11 juillet 1963 : Mandela et la direction de la branche armée de l’ANC sont arrêtés

vendredi 14 juillet 2023.
 

Nelson Mandela, toujours hospitalisé dans «  un état critique mais stable  », n’a pas participé hier à la cérémonie marquant les cinquante ans de l’arrestation, le 11 juillet 1963, du haut commandement de Umkhonto we Sizwe (la Lance de la nation), considéré comme la branche armée du Congrès national africain (ANC), dans la ferme de Liliesleaf à Rivonia, dans la banlieue de Johannesburg (1). Une arrestation que le régime d’apartheid présentait comme l’ultime victoire contre le terrorisme, pensant en avoir fini une fois pour toutes avec tous ceux qui voulaient remettre en cause sa domination. Las, c’est l’inverse qui s’est produit  !

Retour en arrière. Tout de suite après son installation au pouvoir, en 1948, le gouvernement d’apartheid développe sa politique de «  développement séparé des races  », autrement dit la domination de la minorité blanche sur le reste de la population. Une politique combattue avec tous les moyens légaux encore à leur disposition par l’ANC et le Parti communiste d’Afrique du Sud (CPSA, qui deviendra ensuite le Parti communiste sud-africain, SACP). Une lutte inégale et qui s’avère peu productive. Très vite, le Parti communiste est interdit et plonge dans la clandestinité. Ses cadres, notamment Joe Slovo, participent néanmoins à la rédaction de la Charte de la liberté (Freedom Charter), adoptée en 1955, qui sera le phare de la lutte jusqu’à la victoire et affirme la nécessité d’une Afrique du Sud démocratique et non raciale, dont la terre appartient à tous. La réponse du régime raciste ne se fait pas attendre  : 156 hommes et femmes sont jugés lors du «  procès de la trahison  », qui durera quatre ans et impliquera des opposants au régime, qu’ils soient Noirs, Blancs ou métis. La violence du pouvoir est terrible. En 1960, c’est le massacre de Sharpeville  : 69 manifestants sont tués et 200 sont blessés, beaucoup touchés dans le dos. L’état d’urgence est déclaré, les arrestations de masse se multiplient ainsi que les mesures de bannissement. Comme le fera remarquer Mandela plus tard, il devint nécessaire de changer de stratégie. La lutte armée va s’imposer. Une décision prise en commun par les cadres de l’ANC et ceux du Parti communiste, certains ayant la double appartenance. Le premier attentat a lieu le 16 décembre 1961, jour anniversaire de la victoire des Boers afrikaners sur les Anglais…

C’est dans ce cadre que le SACP décide d’acquérir plusieurs propriétés (notamment avec l’aide financière de l’Union soviétique), qui serviront de caches et de lieux de réunion clandestins. C’est le cas de Liliesleaf Farm. Entre 1961 et 1963, celle-ci sera le centre nerveux du mouvement de libération, là où se dérouleront les débats sur les orientations et les stratégies politiques et militaires. Le 11 juillet 1963, sentant que la planque risque d’être découverte par la police de l’apartheid, les dirigeants clandestins décident de s’y réunir une dernière fois pour discuter d’une opération d’une importance extrême mais encore controversée, l’opération «  Mayibuye  », stratégie de guérilla pour renverser le gouvernement et basée sur l’exemple de la révolution cubaine. Ce plan ne verra pas le jour. Le raid policier est fulgurant. Le filet se referme. Lionel Rusty Bernstein, Dennis Goldberg, Arthur Goldreich (officiellement le locataire de la ferme), Bob Hepple, Ahmed Kathrada, Govan Mbeki, Raymond Mhlaba et Walter Sisulu sont arrêtés. Ils seront rejoints par Mandela, Harold Wolpe (avocat progressiste) et Andrew Mlangeni, ainsi qu’Elias Motsoaledi, tous deux appréhendés quelques jours plus tôt. Wolpe et Goldreich parviendront à s’échapper. Les autres se retrouveront dans le box des accusés lorsque débuteformellement le procès de Rivonia, le 9 octobre 1963.

On connaît la fameuse déclaration de Nelson Mandela lors de ce procès  : «  J’ai combattu la domination blanche, j’ai combattu la domination noire. J’ai chéri l’idée d’une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et atteindre. Mais s’il en était besoin, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir.  » Un état d’esprit partagé par l’ensemble des accusés. Pour la défense, qui se met en place sous la houlette de Bram Fischer (avocat afrikaner et président du Parti communiste clandestin, il sera arrêté à l’issue du procès puis condamné à la prison à vie. Il est mort en 1975, prisonnier), il s’agit tout à la fois de respecter les volontés de Mandela et de ses camarades, à savoir se servir du tribunal comme d’une tribune politique, et dans le même temps d’éviter la condamnation à mort. L’objectif sera rempli, en démontrant notamment que l’opération «  Mayibuye  » n’était pas effective mais encore à l’état de projet (2). Le 11 juin 1964, Nelson Mandela, Walter Sisulu, Govan Mbeki, Ahmed Kathrada, Dennis Goldberg et les autres sont condamnés à perpétuité. Ils ne sortiront de prison que plus de vingt ans après.

Pierre Barbancey, L’Humanité

(1) En réalité, Mandela était déjà en prison, 
arrêté en août 1962 et condamné pour cinq ans. 
Mais le régime d’apartheid, convaincu de sa place 
au sein du haut commandement, l’a inculpé au même titre que tous ceux arrêtés à Rivonia.

(2) Lire le livre d’un des avocats de la défense, 
Joel Joffe, qui raconte l’ensemble du procès. 
The State vs. Nelson Mandela. The Trial That Changed South Africa, One World édition, Oxford.


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