La bataille des retraites ne fait que débuter...

lundi 23 septembre 2013.
 

C’était couru d’avance ! Le matraquage des chroniqueurs se relayant en boucle sur tous les plateaux et devant tous les micros avait soigneusement balisé le terrain : il fallait, au soir de ce 10 septembre, que le monde du travail se retrouvât décontenancé par le succès relatif de la journée syndicale organisée contre le projet gouvernemental sur les retraites… Je dis « succès relatif » car, si les manifestations n’entreront évidemment pas dans les annales des démonstrations de force du mouvement ouvrier français, les centaines de milliers de personnes rassemblées, parmi lesquelles ici ou là des cortèges de lycéens, n’en témoignent pas moins de l’ulcération du peuple de gauche.

Au demeurant, personne ne pouvait un seul instant imaginer que l’appel CGT-FO-FSU-Solidaires, Unef provoquerait une vague sociale semblable à celle qu’avait prise de plein fouet la majorité sarkozyenne quand elle annonça la mise à bas de cette conquête phare des années 1980, la retraite à 60 ans. À quelques jours à peine de la rentrée… Alors que la nouvelle attaque vient de la gauche, d’une majorité et d’un gouvernement dont les salariés n’attendaient certainement pas une accélération de la course folle du rouleau compresseur libéral…

Une technique soigneusement imaginée d’enfumage de l’opinion sera venue obscurcir les enjeux vitaux de cet affrontement politique et social, empêchant qu’un vaste débat ait jusqu’alors pu s’organiser dans tout l’Hexagone et, surtout, divisant en profondeur le syndicalisme. Or, chacun le sait, dans le mouvement social autant qu’au sein de la gauche, l’unité est toujours synonyme de dynamisme du combat pour le progrès, promesse de force affichée pour la classe travailleuse, facteur d’espoir en l’avenir.

Si je parle d’enfumage, c’est que l’on ne peut qualifier autrement l’accent mis par nos éminents ministres sur le renoncement à l’augmentation de la CSG, la préservation des régimes spéciaux dans le secteur public, les quelques mesures cosmétiques censées atténuer les injustices faites aux femmes ou aux métiers pénibles, ou le report à 2020 du relèvement de la durée de cotisation donnant droit à une pension pleine. Une manœuvre dont Le Monde exposait les finalités, avec le franc cynisme qui caractérise désormais sa ligne éditoriale, dans sa livraison datée du 10 septembre : « Éviter de passer en force pour ne pas être contraint de reculer ; ne pas brusquer pour ne pas bloquer ; pouvoir se targuer d’avoir réformé sans avoir révolté, autrement dit faire ce que la gauche n’a pas fait sans répéter l’erreur que la droite a commise… »

LA FINANCE UNE FOIS DE PLUS ENTENDUE

Entre les lignes, le quotidien vespéral laissait bien transparaître la triste réalité : c’est sous l’égide d’un président socialiste que vont être proposés au Parlement l’alourdissement des cotisations vieillesse des salariés, doublé d’un allongement de la durée du travail prolongeant l’attaque précédente de la loi Fillon-Woerth. Résultat, quels que soient les délais envisagés avant que ce plan se matérialise dans leur vie quotidienne, les travailleurs vont se trouver condamnés à une quintuple peine : qu’ils fussent actifs ou retraités, ils vont devoir acquitter une hausse de leurs contributions aux régimes de retraite, au prix de la énième dégradation de leur pouvoir d’achat ; il va leur être enjoint de travailler plus longtemps, alors qu’ils n’ignorent pas que c’est entre 60 et 65 ans que l’activité salariée se fait la plus dure mais qu’ils peuvent aussi le mieux profiter d’un temps libre bienvenu après une vie de labeur ; c’est pour les nouvelles générations que le coup va se révéler le plus rude, un CDI obtenu à l’âge de 25 ou 28 ans éliminant pratiquement toute perspective de partir un jour avec une retraite pleine ; les pensions vont, dans le même temps, se réduire comme peau de chagrin, dès lors qu’une majorité de salariés ne possède déjà plus d’emploi à 60 ans ; ce qui va susciter une formidable pression pour que chacun souscrive un complément de retraite auprès des grands groupes privés d’assurance.

Le patronat, de son côté, ne se verra pas soumis à un traitement aussi brutal : « socialisme de l’offre » oblige, et jugeant probablement insuffisant le crédit d’impôt compétitivité-emploi de l’an passé, le gouvernement lui fait miroiter des exonérations fiscales en cascade. Le délicieux Pierre Moscovici, porté en triomphe aux universités d’été du Medef, aura tout dit en annonçant que « les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises vont baisser ». Thierry Lepaon, le secrétaire général de la CGT, aura quant à lui vite fait les calculs : « Ce que je crains, c’est que les entreprises, qui vont financer en partie la pénibilité (par une hausse de cotisations de 0,3%), ne récupèrent en échange 35 milliards d’euros par le biais du transfert sur la fiscalité des cotisations à la branche famille. » Même la taxation des bénéfices des sociétés pourrait, dit-on, être revue à la baisse. Étonnez-vous après cela que Libération ait pu, à sa « une » du 10 septembre, se laisser aller à faire de François Hollande « le président des patrons ». Un événement, soit dit en passant, dont on ne doit pas négliger la signification venant d’un quotidien jusqu’alors plutôt complaisant envers l’équipe au pouvoir…

Pour prolonger ce trait des plus lucides, c’est effectivement grâce à un président socialiste, élu parce qu’il avait promis le « changement maintenant », que les doctrinaires du libéralisme le plus fanatique, les bouches à feu d’un Medef qui se sent encouragé à exiger jusqu’à la suppression de l’imposition sur la fortune, et les ayatollahs de la Commission européenne auront obtenu une nouvelle victoire : ouvrir le marché prometteur de la capitalisation à la finance. Le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, le sémillant Olli Rehn, peut soupirer d’aise deux semaines après avoir exhorté les autorités françaises à « faire preuve de plus d’audace dans la réforme en cours de son système de retraite et maintenir le cap sur la réduction des déficits ».

Les mots ont un sens… « Faire preuve de plus d’audace »… « Réformer le système de retraite »… En poursuivant dans la voie de ses prédécesseurs, à savoir la destruction de la retraite à 60 ans, car tel est bien le cœur de leur prétendue réforme, François Hollande et Jean-Marc Ayrault auront offert au censeur bruxellois des politiques mises en œuvre à l’échelon des États européens l’opportunité d’exiger davantage de la France. Jusqu’à la mise en pièces d’un « système », comme il dit, basé depuis la Libération sur la « répartition »…

Il faut, à cet égard, lire l’interview que ledit Monsieur Rehn vient d’accorder au Figaro. Non seulement, il y annonce la pression phénoménale qu’il se prépare à mettre sur les autorités françaises pour les enfermer dans les rets de l’orthodoxie budgétaire, mais il y décrit surtout la machine à anéantir la souveraineté des peuples qui se trouve entre ses mains… depuis la ratification du traité budgétaire par François Hollande : « J’ai eu une sérieuse discussion avec Pierre Moscovici au sommet du G 20 à Saint-Pétersbourg. Je lui ai redit l’importance du problème de la compétitivité des entreprises françaises, au nom de la croissance et de la lutte contre le chômage. La réforme du système de retraite ne doit ni augmenter les charges des entreprises ni décourager l’emploi. (…) La zone euro dispose depuis le printemps d’un nouvel outil de ‘’gouvernance’’ budgétaire. Le texte donne à la Commission la responsabilité d’évaluer à partir de la mi-octobre le projet de budget de chaque pays pour l’année suivante. Cela signifie qu’en novembre, nous verrons si les recommandations de l’UE sont respectées et si les actes suivent la parole, en France comme dans les autres États de l’euro. Nous évaluerons aussi les réformes budgétaires et structurelles. C’est une mission essentielle pour la Commission et pour l’UE cet automne. » Éclairant, non ?

NI JUSTE, NI FONDÉ, NI URGENT

En réalité, le projet de nos gouvernants n’est ni juste, ni fondé, ni urgent. Contrairement à ce que l’on assène jour après jour aux citoyens, l’espérance de vie en bonne santé, un peu moins de 62 ans désormais, a plutôt tendance à régresser depuis 2008. Les déficits des régimes de retraite, mis en évidence par le rapport de Yannick Moreau, s’avèrent plutôt limités, de l’ordre de sept milliards à l’horizon de 2020, et ils ont principalement pour origine l’accroissement constant du chômage depuis des années, la baisse l’accompagnant des salaires comme des cotisations sociales, une répartition des revenus de plus en plus défavorable au travail et de plus en plus avantageuse pour le capital.

Dans un récent « Appel de socialistes pour les retraites », on trouve très justement pointée l’origine du mal dont souffre l’ensemble de nos mécanismes de protection sociale : « La France n’a jamais été aussi riche et les richesses aussi mal redistribuées. En 1982, les dividendes percevaient 3,2% du produit intérieur brut. En 2011, ils se partageaient 9,3% du PIB. C’est 180 milliards d’euros par an versés aux actionnaires, après que les entreprises ont effectué leurs investissements productifs. 180 milliards dont la plus grande partie ira gonfler de nouvelles bulles spéculatives plutôt que de financer nos retraites et augmenter nos salaires. »

À l’inverse, le boom démographique que connaît le pays, avec ses 850 000 naissances annuelles, laisse imaginer que le nombre de cotisants aux régimes vieillesse s’élèvera dans le futur, pourvu bien sûr que l’on s’attelle à la création de centaines de milliers d’emplois. D’où il découle que la priorité devrait plutôt être donnée à la relance de l’activité, à l’investissement public pour y parvenir, à la relocalisation des industries conjuguée à la conversion écologique de l’économie, à la consommation populaire qu’induirait nécessairement une reprise de la progression des rémunérations, à la redistribution des richesses.

UNE AUTRE AMBITION POUR LA GAUCHE

S’il convient de prendre en compte le problème des déficits et, plus généralement, de refonder durablement les mécanismes de la retraite par répartition, c’est vers d’autres pistes qu’il convient de s’orienter. En commençant par repousser la cohérence de celles avancées par le texte à débattre au Palais-Bourbon, début octobre. Ces nouvelles pistes ressortent avec netteté des réflexions convergentes du front syndical à l’initiative de la journée du 10 septembre, du document co-élaboré par Attac et la Fondation Copernic, des axes d’une autre réforme avancées par le Front de gauche dans son programme L’Humain d’abord, ou encore des idées développées par l’aile gauche du Parti socialiste.

Plutôt que de mettre sans fin la pression sur le travail, ce sont d’abord les revenus du capital, et singulièrement ceux qui sont affectés aux dividendes ou qui se portent vers la spéculation et l’évasion fiscale, qu’il faut mettre à contribution. En faisant monter en puissance jusqu’en 202O ladite mise à contribution, afin de faire face à toutes les hypothèses et de pouvoir récupérer jusqu’à 84 milliards d’euros par an, selon les estimations d’Attac et de Copernic. De même, la remise en cause de ces niches fiscales profitant principalement aux grandes entreprises pourrait, selon de nombreux économistes, ramener quelque 80 milliards d’euros dans les caisses de la Sécurité sociale.

Aucune argutie ne pourra ici venir s’opposer à ce changement de braquet dans le sens d’une répartition moins inégalitaire des revenus. Surtout pas celle qui justifie tous les renoncements et tous les cadeaux aux possédants par la nécessité de conforter la compétitivité de notre économie. Les sommes considérables dont il est question se trouvent exclusivement orientées vers la rente des actionnaires ou des boursicoteurs, non vers la production. Dans ses propres propositions, avant 2012, le Parti socialiste avait lui-même imaginé « l’introduction de nouvelles ressources dans le système en mettant à contribution les revenus du capital à hauteur de 19 milliards d’euros ». Ce qui s’avérait envisageable hier ne le serait plus aujourd’hui ? Dans un pays qui bat des records mondiaux pour son nombre de millionnaires ?

Sur ce nouveau socle de financement, destiné à rétablir la retraite à 60 ans pour chacun et à offrir à tous un niveau de pension garantissant une vie digne, pourraient venir s’articuler quelques (vraies) réformes structurelles. Tel le bénéfice d’une retraite anticipée pour celles et ceux qui ont occupé des postes de travail pénibles… La prise en compte des années d’étude, de formation, de stage d’apprentissage, comme le demande l’Unef… La revalorisation générale des salaires, que permettraient entre autres la conquête de l’égalité entre hommes et femmes ou encore la régression du travail à temps partiel, lesquelles ayant d’ailleurs pour effet d’accroître substantiellement le volume des cotisations (la CGT parle d’une augmentation de dix milliards des ressources du système des retraites d’ici 2020)…

GAGNER EST PARFAITEMENT POSSIBLE

C’est une bataille de longue haleine qui s’engage en cette rentrée. Dès l’instant où les mesures gouvernementales ne sont de nature, ni à stabiliser durablement le droit inaliénable à une retraite dont chacun puisse jouir à hauteur de sa contribution à la richesse collective, ni à dessiner le grand progrès social rendu possible par l’accumulation sans précédent de richesses dans un pays comme le nôtre, elle ne s’interrompra pas avec le débat parlementaire de l’automne, que l’exécutif veut de surcroît soumettre à une procédure accélérée. D’autant qu’en dépit d’une communication gouvernementale lénifiante, l’actuel projet législatif n’a pas davantage de soutien populaire qu’en leur temps les régressions imposées par la droite. Selon un sondage Harris Interactive pour La Chaîne parlementaire, pas moins de 56% des Français approuvent la mobilisation sociale de ce 10 septembre (ce qui recouvre presque 70% des classes populaires et une moitié des sympathisants socialistes…)

J’y vois, pour ma part, un rappel de ce que je considère être le trait principal de la situation que nous vivons depuis le printemps 2012. Au miroir de la protestation syndicale exprimée dans la rue, des positions de principe que conservent contre vents et marées des secteurs représentatifs de la diversité de la gauche, de l’état de défiance dont l’opinion fait preuve à l’égard de ses gouvernants, la ligne suivie par François Hollande et ses partisans n’a pas de majorité à gauche et dans la société française.

Faire triompher une autre politique s’avère, en conséquence, parfaitement possible. Sans que l’on doive en nier, pour autant, la difficulté. Ainsi, fustigée par le procès en conservatisme instruit depuis tant d’années à son endroit par les thuriféraires de l’ordre établi, une majorité de Français laisse-t-elle percer, dans l’étude d’opinion évoquée à l’instant, son pessimisme sur l’avenir de la retraite par répartition, ou encore son rejet sans exception de toutes les propositions formulées sur le champ politique. D’évidence, la colère sociale va de pair avec l’immense désespoir que génère inévitablement l’ignorance, au sommet de l’État, des attentes et besoins du plus grand nombre. De quoi nourrir notre détermination à agir pour que le meilleur finisse par l’emporter… afin de ne pas nous laisser happer par le pire. Nous en sommes là !

Autant dire que nous avons l’obligation de hisser notre effort de conviction à la hauteur de la colère du peuple mais aussi de son désarroi manifeste. Et, pour ce faire, de coaliser le rassemblement de cette majorité de la gauche qui a, d’évidence, à cœur de ne pas aller à rebours d’une histoire faite de combats inlassablement répétés pour la justice et l’intérêt général. Voilà notre feuille de route !


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