Pour son amie la finance, la France s’obstine à saborder la taxe Tobin européenne

dimanche 10 novembre 2013.
 

Par la voix de Christian Noyer1, gouverneur de la Banque de France et représentant français au Directoire de la BCE, les autorités françaises ont renouvelé leur assaut contre le projet de taxe Tobin élaboré par la Commission européenne.

Sous l’influence du lobby bancaire, le gouvernement français semble décidé à l’épreuve de force avec le commissaire Semeta, dont le projet, selon M. Noyer, « n’est pas viable et doit être entièrement revu ». S’il n’intervient pas rapidement pour ramener Bercy et la Banque de France à la raison, François Hollande confirmera que la France a décidé de saborder la taxe Tobin européenne.

M. Moscovici avait déjà jugé « excessif » ce projet en juillet dernier. Depuis, le lobby Bercy-banquiers-BCE a redoublé d’assauts contre tout ce qui pourrait ressembler à une taxe Tobin. La semaine dernière, le gouvernement pesait de tout son poids pour faire barrage à un amendement du rapporteur socialiste du budget 2014, Christian Eckert, qui souhaitait durcir un peu la taxe française (introduite en 2011 par Sarkozy) pour qu’elle s’applique aux transactions de court terme. Hier, dans une interview au Wall Street Journal, M. Noyer qualifie le projet de la Commission d’erreur « qui déclencherait la destruction de pans entiers de l’industrie financière française, provoquerait une délocalisation massive d’emplois et porterait atteinte globalement à la reprise ».

Particulièrement singulier est le motif avancé par les banquiers et repris par le gouvernement français pour dénoncer la taxe Tobin : elle « amputerait la liquidité des marchés financiers », a osé affirmer le ministre du budget Bernard Cazeneuve. Quel scoop ! C’est précisément le but de la taxe : réduire la liquidité excessive des marchés, qui contribue de façon décisive à leur instabilité chronique. Depuis quinze ans, Attac répète que le principal mérite de la taxe Tobin sera qu’elle rendra trop coûteuses ces transactions répétées un nombre gigantesque de fois dans la même journée dans un but purement spéculatif. Et voici que cet effet d’utilité publique devient le principal argument contre la taxe…

De fait, l’ambition désormais clairement affichée de la France est de réduire la taxe européenne sur les transactions financières à une simple taxe sur les achats nets d’actions – ce qu’est déjà la taxe Sarkozy en France. Seraient ainsi exonérées les transactions spéculatives : le trading à haute fréquence et les produits dérivés, qui représentent l’essentiel du volume actuel des transactions. Au lieu de rapporter 35 milliards d’euros, cette taxe au rabais prélèverait à peine quelques milliards sur l’industrie financière, sans aucun effet dissuasif. Pour l’instant, la Commission européenne, par la voix du commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta, défend la pertinence de son projet. Les autorités allemandes, paralysées par l’approche des élections de septembre dernier puis par la formation prochaine d’une coalition, ont manifestement été prises de court par le tournant français relayant l’offensive du lobby bancaire déclenchée notamment par Goldman Sachs2 au printemps dernier.

Mais la société civile, qui porte depuis quinze ans la revendication de la taxe Tobin, n’a pas dit son dernier mot. Ainsi, mercredi 30 octobre aura lieu une grande manifestation de la coalition pro-TTF à Washington, animée notamment par le syndicat états-unien des personnels de santé3. En France aussi, Attac et ses partenaires exigent de François Hollande qu’il tienne l’une de ses principales promesses de campagne : une véritable taxation des transactions financières qui contribue enfin à dégonfler la spéculation.

1. http://www.liberation.fr/economie/2...

2. Voir "Financial Transaction Tax : How severe ?”, Goldman Sachs, Equity Research, 1/05/2013

3. Voir www.nationalnursesunited.org...

A) L’aveu de M. Moscovici : la France veut couler la taxe sur les transactions financières proposée par la Commission européenne

Pierre Moscovici, le ministre français de l’économie, a déclaré ce jeudi 11 juillet devant un parterre de banquiers que la proposition de taxe Tobin avancée par la Commission européenne était « excessive ». « Il faut être pragmatique et réaliste », a-t-il ajouté, promettant aux banquiers « d’améliorer la proposition de la Commission ». Il confirme ainsi une information révélée par Attac1 : cédant à la pression de Goldman Sachs et des banquiers français, la France a décidé de réduire à presque rien le projet européen de taxe sur les transactions financières.

Un groupe de onze pays a choisi la méthode de la « coopération renforcée » pour introduire la taxe en s’appuyant sur le projet de directive de la Commission. Le projet de la Commission n’était certes pas parfait, mais il constituait un pas en avant important, et bénéficiait du soutien de la société civile. La France avait activement soutenu cette initiative. François Hollande s’était énergiquement prononcé pour la TTF dans sa campagne électorale.

Mais les banquiers sont passés à la contre-offensive. Et pas les moindres : c’est Goldman Sachs elle-même qui a lancé le signal en publiant en mars dernier une « étude »2 grotesque intitulée : « Financial Transaction Tax : How severe ? ». Cette « étude » est immédiatement reprise par les banquiers français : le 15 avril le Medef et la Fédération française des banques mettent en garde M. Moscovici contre une taxe « destructrice de richesse », qui « affaiblira gravement la compétitivité des entreprises ». M. Mignon, directeur général de Natixis, reprend les chiffres ridiculement surestimés par Goldman Sachs, selon lesquels la taxe coûtera 7 milliards d’euros par an à sa banque : « un montant supérieur à notre chiffre d’affaires, ça n’a pas de sens ! » (sic). M. Hocher, du Crédit Agricole, ne craint pas d’évoquer le chiffre de 17 milliards d’euros pour sa seule banque.

Depuis lors, la France a fait machine arrière et a rallié le camp des adversaires de la taxe. Lors de la réunion du groupe de travail des onze pays du 22 mai, Bercy a proposé de modifier le projet de la Commission sur des points essentiels qui le réduisent à néant :

- exonération quasi-totale des transactions sur produits dérivés (l’immense majorité du volume des transactions !) ainsi que des « repos » (prêts de très court terme entre banques) : cela réduirait de 95% le montant attendu des recettes.

- taxation des opérations après compensation : cela permettrait en fait aux banques de continuer comme auparavant leurs activités de « trading à haute fréquence ».

- taxation des seuls vendeurs, et pas des acheteurs : cela réduirait encore de moitié les recettes fiscales attendues

Bien que les chiffres de Goldman Sachs n’aient aucune valeur, la réaction des banques confirme la pertinence de la proposition portée par Attac depuis sa création il y a quinze ans : une partie probablement importante de leurs profits provient d’opérations spéculatives sans aucune justification économique réelle. Après sa "réforme" bancaire dictée par les banquiers, le gouvernement français, en persistant à vouloir saboter le projet de la Commission, franchira un pas de plus dans la soumission aux intérêt de la finance.

1. blogs.mediapart.fr/blog/attac-france/080713/alerte-la-france-sabote-la-taxation-des-transactions-financieres

2. www.wiwo.de/downloads/828181... Pour une réfutation complète de cette « étude », voir le travail de Stephan Schulmeister, stephan.schulmeister.wifo.ac.at/fileadmin/homepage_schulmeister/files/GS_FTT_05_13.pdf. La principale faille de "l’étude" de Goldman Sachs est qu’elle fait l’hypothèse que les banques ne changeront rien à leurs opérations spéculatives après l’introduction de la taxe, alors que le but de la taxe est justement de réduire drastiquement le trading à haute fréquence et les opérations spéculatives de très court terme, économiquement inutiles et déstabilisatrices


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message