La gauche de droite est au pouvoir

dimanche 17 novembre 2013.
 

C’est une constatation cruelle mais c’est une constatation nécessaire  : il y a désormais en France deux partis de droite. Un parti à tendance néofasciste, l’UMP à la sauce FN, et un parti néolibéral qui ne porte plus le nom de socialiste que par paresse.

Monsieur Valls suggérait d’ailleurs d’en changer, conscient que le terme «  socialiste  » est désormais vide de sens pour lui et ses semblables, comme le terme «  gaulliste  » l’est pour messieurs Sarkozy, Copé, Fillon et consorts. Par ailleurs, à propos des socialistes, il est devenu banal de parler de «  la gauche de droite  », ce qui oblige les commentateurs à distinguer certaines déclarations individuelles émanant de «  socialistes de gauche  ». Il y aurait donc des socialistes qui récusent le nom même de socialistes – des hommes de droite déguisés en hommes de gauche, si l’on préfère – et des socialistes qui, contre la majorité de leur propre parti, tentent de ne pas solder l’héritage de Jaurès.

C’est dire combien la confusion gouverne. Aux élections municipales qui s’annoncent, cette confusion risque d’augmenter encore puisque, à Paris en tout cas, le PCF a décidé de faire liste commune dès le premier tour avec le PS. Mais avec quel PS ?

Celui dont les membres siègent au gouvernement ou avec quelques irréductibles pour qui le «  socialisme  », selon Jaurès, travaille «  à la réalisation de l’humanité  ». Une humanité qui «  n’existe point encore ou existe à peine. À l’intérieur de chaque nation, elle est compromise, comme brisée, par l’antagonisme de classe, par l’inévitable lutte d’une oligarchie capitaliste et du prolétariat. Seul le socialisme, en absorbant toutes les classes dans la propriété commune des moyens de travail, résoudra cet antagonisme et fera de chaque nation enfin réconciliée avec elle-même, une parcelle d’humanité  ».

À l’aune de ces paroles et de ses actes, est-ce que M. Hollande est socialiste ? Est-ce que M. Moscovici l’est ? Et M. Valls ? Et M. Strauss-Kahn ? Et M. Sapin  ? Et M. Cahuzac, qui récusait la lutte des classes  ? Et M. Lamy  ? Et tous ces ministres si empressés de parader à l’université d’été du Medef et préférant se faire porter pâles lorsqu’il s’agit d’arpenter les allées de la Fête de l’Huma  ? Et… et… et… etc.

On ne peut pas, bien sûr, mettre tous les socialistes dans le même sac Vuitton. Sur le plan municipal, il est incontestable que des élus socialistes œuvrent sans réserve à améliorer le sort de leurs concitoyens, à tenter de leur rendre la vie plus facile, à développer les activités artistiques et culturelles, etc. Je pense notamment aux actions menées dans les 11e et 20e arrondissements. Il n’y a pas de discussion, ces socialistes-là font ce qu’ils peuvent et, même, font en partie ce qu’il faut et pourraient même faire plus en ce qui concerne le logement, mais ils agissent. Maintenant, si on s’intéresse aux membres «  socialistes  » du gouvernement, le bilan est tout autre. La liste des reniements, manquements, trahisons est si longue qu’il serait fastidieux de la détailler. Juste pour mémoire  : la signature du traité Merkozy, la séparation de façade entre les banques de dépôt et les banques d’affaires, l’absence d’un relèvement significatif du Smic, l’abandon de la lutte historique de la classe ouvrière pour la diminution du temps de travail, l’allongement de l’âge du départ à la retraite, la ruine confirmée de l’hôpital public, l’absence de loi pour empêcher les licenciements de confort financier, le choix du capital contre le travail, Florange, PSA, etc. N’en jetez plus, la cour est pleine  !

Le piège est là.

Si nous votons pour le socialisme «  municipal  » et que, par miracle, le parti à la rose évite ainsi la déroute annoncée, le gouvernement y verra l’adhésion des citoyens à sa politique  ; au contraire, si c’est la Berezina, les mêmes socialistes «  de gouvernement  » déclareront que ce vote est sans signification, sinon purement local, et continueront de mener leur insupportable politique. Dans un cas comme dans l’autre, l’électeur sera volé de son vote, comme il l’a été après le référendum à propos du traité constitutionnel rejeté par une très large majorité de Français (y compris une majorité de militants socialistes) et repassé au Parlement dans les mêmes termes sous le nom de traité de Lisbonne, avec l’appui massif des élus socialistes. Un déni de démocratie que «  toute l’eau de la mer ne saurait effacer  », aurait dit Lautréamont.

Mais tout cela serait sans importance.

L’urgence serait de faire barrage au Front national, aux prochaines élections municipales et européennes, de voter utile. Et déjà, le chœur des «  socialistes  » de gouvernement entonne le grand air de la nécessité, qui fait loi. Mais dans le même temps, quand les citoyens ne votent pas selon le désir des «  socialistes  » de gouvernement, leur vote est méprisé, annulé  ; mais, dans le même temps, M. Valls tient des propos et mène une action en parfait accord avec les idées de madame Le Pen, de Ciotti, Guéant, Hortefeux et les autres, y ajoutant l’hypocrisie d’expulser, de persécuter au nom de «  l’humanité  ».

Avant de voter, si nous posons la question  : qu’avons-nous de commun avec les «  socialistes  » du gouvernement  ? La réponse est meurtrière  : rien. Qu’ont-ils de commun avec messieurs Sarkozy, Copé, Fillon et leurs amis  ? La réponse est assassine : presque tout, hormis quelques nuances sur l’enseignement, la recherche et la justice. Ce qui les distingue ne sont que des postures au grand théâtre de la politique spectacle. Les uns jouent à être de gauche, les autres à être de droite, mais tous chantent en chœur la rengaine thatchérienne «  il n’y a pas d’alternative  », sont les thuriféraires du capital, de la propriété privée. Personne ne peut avoir oublié cette une stupéfiante de Paris Match où François Hollande et Nicolas Sarkozy posaient côte à côte, dans le même costume, la même attitude, défendant à l’unisson le oui au référendum. Des jumeaux sortis du même œuf néolibéral, affichant la même morgue, le même mépris des citoyens, ces minables, ces rustres, dont le vote n’était organisé que pour amuser la galerie.

Dès lors, comment pourrions-nous, une fois encore, voter utile, faire confiance aux «  socialistes  » de gouvernement  ?

Nous ne pouvons pas. Nous ne pouvons plus. Nous ne pouvons pas à la fois être leurs critiques les plus déterminés et les alliés de circonstance des socialistes municipaux qui, par leur silence – de fait –, font perdurer une politique ouvertement de droite, antisociale et sécuritaire. Au nom de je ne sais quelle morale de circonstance, la confusion ne doit pas être entretenue, ne peut plus l’être. Elle n’est plus de mise. Aujourd’hui, les «  socialistes  » de gouvernement ne sont plus simplement des faux frères, ni des adversaires, mais des ennemis (de classe) que nous devons affronter, quoi qu’il en coûte. Un siège au conseil municipal de quelque ville que ce soit ne vaut pas d’abdiquer nos convictions, notre volonté de transformer le monde et de réaliser l’humanité que Jaurès appelait de ses vœux. C’est dire qu’il faut avoir le courage de rompre clairement avec ce «  socialisme  » en peau de lapin qui n’est que démagogie et mensonges. Cette rupture politique est salutaire même pour nos camarades socialistes, ces militants pris en tenaille entre l’affliction et 
l’indignation de ce qui se pratique aujourd’hui en France au nom du «  socialisme  ». Les positions sont claires  : les «  socialistes  » de gouvernement sont désormais sans vergogne un parti de droite, à nous d’incarner la gauche en actes, de cesser d’être aimables et compréhensifs, 
et de nous dresser contre eux et leurs répliques de l’UMP-FN. Comme disait l’autre  : le 
changement, c’est maintenant !

Gérard Mordillat

Tribune publiée par L’Humanité


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