Le tribunal arbitral, c’est le triomphe du droit hors norme de l’argent

lundi 29 juillet 2013.
 

Je me trouvais à Guayaquil. Certes, il s’agissait d’une conférence de nouveau aux côtés du ministre des relations extérieures et de plusieurs experts attachés à la revue « Linéa Sur » qu’édite le ministère des affaires étrangères de ce pays. Mais avant de prendre le chemin de la salle où se tiendraient les discours, j’ai fait mon petit crochet par le cimetière de la ville. J’avais rendez-vous avec la tombe d’un héros national qui m’intéresse de près. Il s’agit d’Eloyo Alfaro Delgado, un président très particulier du passé de l’Équateur. Cet homme a instauré la séparation de l’église de l’État, le mariage et le divorce civil, l’instruction primaire obligatoire laïque et gratuite. Pour compléter le clin d’œil qu’il nous fait depuis le fond de l’histoire, notons qu’il déclara un moratoire sur la dette nationale jusqu’à ce que les prêteurs abaissent le taux d’intérêt auquel ils condamnaient ce petit pays. Dorénavant le président actuel, Rafael Corréa, se réfère souvent à cette figure historique, parfois davantage qu’à Simon Bolivar. On comprend pourquoi. En marchant dans les allées de ce cimetière, en direction du promontoire où se dressent la statue et la tombe du personnage, je goûtais d’abord ces rayons de soleil que je redécouvrais. Guayaquil est sur la côte. Puis je me laissais aller à la musique du temps profond. Que d’efforts, que de luttes, que de ressacs pour que le fil rouge de l’humanisme continue de traverser l’histoire des peuples. Une histoire pour le reste si banalement dominée par les puissants aveuglés et brutaux de toutes les époques et de toutes les latitudes. Sans oublier leurs larbins et exécuteurs de basses œuvres. Il n’est un seul des combats de ce président Alfaro qu’il n’aura fallu reprendre ! Pour l’instant, ici, c’est nous qui avons la main. De nouveau on ferme de fausses écoles, bien sûr privées, minables avatars de la commercialisation de l’éducation, et on ouvre des écoles publiques. De nouveaux on donne des bourses aux étudiants pour qu’ils aillent apprendre ailleurs ce ne peut s’apprendre sur place et revenir au pays mettre leur savoir au service de tous. On ferme et on condamne les soi-disant centres de « guérison pour les homosexuels » encouragés dans le passé ! Et comme d’habitude, nous heurtons ici de nouveau le front de boeuf des partis de droite installés dans leurs certitudes inégalitaires, des officines social-libérales et du parti médiatique, brosse à reluire des puissants. En sortant du cimetière je croisais un chat qui se réchauffait tranquillement. Je suis très ami de ces animaux et je n’ai pas oublié de saluer celui-ci. Son regard indifférent me rappela qu’en même tant qu’il y a plusieurs personnes dans chaque personne il y a plusieurs mondes dans notre monde. Le tout est de bien choisir l’endroit où l’on veut se trouver et la personne que l’on veut être. Décidément les chats donnent des idées.

Le thème central de notre conférence était moins philosophique. Il s’agissait du nouvel ordre juridique international. Une question en particulier venait en présentation : celle des tribunaux d’arbitrage. En effet c’est une tendance dorénavant clairement affichée, dans tous les accords que les puissants obtiennent, qu’en cas de litige entre un investisseur et un État, ce ne soit pas la justice de l’État considéré qui tranche Hmais un tribunal arbitral privé. Méthode en expansion. Une étude de l’ONG belge Corporate Europe Observatory dénombre quelques 450 cas d’arbitrage entre un Etat et une entreprise dans le monde en 2011 contre seulement 38 en 1996. Beaucoup de Français ont découvert ce qu’étaient ces tribunaux arbitraux à l’occasion de l’affaire Tapie. Les cas dans lesquels ce type d’instance est déjà intervenu et les décisions prises sont clairement de nature à inquiéter tout le monde. C’est par dizaines de milliards que se chiffre les indemnités réclamées aux états à la suite de protestation ou de plaintes d’entreprises privées sans que le motif de leur demande ne se soucie de quelque aspect que ce soit de la situation ou des motifs d’intérêt général. Ainsi, le géant suédois de l’énergie Vattenfall, un des principaux gestionnaires du parc nucléaire allemand, exige aujourd’hui 3,5 milliards d’euros de l’Etat allemand après sa décision de sortir du nucléaire. Le Canada est aux prises avec ce genre de difficultés depuis qu’il interdit l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste. La Compagnie concernée, Lone Pine, une nord-américaine, vient de déposer un recours arbitral pour réclamer 250 millions de dollars au Canada qui vient de retirer à la compagnie son permis d’exploitation pétrolière et gazière. En 1997 déjà, un arbitrage a permis au groupe Ethyl d’imposer au Canada de payer 13 millions de dollars de dédommagement pour « préjudice économique ». En réalité il s’agissait de l’interdiction du MMT, un produit chimique ajouté à l’essence, fauteur de maladies et d’encrassement des véhicules. Enfin mentionnons encore que le Canada a aussi été poursuivi par la Société SD Myers qui contestait la limitation d’exporter des produits pollués au PCB.

Pourquoi citer le Canada ? C’est qu’il connaît toutes ces difficultés du fait qu’il a signé un accord avec les États-Unis d’Amérique sur le modèle que celui que ces derniers veulent dorénavant signer avec l’Union européenne dans le cadre de la négociation pour le Grand Marché Transatlantique. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que le mandat qui a été donné à la Commission européenne par les Chefs d’Etat de l’Union Européenne l’est dans des termes qui font craindre le pire. Voyez plutôt : « l’accord devrait viser à fournir un mécanisme de règlement des conflits entre investisseur et État effectif et de pointe ». Encore une décision antidémocratique puisque le Parlement français avait explicitement décidé « que soit exclu du mandat le recours à un mécanisme spécifique de règlement des différents entre les investisseurs et les États pour préserver le droit souverain des États ». Selon moi ce sera un débat fondamental dans les mois qui viennent à mesure que l’on s’apercevra de ce que discutent réellement la commission européenne et les États-Unis d’Amérique. Ici j’apprends sur le sujet car l’Équateur aussi a eu à souffrir des jugements de ces soit disant tribunaux arbitraux dans des conditions de partialité si agressive qu’on a parfois peine à le croire. Rafael Corréa n’a pas caché son mépris pour ces instances dont il ne reconnait pas l’autorité. Dans ces conditions la réunion à laquelle j’ai participé à Guayaquil a été pour moi une excellente préparation compte tenu du nombre des études de cas qui ont été présentés.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message