Le nouveau miracle espagnol

mardi 11 juin 2013.
 

En Espagne, aucune parole officielle n’a plus de valeur. Les officiels ne parlent que pour enfumer et tout le monde le sait. Sur fond d’affaires de corruption dans tous les compartiments du pouvoir, la lecture des quotidiens consterne. Hier c’était Mario Draghi, le banquier central européen, qui demandait au gouvernement espagnol d’y aller moins fort avec les expulsions de personnes qui ne peuvent plus payer leurs prêts. Ah le brave homme ! Mais l’avant-veille, la Commission européenne avait menacé le gouvernement espagnol de représailles si la région andalouse persistait à exiger des banques qu’elles remettent en location les logements vides ou saisis ! Ce matin on voit à la une du journal « El Mundo » des gardes civils en train de tabasser un pompier dans une manifestation en Catalogne. Les pompiers manifestent car la région catalane va supprimer mille postes de pompiers. Ces pompiers sont déchaînés on dirait. J’ai rencontré les représentants du collectif des pompiers à Madrid. Un homme, une femme. Ils ne veulent plus obéir quand ils sont réquisitionnés pour ouvrir de force les logements pour des expulsions. Il faut dire qu’on les réquisitionne car les serruriers non plus ne veulent plus faire ce sale boulot ! Dans le même journal je découvre un graphique qui présente la carte de la pauvreté quartier par quartier à Valence. Je note le coin où on compte 40% de pauvres ! Dans « El Pais », je lis un papier où on apprend que le gouvernement allemand offre 3000 euros de prime aux infirmières qui veulent bien venir travailler chez eux en gériatrie. Dans le hall d’entrée de l’université j’ai lu une affiche : « S’exiler est une violence ». C’est l’organisation « Jeunes sans futur » qui placarde ça, un collectif de citoyens désemparés comme il en existe des centaines !

L’Espagne est devenue l’anti-modèle. Le pire a lieu ici autant qu’en Grèce. Donc tout ce qui s’y passe nous intéresse. Les cadres du Parti de Gauche ont donc pris leur bâton de marche. Avant moi, trois d’entre eux sont venus ici participer à des actions populaires de masse. Après moi, Martine Billard ma co-présidente y vient. Deux autres responsables vont en faire autant. Sur place un professeur membre du bureau national du parti depuis notre dernier congrès, François Ralle, assure une coordination permanente avec les mouvements et organisations qui nous sont liés. L’internationalisme concret et l’implication personnelle de tous ceux qui participent aux instances d’animation du parti sont considérés comme des impératifs dans nos rangs. La circulation et les déplacements ne cessent donc pas. Partout il faut apprendre. La crise européenne et le chaos final qui s’avance ont lieu partout dans l’Union. Pour ce qui concerne l’Espagne, c’est une caricature comme elles tendent à se multiplier dans l’Europe du sud. A tout point de vue : anti-modèle de croissance avant la crise, anti-modèle dans la crise tant la politique d’austérité produit un désastre dans ce pays.

Notre gauche le dit depuis longtemps. Nous le disions déjà il y a plusieurs années. C’était le temps où les libéraux et les sociaux-libéraux vantaient le « tigre espagnol » aux côtés du « tigre celtique » irlandais. Nous, nous disions déjà que le modèle de croissance de l’Espagne ne devait pas être suivi, qu’il reposait sur un artifice comptable de la richesse produite et du stock réputé disponible. La suite nous a donné raison. L’Espagne a été l’un des pays les plus touchés par la crise de 2008. Sa croissance reposait pour l’essentiel sur une bulle immobilière soutenue par un système d’emprunts hypothécaires proches des subprimes américains. On connaît la suite. La crise financière de 2008 s’est propagée à l’économie réelle entraînant une récession féroce. Cette récession a fait augmenter le chômage. Les nouveaux chômeurs ont été incapables de faire face au remboursement de leurs prêts hypothécaires. Le marché immobilier s’est effondré, les banques ont été frappées de plein fouet, la crise s’est aggravée, le chômage a explosé. A présent voici les coupes budgétaires et la TVA bombardier. L’engrenage de la récession n’est donc pas prêt de cesser. C’est donc en toute logique que les prévisions des organismes officiels prévoient une nouvelle hausse des déficits et du chômage.

Tout le système espagnol reposait sur un endettement privé considérable, en particulier celui des ménages. Un trait caractéristique de la nouvelle politique de l’offre à l’américaine qui prétend compenser par le crédit ce qui n’est pas accessible par le salaire. Au cœur de cette « dynamique », l’immobilier. Car pour acheter un appartement ou une maison, de toute façon, il faut emprunter. L’endettement privé des ménages espagnols représentait ainsi 220% de la richesse du pays en 2010 ! Tant que l’activité économique se développe, les emprunts sont remboursés. Lorsque les salaires stagnent ou baissent, et que le chômage augmente, les prêts sont moins bien remboursés. C’est ce qui est arrivé à l’Espagne. Et la dette privée des ménages devient un problème pour les banques qui ont prêté un argent qu’elles ne récupèreront pas. Bien sûr, elles essayent de le récupérer en expulsant les gens de leur logement. En 2012, près de 40 000 logements ont ainsi été saisis au cours de l’année. Dans les trois quarts des cas, le logement en question était la résidence principale des gens à qui on l’a pris. Mais cela ne suffit pas car les prix de l’immobilier ont baissé. Les banques ont donc perdu de l’argent, elles aussi.

Quand les impayés sont trop importants, les banques deviennent explosives. Elles risquent la faillite. Comme l’effondrement d’une seule banque menacerait de faire s’écrouler tout le système bancaire, l’Etat espagnol est intervenu pour recapitaliser les banques. C’est-à-dire qu’il leur a apporté de l’argent pour éviter leur faillite. Mais lui-même n’avait pas les sommes qu’il leur a versé. Il les a donc empruntées. Voici comment la dette privée des banques est devenue une dette publique. Ou dit autrement, comment la dette privée des ménages a fini par devenir la dette de l’Etat. Ou encore, comment les citoyens-emprunteurs-contribuables n’ayant pu rembourser leur dette à la banque ont été obligés de payer en TVA, diminution de service public et chômage pour éviter aux banques qui les avaient pris à la gorge de s’écrouler.

Bien sûr, les vautours de la finance sont venus encore aggraver les choses. L’Espagne ayant adopté l’euro comme monnaie, elle n’a pas pu faire financer cette nouvelle dette publique par la Banque centrale européenne. Elle a dû emprunter sur les « marchés ». Elle est donc dépendante des notes des agences de notation. Après la Grèce, l’Espagne a été un des premiers pays de la zone euro agressé par les agences de notation et la finance. Les taux d’intérêts se sont envolés. Les banques se sont gavées.

Pourtant pendant des années, ce pays a été présenté comme le modèle de la zone euro, le « bon élève » du pacte de stabilité, l’un des rares qui respectaient les critères du traité de Maastricht. Voyez donc, en 2008, au début de la crise, la dette de l’Espagne représentait 36% du PIB, nettement en dessous des 60% exigés par la Commission et les traités européens. Entre 2005 et 2007, l’Espagne a dégagé pendant trois ans un excédent budgétaire ! Alors que les traités européens autorisent un déficit public de 3% de la richesse du pays, l’Espagne a dégagé un excédent de 1% de son PIB en 2005, 2% en 2006 et même 2,2% en 2007, dernière année avant la crise. Et en 2011, le premier ministre social-libéral Jose-Luis Zapatero a même fait introduire dans la Constitution la fameuse « règle d’or » exigée par Angela Merkel, cette règle qui interdit les déficits publics ! On pourra consulter quand on voudra les nombreux articles enthousiastes des docteurs « je sais tout » de notre pays, mes contradicteurs habituels qui nous ont adjuré d’entrer dans la voie espagnole de développement.

En tous cas voici une leçon pour le nouveau candidat a être le « bon élève de la classe européenne », le sieur président normal. On le voit, l’Espagne ne peut absolument pas être comparée à la Grèce, accusée de tous les maux et de toutes les tromperies par les dirigeants européens. Et pourtant ! Le bon élève est aussi attaqué par la finance que le prétendu cancre ! C’est bien la preuve qu’être le premier de la classe de l’Europe libérale n’est guère récompensé et ne protège pas contre les agressions des financiers.

L’anti-modèle espagnol ne s’arrête pas là. Attaquée comme la Grèce, l’Espagne applique le même « remède » : l’austérité. Depuis 2010, les plans d’austérité se sont succédés. A chaque fois, la même potion amère est servie au peuple : coupes dans les dépenses publiques et sociales, réduction du nombre de fonctionnaires et du service public, flexibilisation du marché du travail et précarisation des salariés, reculs des droits sociaux comme le droit à la retraite, hausse des taxes et impôts pesant sur le peuple comme la TVA, etc. Lisez la liste tranquillement c’est le programme commun européen.

Les dernières mesures ont été imposées par le gouvernement de droite de Mariano Rajoy. Mais comme en Grèce, c’est le parti socialiste, en fait social-libéral, qui a appliqué les premières cures d’austérité. Avant d’être battu aux élections fin 2011, Jose-Luis Zapatero, chef du PSOE, le Solférino local, s’est montré un digne compagnon de George Papandréou. En mai 2010, c’est lui qui a annoncé le premier plan d’austérité et engagé l’Espagne dans ce cercle vicieux. Ce premier plan comprenait déjà la baisse des salaires des fonctionnaires, un gel des retraites, une flexibilisation du marché du travail. Puis, un an après, ce sont encore les socialistes espagnols qui ont relevé l’âge de départ à la retraite de 65 à 67 ans.

Depuis les élections de novembre 2011, la droite a succédé aux sociaux-libéraux. Pour les Espagnols rien n’a changé. Les plans d’austérité succèdent aux plans d’austérité : décembre 2011, avril 2012, juillet 2012. Entre-temps, pour recapitaliser ses banques et faire face à l’attaque de la spéculation, l’Espagne a dû faire appel à « l’aide » européenne. Le pays est donc passé sous les fourches caudines de la troïka Union européenne, FMI, Banque centrale européenne. En échange de cette « aide », le gouvernement espagnol de droite a prévu plus de 92 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques d’ici 2014. Un peu plus que François Hollande n’en a décidé de son propre chef ! Le plan de juillet 2012 contient aussi une baisse des salaires des fonctionnaires et des indemnités de chômage de 7%, une hausse de la TVA de 18% à 21%. Et l’âge de la retraite passera de 65 à 67 ans plus vite que prévu ! Mais pour autant, rien ne change, tout s’aggrave. Un nouveau plan d’austérité commence. L’anti-modèle d’austérité a produit ici comme ailleurs une apocalypse économique et un désastre social. Le pays enchaîne les années de récession. La richesse du pays s’est contractée de 1,4% en 2012. Elle va encore baisser cette année d’au moins 1,5%.

L’austérité augmente la dette et le déficit public alors qu’elle est censée les réduire. Ainsi, en 2012, l’Espagne a connu un déficit public record à 10,6% de son PIB, la richesse du pays. Le gouvernement de droite tablait sur un déficit de 7%. Cela aurait signifié une réduction du déficit puisqu’il était de 9,7% en 2010 et 9,4% en 2011. Au lieu de cela, le chiffre de 2012 est pire que ceux des années précédentes. C’est une nouvelle preuve que l’austérité ne marche pas. La dette publique a aussi explosé. Elle est passée de 36% du PIB avant la crise à 90% attendu cette année. Une bonne partie de la hausse a eu lieu pendant la première phase de la crise en 2008 et immédiatement après, compte-tenu de l’aide apportée aux banques, de la récession et des plans de relance. Mais l’austérité appliquée depuis 2010 n’a pas du tout stoppé la hausse de la dette publique, au contraire. La dette publique espagnole représentait 68% du PIB en 2011. Elle représentait 85% de la richesse du pays en 2012. Et elle devrait encore croître en 2013 pour atteindre 90% !

La récession a fait exploser le chômage. Le mot explosion est même faible. On compte aujourd’hui six millions de chômeurs en Espagne. Oui, six millions. Depuis 2008, le taux de chômage a bondi de 20 points. Le taux de chômage officiel dépasse désormais les 27% de la population active. En France, il se rapproche dangereusement des 11% et cela nous est déjà insupportable. Imaginez ce que peut être la situation d’un pays quand un actif sur quatre est au chômage. Cela signifie que toutes les familles ou presque sont frappées. Cela signifie que dans certaines familles, les enfants et les parents sont tous au chômage. Cela signifie qu’un quart de la population essaye de survivre en jonglant entre les allocations chômage pour ceux qui y ont droit, les petits boulots au noir quand il y en a, et la misère. Donc le cercle vicieux économique se prolonge. Car dans un océan de misère, de chômage et de peur du lendemain, la consommation populaire est étouffée. Et l’activité économique ne peut pas repartir. L’austérité aggrave la crise.

Le gouvernement espagnol prévoit que le chômage continuera de frapper environ un quart de la population active espagnole jusqu’en 2016. Ses prévisions rendues publiques le 26 avril tablent sur un taux de chômage de 24,8% en 2016, à peine moins que les 27% d’aujourd’hui. Chez les jeunes de moins de 25 ans, on compte près d’un million de chômeurs, une génération « sacrifiée » avec un taux de chômage supérieur à 57% ! Là encore, aucune amélioration n’est attendue avant plusieurs années. Toutes ces souffrances ne servent donc à rien.

En Espagne, ce n’est même plus une crise sociale. C’est une crise de civilisation. Rendez-vous compte, pour la première fois depuis que la statistique existe, la population totale de l’Espagne a reculé en 2012 par rapport à l’année précédente ! Le pays a perdu des habitants. 200 000 environ en une année. Pour la première fois, le nombre d’émigrants, ceux qui quittent le pays, a été supérieur au nombre d’immigrants, ceux qui arrivent. Parmi ceux-ci, on ne compte plus les latino-américains venus chercher du travail en Europe et qui sont repartis dans leur pays d’origine faute de pouvoir survivre dans « l’Europe qui protège ». Le Monde a même publié un article sur le malheur des dissidents cubains qui regrettent d’être venus voir de si près le paradis capitaliste. Je souhaite qu’ils restent ici partager les joies du modèle qui leur est si cher : la liberté de la misère et la liberté d’en être satisfaits. Et bien sûr, des milliers de jeunes espagnols quittent leur pays pour essayer de trouver du travail ailleurs. L’Allemagne se frotte les mains car bon nombre d’étudiants et diplômés viennent chez elle. L’Allemagne de Merkel importe ainsi les jeunes qu’elle n’arrive pas à faire naître sur son sol. Elle offre trois mille euros de prime pour venir travailler en gériatrie. L’Allemagne ne peut en effet envoyer tous ses retraités et personnes âgées vivre en Thaïlande ou en Afrique ou se trouve la main d’œuvre pas chère respectueuse des personnes âgées.

Mais, nous disent les « journalistes » illuminés par les éléments de langage de la Curie euro-béate, il y aurait de « bons signes en vue ». Voyons cela. Avec ces cures d’austérité, les salaires ont diminué de 7% entre 2009 et 2011. Cela a permis à l’Espagne de gagner en « compétitivité ». Les libéraux se félicitent même du fait que, grâce à ce remède de cheval pour faire « baisser le coût du travail », l’Espagne a dégagé un excédent commercial en mars 2013. Pour la première fois depuis 42 ans, le pays a moins importé qu’il n’a exporté ! Génial ! Bien sûr, cela tient au fait que les importations se sont effondrées de 15% vu que plus personne n’a d’argent pour acheter quoi que ce soit. Mais les libéraux s’en moquent. Le pays a un excédent commercial. Pour eux, c’est le signe que l’Espagne va mieux. Même si personne ne veut plus y vivre. Tel est le modèle libéral. L’actuel miracle espagnol est le suivant : comment se fait-il que l’on ne soit pas encore arrivé au point destituant « qu’ils s’en aillent tous » ? Ça vient.


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