Israël Palestine : La solution à deux états n’est pas morte

vendredi 14 juin 2013.
 

- “La solution à deux États est morte”. Ce slogan a été répété si souvent ces der­niers temps, par tant de com­men­ta­teurs faisant autorité, que ce doit être vrai. Eh bien, ce n’est pas vrai.
- texte d’Uri Avnery pacifiste israélien - fondateur du Bloc de la Paix (Gush Shalom)

> ACTUEL­LEMENT c’est devenu une marotte intel­lec­tuelle. Si vous plaidez pour la solution à deux États cela signifie que vous êtes vieux, dépassé, rassis, lourd, un fossile d’une époque révolue. Si vous bran­dissez le drapeau de la “solution à un seul État” cela signifie que vous êtes jeune, pro­gres­siste, “cool”.

> En réalité, cela montre sim­plement combien les idées tournent en rond. Lorsque nous disions au début de 1949, immé­dia­tement après la fin de la pre­mière guerre israélo-​​arabe, que la seule réponse à la nou­velle situation était la création d’un État pales­tinien à côté d’Israël, la “solution à un seul État” était déjà vieille.

> L’idée d’“un État bi-​​national” était en vogue dans les années 30. Ses prin­cipaux avocats étaient des intel­lec­tuels pleins de bonnes inten­tions, dont beaucoup étaient des célé­brités de la nou­velle Uni­versité hébraïque, comme Judah Leon Magnes et Martin Buber. Ils avaient le renfort du mou­vement kib­boutz Has­homer Hatza’ir qui allait devenir le parti Mapam.

> Elle n’obtint jamais une quel­conque adhésion. Les Arabes pen­saient qu’il s’agissait d’une ruse juive. Le bi-​​nationalisme se fondait sur le principe de parité entre les deux popu­la­tions – 50% de Juifs, 50% d’Arabes. Comme les Juifs repré­sen­taient à l’époque beaucoup moins que la moitié de la popu­lation, les soupçons arabes étaient logiques.

> Côté juif, l’idée paraissait ridicule. La nature même du sio­nisme consistait à avoir un État dans lequel les Juifs seraient maîtres de leur destin, de pré­fé­rence dans l’ensemble de la Palestine.

> À l’époque, per­sonne ne l’appelait la “solution à un seul État” parce qu’il y avait déjà un seul État – l’État de Palestine dirigé par les Bri­tan­niques. La “solution” s’appelait “l’État bi-​​national” ; elle a péri dans la guerre de 1948 sans laisser de regrets.

> QU’EST-CE QUI A provoqué la résurrection miraculeuse de cette idée ?

> Ce n’est pas la nais­sance d’un nouvel amour entre les deux peuples. Un tel phé­nomène aurait été sur­prenant et même mira­culeux. Si les Israé­liens et les Pales­ti­niens avaient découvert leurs valeurs com­munes, les racines com­munes de leur his­toire et de leurs langues, leur amour commun pour ce pays – eh bien, cela n’aurait-il pas été abso­lument merveilleux ?

> Mais hélas, la nou­velle “solution à un seul État” n’est pas née d’une nou­velle imma­culée conception. Elle a pour père l’occupation et pour mère le désespoir.

> L’occupation a déjà créé de facto un seul État – un mauvais État d’oppression et de bru­talité, dans lequel la moitié de la popu­lation (ou un peu moins de la moitié) prive l’autre moitié de presque tous les droits – droits humains, droits écono­miques et droits poli­tiques. Les colonies juives pro­li­fèrent, et chaque jour apporte de nou­velles his­toires de malheurs.

> Les gens de bonne volonté des deux côtés ont perdu espoir. Mais le désespoir ne pousse pas à l’action. Il ren­force la résignation.

> REVENONS au point de départ. “La solution à deux États est morte”. Comment se fait-​​il ? Qui le dit ? Selon quels cri­tères scien­ti­fiques a-​​t-​​on cer­tifié sa mort ?

> En général, on considère l’expansion des colonies comme le signe de la mort. Dans les années 1980, l’historien israélien réputé Meron Ben­ve­nisti déclarait que la situation était devenue désormais “irré­ver­sible”. À l’époque il y avait à peine 100.000 colons dans les ter­ri­toires occupés (sans compter ceux de de Jérusalem-​​Est, consi­dérés com­mu­nément comme un cas à pazrt). Main­tenant ils pré­tendent être 300.000, mais qui fait le décompte ? Quel est le nombre de colons qui implique irré­ver­si­bilité ? 100, 300, 500, 800.000 ?

> L’histoire est un creuset de réver­si­bilité. Des empires croissent et s’effondrent. Des cultures s’épanouissent et péri­clitent. Il en va de même pour les modèles écono­miques. Seule la mort est irréversible.

> Je peux ima­giner une dou­zaine de façons dif­fé­rentes de résoudre le pro­blème des colonies, de l’évacuation par la force à l’échange de ter­ri­toires et à la citoyenneté pales­ti­nienne. Qui pensait que les colonies du Nord Sinaï pour­raient être évacuées si faci­lement ? Que le retrait des colonies de la bande de Gaza allait devenir une comédie nationale ?

> En fin de compte, il y aura pro­ba­blement un mélange de plu­sieurs for­mules, en fonction des circonstances.

> Tous les pro­blèmes her­cu­léens du conflit peuvent trouver une solution – s’il y a une volonté. C’est la volonté qui est le vrai problème.

> LES PAR­TISANS D’UN SEUL ÉTAT aiment à s’appuyer sur l’expérience sud-​​africaine. Pour eux, Israël est un État d’apartheid, comme l’ancienne Afrique du Sud, et la solution doit prendre pour modèle l’Afrique du Sud.

> Il est certain en effet que la situation dans les ter­ri­toires occupés, et dans une cer­taine mesure en Israël même, res­semble for­tement au régime d’apartheid. L’exemple de l’apartheid peut à juste titre être évoqué dans le débat poli­tique. Mais en réalité, il a très peu de res­sem­blance en pro­fondeur – s’il y en a – entre les deux pays.

> David Ben-​​Gourion a donné un jour un conseil aux diri­geants sud-​​africains : la par­tition. Ras­sembler la popu­lation blanche au sud, dans la région du Cap, et laisser les autres parties du pays aux noirs. Des deux côtés en Afrique du Sud l’idée fut rejetée avec vigueur, parce que les deux parties croyaient à un seul pays uni.

> Ils par­laient géné­ra­lement les mêmes langues, appar­te­naient à la même religion, étaient intégrés à la même économie. La lutte concernait la relation de maître à esclave, avec une petite minorité se consi­dérant supé­rieure à une majorité massive.

> Rien de cela n’est vrai dans notre pays. Ici nous avons deux nations dif­fé­rentes, deux popu­la­tions de tailles à peu près équi­va­lentes, deux langues, deux (ou plutôt trois) reli­gions, deux cultures, deux économies tota­lement différentes.

> Des pré­misses erronées conduisent à des conclu­sions erronées. L’une d’elles est qu’Israël, comme l’Afrique du Sud de l’apartheid, peut être mis à genoux par un boycott inter­na­tional. Concernant l’Afrique du Sud, il s’agit là d’une pré­ten­tieuse illusion impé­ria­liste. Ce n’est pas le boycott, pour moral et important qu’il fut, qui fut efficace. Ce furent les Afri­cains eux-​​mêmes, avec le concours de quelques idéa­listes blancs locaux, qui le furent par leurs grèves et leurs sou­lè­ve­ments courageux.

> Je suis un opti­miste et j’espère vraiment qu’en fin de compte les Juifs israé­liens et les Arabes pales­ti­niens vont constituer des nations sœurs, vivant côte à côte en har­monie. Mais pour en arriver là, il faut qu’il y ait une période de vie apaisée au sein de deux États voisins, avec espérons-​​le des fron­tières ouvertes.

> Les gens qui parlent actuel­lement de la “solution à un seul État” sont des idéa­listes. Mais ils font beaucoup de mal. Et pas seulement parce qu’ils aban­donnent et font aban­donner à d’autres le combat pour la seule solution qui soit réaliste.

> Si nous sommes appelés à vivre ensemble dans un sel État, cela n’a aucun sens de lutter contre les colonies. Si Haïfa et Ramallah vont appar­tenir au même État, quelle est la dif­fé­rence entre une colonie proche de Haïfa et une autre proche de Ramallah ? Mais la lutte contre les colonies est abso­lument essen­tielle, c’est le terrain de combat prin­cipal de la lutte pour la paix.

> En fait, la solution à un seul État est l’objectif commun à l’extrême-droite sio­niste et à l’extrême gauche anti-​​sioniste. Et du fait que la droite est incom­pa­ra­blement plus forte, c’est la gauche qui vient en aide à la droite et non l’inverse.

> En théorie, c’est ainsi que cela devrait se passer. Parce que les par­tisans d’un seul État pensent que les gens de droite ne font que pré­parer le terrain pour leur paradis futur. La droite est en train d’unifier le pays et de mettre fin à la pos­si­bilité de créer un État de Palestine indé­pendant. Elle va imposer aux Pales­ti­niens toutes les hor­reurs de l’apartheid et bien plus, dans la mesure où les racistes sud-​​africains n’ont jamais eu pour objectif de déplacer les noirs pour prendre leur place. Mais en temps voulu – peut-​​être dans sim­plement quelques décennies, ou un demi-​​siècle – le monde va contraindre le Grand Israël à donner aux Pales­ti­niens leurs pleins droits, et Israël deviendra la Palestine.

> Selon cette théorie de l’ultra-gauche, la droite, qui met en place actuel­lement l’État unique raciste, est en réalité l’âne du Messie, l’animal légen­daire que che­vau­chera le Messie pour son triomphe.

> C’est une belle théorie, mais quelle garantie a-​​t-​​on que cela va réel­lement se pro­duire ? Et avant que n’advienne l’étape finale, qu’arrivera-t-il au peuple pales­tinien ? Qui obligera les diri­geants du Grand Israël à se sou­mettre au diktat de l’opinion publique mondiale ?

> Si Israël refuse actuel­lement de s’incliner devant l’opinion mon­diale pour donner la pos­si­bilité aux Pales­ti­niens d’avoir leur propre État sur 22% de la Palestine his­to­rique, pourquoi s’inclinerait-il demain devant l’opinion mon­diale pour déman­teler com­plè­tement Israël ?

> Si l’on parle d’un pro­cessus qui va sûrement durer 50 ans et plus, qui sait ce qui va se pro­duire ? Quels chan­ge­ments vont se pro­duire dans le monde pendant ce temps ? Quelles guerres et autres catas­trophes tien­dront les pré­oc­cu­pa­tions du monde éloi­gnées de la “Question palestinienne” ?

> Qui jouerait le sort de sa nation sur une théorie aussi invrai­sem­blable que celle-​​là ?

> ADMETTONS un moment que la solution à un seul État se réalise, comment fonctionnerait-​​elle ?

> Les Juifs israé­liens et les Arabes pales­ti­niens serviraient-​​ils dans la même armée, paieraient-​​ils les mêmes impôts, obéiraient-​​ils aux mêmes lois, collaboreraient-​​ils dans les mêmes partis poli­tiques ? Y aurait-​​il des rela­tions sociales entre eux ? Ou bien l’État sombrerait-​​il dans une guerre civile interminable ?

> D’autres peuples ont trouvé qu’il était impos­sible de vivre ensemble au sein d’un seul État. Prenez l’Union Sovié­tique, la You­go­slavie, la Serbie, la Tché­co­slo­vaquie, Chypre, le Soudan. Les Écossais sou­haitent quitter le Royaume Uni. C’est aussi le cas des Basques et des Catalans qui veulent se séparer de l’Espagne. Les Français du Canada et les Fla­mands de Bel­gique sont mal à l’aise. Pour autant que je le sache, on n’a vu nulle part dans le monde entier deux peuples dif­fé­rents s’accorder pour former un État commun pendant des décennies.

> NON ? LA solution à deux états n’est pas morte. Elle ne peut pas mourir parce que c’est la seule solution qui existe.

> Le désespoir est peut-​​être commode et tentant. Mais le désespoir n’est en rien une solution.


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