Hommage - Clara Benoits, la « mitraillette », a tiré ses dernières cartouches

mercredi 27 décembre 2023.
 

Il est des débuts d’hiver qui font mal. Les propositions du Rassemblement national et de la famille Le Pen sont reprises dans la loi immigration que vient de voter le Parlement. Et, discrètement, une militante de toujours de la solidarité avec les travailleurs immigrés, Clara Benoits, vient de nous quitter à l’âge de 93 ans après une vie de la lutte contre l’exploitation et l’oppression.

Cet hommage a été rédigé par des amis et camarades de Renault

Clara Benoits, féministe de toujours, fut déléguée du syndicat CGT chez Renault à Billancourt pendant 25 ans , engagée dans la solidarité avec les algériens en lutte pour leur indépendance puis avec les travailleurs immigrés. Au début de son activité syndicale, elle y fut surnommée « mitraillette » en raison de sa véhémence et de son débit accéléré lors des interventions devant la direction.

Et cette combativité revendicative fut aussi remarquée par les délégués hommes ouvriers souvent immigrés des secteurs de production de l’usine : le début d’une solidarité militante qui ne faillira jamais.

Pas la peine de s’interroger sur l’indignation avec laquelle elle aurait accueillie ce vote de la honte : ses paroles et ses actes témoignent depuis le début des années 1950 qu’il est des militantes et des militants qui tiennent sans rien demander en retour leurs engagements de solidarité à l’inverse des sombres opportunistes qui gouvernement aujourd’hui vendant dignité et respect des droits pour leur bénéfices électoraux Ce sont bien les indigné(e)s contre l’injustice qui donnent des leçons de dignité aux Macron et à ses alliés anciens et nouveaux.

Si Clara n’en a pas été membre, le NPA et la IV ème Internationale ont tenu à lui rendre l’hommage que son parcours militant oblige, associé à tant de nos combats pour l’émancipation. Ils adressent un salut affectueux à son compagnon Henri Benoits qui a rejoint la IVème Internationale en 1944, et qui s’en réclame toujours aujourd’hui.

Clara Benoits aura traversé près d’un siècle de luttes et de résistances. Ses parents hongrois, ouvrière et ouvrier, l’une catholique et l’autre de famille juive, avaient émigré en France après la première guerre mondiale. Ce fut une enfance d’immigrée dont le premier souvenir « militant » fut, enfant de 6 ans, sa venue aux côtés de son père sur un piquet de grève de l’usine Renault de Billancourt lors de son occupation en juin 1936 pendant le Front populaire.

La maladie, la tuberculose et le sanatorium interrompent ses études et elle entre en 1949,de père en fille chez Renault, pour y exercer un emploi de sténo dactylo et participer à sa première grève de trois semaines en 1950 pour le rétablissement d’une convention collective. Déléguée du personnel CGT, elle l’est restée 20 ans de 1950 à 1970 avant de devenir déléguée hygiène et sécurité de 1970 à 1975. Elle participa à la grève de 1968 y animant dans le secteur où elle travaillait, éloignée de quelques centaines de mètres de l’usine elle-même, l’une des rares instances auto organisées de tout Billancourt.

Au début des années 1950, c’est le temps où Clara partage les espoirs d’un monde meilleur tel que le présentent les directions de la CGT et du PCF. C’est le temps des grandes grèves comme celle de 1952 où la majorité des délégués CGT est licenciée. De l’usine. Et c’est en 1953, engagés contre la répression patronale chez Renault, que Clara rencontre Henri pour, rester ensemble 70 ans « inséparables » !

L’année 1956 est celle de la révolution hongroise. Clara ayant servi d’interprète lors d’un festival mondial de la jeunesse à Budapest en 1949 avait maintenu des correspondances avec des hongrois rencontrés à cette occasion. Leur description de Budapest en 1956 ne correspondait pas à la contre-révolution bourgeoise dénoncée par la direction du PCF et son journal l’Humanité d’alors. Clara, constante dans son intégrité, fit part à ses camarades de Renault de ses interrogations et critiques. Elle rencontra alors une grande hostilité mais bénéficia du soutien affirmé des camarades de sa propre cellule, et resta membre du PCF jusqu’en 1970. Elle continua sous d’autres formes ses combats pour l’émancipation.

En février 1956, moins deux après le début de la guerre d’Algérie, les députés du parti communiste ont voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement de Guy Mollet engagé dans l’aggravation de la guerre. Chez Renault c’est l’émotion et la colère parmi les travailleurs et militants algériens en lutte pour l’indépendance de leur pays, ainsi que chez leurs soutiens français. Clara fait partie de celles-ci et ceux-ci. « La terre s’effondrait sous les pieds de tous les militants communistes, en particulier des jeunes du PCF, futurs appelés ou rappelés », raconte-t-elle.

Et dans les années qui suivirent Clara s’engagea encore plus activement dans la solidarité avec les algériennes et les algériens. Chez Renault dans les bureaux où elle travaillait, elle diffusait presse et documents d’opposition à la guerre. Elle participa aux tâches confiées par la fédération de France du FLN, frappant à la machine, reproduisant et convoyant des tracts, participant à la la diffusion d’El Moudjahid, l’organe clandestin du FLN. Clara a fait partie le 17 octobre 1961 des cinq observateurs de Renault que le FLN avait sollicité pour assister à la manifestation et témoigner de son déroulement. Ce témoignage résonne encore car porté par Henri et Clara jusqu’à ces toutes dernières années dans tant de manifestations, documents vidéo ou exposés dans des établissements scolaires. Un témoignage pour entretenir le fil de la solidarité et dénoncer toutes les oppressions.

Ce qu’elle prolongera après avoir quitté Renault en militant de longues années à l’ASTI d’Issy-les-Moulineaux où elle se consacra notamment à des tâches d’alphabétisation. Elle y fit preuve de la même empathie à l’égard des autres en multipliant les relations d’amitié avec travailleurs et famille immigrés en butte aux discriminations, à la répression et auxrefus d’avoir des papiers. Cette solidarité sans frontière, affirmée dans les actes, est bien l’un des fils conducteurs de son activité militante.

A la fin de sa présence chez Renault et au-delà, Clara participa au groupe femmes de Renault. Pas de discontinuités : les combats de Clara tout au long de sa vie étaient en cohérence avec ceux de ce groupe femmes. Celui-ci fut créé au début des années 1970 au même moment que le MLAC très actif à Renault Billancourt. Ce groupe féministe dans lequel se sont retrouvées des salariées de toute activité professionnelle dans les ateliers et les services, marqua l’histoire de Renault à Boulogne, là où la conduite des activités syndicales étaient souvent le monopole des hommes. Clara, féministe de toujours, se retrouva pleinement dans ce groupe où, d’une génération plus ancienne , elle apporta son expérience militante.

Un salut pour le présent et les luttes de demain !

Plusieurs des témoignages vidéos de Clara sont visibles sur les sites de l’INA et du NPA. Le Maitron lui consacre une note rédigée par l’historienne Laure Pitti. Clara et Henri ont retracé leur histoire dans l’ouvrage « L’Algérie au coeur » publié aux éditions Syllepse en 2014.

Une cérémonie d’hommages aura lieu Mercredi 27 décembre 2023 à 11h30 au funérarium de Clamart, 194 rue de la Porte de Trivaux 92140 Clamart. L’inhumation aura lieu à 16h au cimetière intercommunal d’Issy-les-Moulineaux, 57, rue de l’Egalité 92130 – Issy-les-Moulineaux.


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