Bible, intégrisme et racisme biologique

lundi 16 décembre 2013.
 

La libération de la parole raciste a-t-elle atteint son paroxysme ? Dans les milieux de droite et d’extrême droite, notamment dans la mouvance catholique intégriste, les théories pseudo-scientifiques sur le racialisme sont réactivées.

Dans les milieux d’extrême droite, c’était une rumeur sourde mais persistante. Une croyance qui, même dans le cercle restreint de ceux qui se présentent comme la « droite nationale », avait des relents tellement sulfureux qu’on ne prononçait les mots qu’à mi-voix. Mais, depuis quelque temps, outre que le recours au racisme biologique, comme une explication scientifique, s’est réaffirmé dans la mouvance ultracatholique, cette théorie gagne la sphère médiatique.

La une de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute en est l’exemple le plus criant : un pas en arrière, plus loin encore que le retour rêvé au colonialisme « civilisateur ». « Traiter de singe une ministre noire témoigne de la vieille et poussiéreuse obsession racialiste », commente le journaliste Jonathan Halimi sur latelelibre.fr. L’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg, sur le site du Nouvel Observateur, acquiesce : « Traiter une ministre de la République de ‘‘guenon’’ », c’est bien « perpétuer cette conception ».

Infiltrés au cœur d’un groupuscule catholique intégriste (1), Matthieu Maye et Rémy Langeux mettent en lumière le souhait de réinstaurer un « juste ordonnancement » du monde. Ils rapportent les propos de l’abbé Baptiste, de l’Institut du Bon-Pasteur (issu de la Fraternité Saint-Pie X) de Bordeaux : « Les races existent, cela ne fait aucun doute. » Une lecture littérale et erronée de la Bible – en complet rejet de l’aggiornamento de Vatican II – nourrit la croyance en une prédisposition génétique des « races », entraînant de facto leur classification : « Le “Noir” » porteur de la « malédiction de Cham » (fils de Noé, maudit, dont les descendants peupleront l’Afrique, selon l’exégèse de la Bible), « doué d’un physique puissant, inversement proportionné à son intelligence, est taillé pour servir ». Les Arabes, « bons à rien, ni intellectuellement ni physiquement », car la Bible décrit ces enfants d’Ismaël et d’Esaü comme « un peuple nombreux, nomade et qui vivra de rapines ». Quant aux juifs, ils sont perçus comme « des êtres supérieurs, plus malins, plus intelligents et plus doués qu’eux ». Une forme « d’envie et de jalousie » provoquant « un mépris teinté d’admiration et de frustration ». Cette volonté de classification induit une animalisation d’une partie de l’humanité. Qu’importe si les biologistes de l’évolution sont unanimes : il n’existe qu’une seule espèce humaine, l’Homo sapiens.

« Je préfère la voir après les branches (sic), dans les arbres, qu’au gouvernement. » On se souvient de cette candidate ardennaise du Front national, exclue très officiellement quand le scandale fut rendu public pour avoir comparé Christiane Taubira à un singe. Selon Marine Le Pen, « ceux qui sont venus au FN avec une vision racialiste se sont trompés de porte ». Qu’en pensent les anciens mégrétistes (Bruno Bilde, Steeve Briois, ou le gendre de Jean-Marie Le Pen, Philippe Olivier), réintégrés par brassées au mitan des années 2000 par un parti en manque de cadres ? Si, chez eux, l’héritage du « nationalisme ‘‘à l’allemande’’ » de la Nouvelle Droite, basé, selon Nicolas Lebourg, sur « l’unité de sol, de sang, de langue » s’exprime par un racisme culturel, c’est que cela paraît « plus présentable » que le racisme biologique. Karim Amellal, maître de conférences à Sciences-Po, fait remonter ce changement cosmétique aux années 1980 et 1990, quand, dans le discours que « les différentialistes du Grece », un club se revendiquant de la « Nouvelle Droite », cherchaient à polir, « la culture se substituait à la race. Dès lors, il devenait acceptable de hiérarchiser ces cultures, avec bien sûr l’idée d’une supériorité de l’européenne sur les autres. (…) Cela voulait dire blanche. » Selon l’historien Pap Ndiaye, « l’habillage culturel craque », expliquait-il dans le Monde début novembre 2013. « Les propos récents montrent que le racisme à l’ancienne, pur et dur, n’a pas disparu, sans doute parce que ces différentes formes de racisme sont en connivence. »

De clandestine, cette croyance en un racisme biologique pourrait-elle devenir dominante ? L’étude menée outre-Atlantique par Ann Morning (2) est inquiétante : « Alors même que, pour les sociologues, la race est une invention ou une construction sociale, les scientifiques d’autres disciplines, y compris l’anthropologie, les ouvrages qu’ils font lire à leurs étudiants, et ces étudiants eux-mêmes demeurent attachés à des conceptions biologiques de la race, éventuellement modernisées à l’aide de la génétique », souligne le sociologue Michel Wieviorka dans une note de lecture sur le site Books. Alarmant. Surtout si l’on considère que les évolutions des États-Unis déteignent souvent à retardement sur la société européenne.

(1) Voyage au cœur d’une France fasciste et catholique intégriste, 2013, au Cherche-Midi.

(2) La Nature de la Race, 2011, University of California Press.

Ce texte de Grégory Marin a été publié par L’Humanité sous le titre "Racisme biologique Quand « l’habillage culturel » de la haine ordinaire craque"


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