ne peut pas faire comme si cette majorité pouvait en bloc faire autre chose que ce pour quoi elle fut élue, quelles que soient les salutaires prises de distance chez ceux qui se souviennent à l’occasion qu’en principe ils sont de gauche. Ce n’est pas juste une position du curseur qu’il faudrait pousser plus à gauche. Pour une telle rupture, il y faut l’intervention du peuple, par des mobilisations du niveau que l’on connaît dans l’Europe du Sud, et la confirmation de sa volonté politique par un vote sans ambiguïté. Vers une nouvelle majorité et un nouveau gouvernement qui engageront la rupture et la convocation d’une Constituante.

Il faut reconnaître que les conditions d’un basculement à gauche de cette ampleur au niveau national ne sont pas encore données. Il reste c’est vrai à cette opposition de gauche à gagner en crédibilité, et à gagner des soutiens suffisants. Déjà il faudrait que le FG se mette à la hauteur de l’attente que représente le 5 mai en se donnant les moyens de dépasser son aspect par trop cartellisé encore. Et sache ouvrir grandes les voies du rassemblement. Sur ce chemin, il ne faut pas négliger l’évènement que constitue la présence de socialistes et d’écologistes (au-delà de celle, hautement symbolique, d’Eva Joly). Et aussi, c’est un signe heureux qui ne trompe pas, celle du NPA. Ces derniers mois nous avait habitué plutôt à une prise de distance systématique vis-à-vis du FG. Ce que LO n’a pas fait, habitée par un sectarisme que rien ne paraît devoir entamer. Le NPA a manifesté « sur ses propres bases », sans que l’on sache très bien si les désaccords portaient sur l’appel à une Constituante, appel que le NPA ne reprend pas. Ou sur les contenus de la République à bâtir (mais justement, par principe une Constituante n’est-elle pas là pour en débattre ?). Le NPA a pris clairement acte de la nature radicale de la manifestation du 5 mai, et il faut s’en féliciter. Il y voit cependant aussi une opposition entre la base et « les sommets » du FG. Bien malin pourtant qui pourrait se faire l’interprète univoque de cette « base » si diverse et bigarrée. Mais admettons. Ne serait-il pas plus efficace de porter la parole de cette « base » rêvée au sein du FG ? Et de lutter collectivement pour en faire un outil ancré largement sur cette « base » ? Ou au moins de participer aux activités de cette « base » du FG dans ses Assemblées Citoyennes ? Dans les conditions actuelles, avec la mutation génétique de la majorité de la social-démocratie que l’on connaît, on ne voit pas pourquoi il faudrait être si réservé.

Le 5 mai a donné le ton, et montré la disponibilité intacte et même élargie contre la politique social-libérale. Il faut continuer à travailler un programme de rupture (y compris avec les racines de notre propre impérialisme), les modalités de sa mise en œuvre, la manière de bâtir une majorité pour les porter et les imposer. A la suite d’une initiative du PCF, il est proposé désormais de co-organiser avec qui le souhaitera, le 16 juin, une journée de débat sur ces thèmes. L’appel s’adresse aux personnalités, associations, syndicats et forces de gauche qui partagent les objectifs d’une politique alternative à celle appliquée aujourd’hui par le gouvernement. On peut espérer que toutes les forces présentes le 5 mai seront là. Et au-delà, en particulier les parties d’EE qui s’étaient montré critiques quant à la nature de cette manifestation précise du 5 mai. Ainsi que les fractions de gauche du PS qui auront là la possibilité de tirer les conséquences de leurs critiques répétées de la politique de Hollande. Et de se convaincre par la discussion qu’il faut rompre avec cette politique, et s’engager clairement en vue de la nouvelle majorité alternative dont la gauche a impérativement besoin dans les délais les plus brefs.

Samy Johsua

JOHSUA Samuel

* Paru sur le blog de Médiapart.


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