De la nécessité de construire 
une nouvelle conscience de classe

vendredi 9 août 2013.
 

Chaque couche sociale possède une certaine conscience de ce qu’elle peut accomplir. On trouve cette idée longuement exposée dans Histoire et conscience de classe, de Georg Lukacs (1923). Cette conception s’oppose aux conceptions libérales de la conscience qui prônent la conscience individuelle comme base de la liberté individuelle et du contrat social.

La conscience de classe marxiste n’est pas un présupposé mais une conscience qu’il faut mériter et pour laquelle il faut lutter. Elle n’est donc jamais définitive. Elle exige que l’on considère le prolétariat non pas comme réduit à la «  classe ouvrière  » mais comme un processus par lequel tous ceux qui concourent à produire par leur travail les richesses de la société (forces productives et créatrices de plus-values, transformateurs des instruments de travail – ingénieurs de production et techniciens, découvreurs de matières premières, formateurs de la force de travail – les enseignants), finissent par connaître des conditions de vie marquées par la tendance à la surexploitation, à l’aliénation et à la réification imposées par le capital.

Le prolétariat est la première classe dans l’histoire qui pourrait donc développer une conscience de classe effective du fait de sa position dans le système capitaliste. Toutes les autres classes ou couches sociales, y compris la bourgeoisie, sont limitées par la fausse conscience qui les empêche de comprendre la totalité de l’histoire plutôt que de comprendre le processus historique comme une succession de moments spécifiques. C’est en ce sens que, selon moi, il faut comprendre l’ajout à la révolution industrielle de la révolution informationnelle. La bourgeoisie, elle, universalise le moment présent et le proclame éternel  : c’est ainsi que le capitalisme n’est pas considéré comme une phase spécifique de l’histoire mais comme une fin indépassable.

Cette fausse conscience qui forme l’idéologie dominante est une véritable illusion qui ne peut pas être dépassée par la seule théorie. Karl Marx l’a le premier décrite dans sa théorie du fétichisme de la marchandise auquel Lukacs a rajouté le concept de réification. La théorie de l’aliénation de Marx explique la séparation qui s’opère chez le travailleur entre son être et son travail dans le système capitaliste. Cette séparation tend à déshumaniser l’homme social et à le conduire à un individualisme qui va lui laisser croire que son travail a une place prépondérante dans sa vie. Cette croyance a toujours été encouragée par l’idéologie bourgeoise dominante. Seule la globalisation de l’horizon ouvert au prolétariat peut aider à comprendre l’interaction de la connaissance, des modes de raisonnement, des sciences. Même si le bourgeois tente de s’émanciper du point de vue de l’individu, il est condamné par la fausse conscience à voir toujours le résultat collectif des actions individuelles comme une loi objective.

Le libéralisme a promu cette idée avec le concept de «  main invisible  » du marché, qui justifie le bien-fondé de sa domination. À l’opposé, le prolétariat, comme conçu plus haut, est la première classe sociale à pouvoir aboutir à une conscience de classe véritable et à comprendre la totalité du processus historique. Cette idée remplace la catégorie idéaliste de conception du monde utilisée par l’idéaliste Hegel. Le prolétariat est à la fois objet de l’histoire et sujet de l’histoire. Objet passif par sa place dans le système capitaliste, sujet actif par son travail qui forme le monde.

La conscience de classe du prolétariat n’est pas immédiate. Elle ne doit pas être confondue avec la conscience que chacun peut avoir de l’intérêt général ou du futur. La conscience de classe est donnée par le processus de l’histoire qui transforme le prolétariat en fusionnant le travail manuel et le travail intellectuel. Grâce à la pratique philosophique du marxisme, le prolétariat véhicule la conscience que ce que le bourgeois individuel conçoit comme une loi de la nature, une loi physique ou biologique immuable n’est, en fait, que le résultat momentané d’un processus social et historique sans fin ni origine.

De ce qui précède, Marx et Lukacs en déduisent que les lois de l’économie capitaliste ne sont pas des principes universels, mais une forme de fausse conscience. C’est ainsi que l’idéologie fonctionne pour empêcher le prolétariat d’atteindre une conscience réelle de sa situation.

Arnaud spire


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