Révolution fiscale : Ce que nous avons déjà gagné

vendredi 29 novembre 2013.
 

Le premier bilan politique de notre initiative pour le 1er décembre est facile à dresser. Souvenons-nous d’où nous partons. En fait, notre appel à marcher sur Bercy a permis de sortir de l’état de sidération dans lequel tant d’esprits avaient été plongés par l’opération « bonnets rouges », animée par le patronat le Medef et les identitaires. Après nous, l’un après l’autre, les grands syndicats du pays se sont dressés pour exiger, sous des appellations diverses, ce que Jean-Marc Ayrault appellera une « remise à plat du système fiscal », vingt-quatre heures après que j’ai utilisé cette expression dans l’émission « C politique » sur la Cinq. Comme cette émission a été un succès d’audience remarquée, je me dis que l’intérêt pour ce que j’y disais à propos de ce que nous appelons, nous, la « révolution fiscale », captait bien l’attention et sans doute la compréhension du très grand nombre. Que Jean-Marc Ayrault se soit senti obligé de faire cette annonce surprise d’une remise à plat, que tant d’organes de presse de référence et de révérence se soient sentis obligés de l’acclamer tout aussitôt, montre dans quelle nervosité sont les importants du pays. C’est un mystère par contre plus épais de comprendre pourquoi le chef de l’État est passé derrière son Premier ministre pour changer les dates, le contenu et les délais de ce projet. Ce qui achève de nous faire penser qu’il s’agit d’une pantalonnade de plus. Cependant, notre intérêt bien compris est d’agir comme si nous pensions qu’ils avaient réellement l’intention de faire quelque chose sur le sujet. Du coup, à l’objectif concret du refus de l’augmentation de la TVA le 1er janvier prochain, s’ajoute avec davantage de force la nécessité de peser sur le contenu de ladite « remise à plat ». Car j’ai bien noté que, tout aussitôt, le ministre Moscovici s’est senti obliger de rappeler que la préoccupation du gouvernement serait d’améliorer « la compétitivité des entreprises ». Chacun sait que, dans la langue de fonte des solfériniens, cela veut dire « tondre les moutons populaires pour tricoter des pull-overs aux actionnaires ». Nous voilà avertis !

Avez-vous vu avec quelle gourmandise les « commentateurs » habituels sont venus se réjouir de ce que « les syndicats – même la CGT – n‘appellent pas à la manifestation du 1er décembre » ? Aucun d’entre eux ne se soucie de remarquer que les confédérations syndicales n’ont jamais appelé à aucune de nos manifestations dans le passé. Aucun non plus ne notera que des unions syndicales locales, départementales, régionales, comme des fédérations de branche, – et surtout de la CGT – appellent cette fois-ci encore à manifester avec nous, comme cela se verra dans la rue le 1er décembre. Les mêmes commentateurs m’ont évidemment entrepris sur le fait que, puisque M. Ayrault convoquait « une remise à plat fiscale », à quoi bon notre manifestation ? La petite cerise constante sur le gâteau aura consisté à faire remarquer qu’Eva Joly ne participerait pas à la manifestation. C’est le contraire qui aurait été étonnant, dans la mesure où, si j’ai bien compris, elle est ce jour-là en congrès ailleurs. Bilan de toutes ces questions, qui sont en fait des affirmations déguisées : il ne servirait à rien de manifester puisque Ayrault nous aurait déjà donné satisfaction, que les syndicalistes n’appellent pas et que nous sommes seuls à mobiliser. Ce n’est pas fini. Il nous reste encore à subir les pages d’injures auxquelles nous avons eu droit la fois précédente avec le magazine du « Monde » et à la fin, bien sûr, le chiffrage de Manuel Valls, qui avait officiellement évalué le 5 Mai à 30 000 les participants, une heure après que la préfecture de police eut déclaré qu’elle ne faisait pas de chiffrage pour les manifestations politiques. Vous savez donc ce qui vous attend. Cela n’a aucune espèce d’importance. La seule chose qui compte c’est la réalité. Les puissants la connaissent. Eux savent évaluer un rapport de force. S’il est suffisant ce n’est pas Jean-Marc Ayrault qui fera la « remise à plat ». Là encore nous voici prévenu.

La manifestation du 1er décembre, c’est d’abord une action humaine. Bien sûr il y a le moment de la décision, celui de l’annonce et la préparation de ceux-ci. Si cette phase initiale est si cruciale c’est parce qu’ensuite des milliers de gens vont y consacrer leur énergie. Nous n’aurons eu que trois semaines de préparation. C’est une de moins que pour la manifestation du 5 mai et cinq de moins que pour celle contre le traité européen ! Pour autant, d’un rendez-vous à l’autre, les femmes et les hommes qui ont fait le choix de s’engager au Front de Gauche ont engrangé un savoir-faire, des réflexes des solidarités qui se sont sans cesse renforcés. Si le Front de Gauche n’est pas un parti au sens traditionnel du terme pour ce qui est des congrès et des investitures, il l’est pour ce qui concerne l’orientation générale et l’action concrète commune. Une fois l’appel lancé, après une première vague sur les réseaux sociaux, une fois le feu vert donné l’une après l’autre par les composantes du Front de Gauche, la mobilisation s’est organisée de tous côtés avec des gestes d’organisation chargés d’expérience. Au seul quartier général du Parti de Gauche, on recense plus de quarante organisations départementales de départ de cars, soixante-dix organisations départementales de covoiturage. Sitôt imprimés, des centaines de milliers de tracts sont partis dans les boîtes aux lettres et des dizaines de milliers d’affiches ont été collées. Je reste ébahi de la rapidité et de la maîtrise avec lesquels de tous côtés on aura agi. Je vois aussi, en discutant avec l’une ou l’autre, celui-ci ou celle-là, que partout tout est organisé pour continuer à mobiliser jusqu’au dernier moment. Du coup, ça ne me fait que plus de peine de savoir que de si nombreux camarades et amis ne pourront faire le déplacement parce que cela coûte trop cher. Et de savoir aussi quels sacrifices consentent tant des nôtres, qu’il s’agisse d’argent ou bien de temps.

Je mentionne tout cela pour que chacun se souvienne bien que ce qui a été acquis dans cette nouvelle occasion, qui enrichira d’une façon considérable notre travail commun d’un savoir-faire et d’une capacité d’action spontanée, qui s’affirment et se renforcent avec le temps. À mes yeux, les frontières d’organisation ne sont rien. Ou peu de choses. Mon attention est avant tout retenue par tout ce qui est d’ores et déjà en commun. Cette capacité d’action commune spontanée en fait partie, bien davantage que de nombreux autres aspects. Il s’agit de construire un peuple rebelle, et pas seulement une organisation aguerrie. Oh, comme je voudrais que dans les commentaires on tienne compte davantage de ces milliers d’anonymes qui sont aujourd’hui la première et la plus grande force politique militants de notre pays, loin devant toutes les autres, même quand ces dernières disposent de relais institutionnels ou d’adhésions d’opinion supérieurs au nôtre, pour l’instant. C’est dans cette marmite que bouillonne l’avenir.

Le premier décembre, marchez ou taisez-vous ! Je devine bien ce qu’un tel slogan provoquerait d’agacement. Mais l’unanimité consternante du vote des députés socialistes sur le budget de l’État me pousserait volontiers à cette injonction. Au moins y a-t-il deux abstentions dans le groupe Europe Ecologie-Les Verts et même un vote contre, celui de Noël Mamère ! Au PS, tous les groupes, sous-groupes et autres vibrionnant des tribunes libres et des confidences de couloirs, exaltés des universités d’été « plus populaire que moi tu meurs », ont disparu sous la table au moment où il fallait agir. Nous pourrions mourir de cela. De ce nombre de gens qui font des phrases, des analyses plus ou moins brillantes, des propositions fulgurantes, mais qui sont incapables de passer à l’acte, inapte à construire où que ce soit un rapport de force. À proportion de leur inaction, le déséquilibre s’aggrave. Comme ils ne font rien, les sergents chefs solfériniens réjouis vont au rapport chez les colonels, qui transmettent aux généraux : « R.A.S chef ! ». Alors le chef est content, il sourit suavement, il sait que ses agents de liaison ont bien travaillé. Les places sur les listes municipales, aux européennes, aux futures cantonales, aux futures régionales, tout cela n’est-ce pas le miel le plus délicieux et le plus efficace pour aider à la réflexion sur le budget de l’État ? Peu importe à tous ces confits en pot la conséquence politique désastreuse de leur refus de combattre. Les forces qu’ils paralysent, l’air qu’ils refusent de donner à la contestation, tout cela se paie comptant sur le terrain. Sur terre règne le rapport de force. L’un recule l’autre avance. L’épisode des « bonnets rouges » en a fait une ample démonstration.


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