L’épopée des verriers du pays noir Une épopée ouvrière à faire partager

dimanche 19 janvier 2014.
 

J’ai lu le livre d’André Henry avec beaucoup d’intérêt, étant moi-même ouvrier dans une usine menacée de fermeture, ayant vécu avec mes camarades une longue bataille pour sauver nos emplois (usine Ford). Seulement c’était en France, à Bordeaux et c’était entre 2007 et 2012.

Les évènements du livre se déroulent 30 ans avant et à 1000 km de distance et pourtant, c’est fou comment on retrouve exactement les mêmes difficultés, les mêmes questions, les mêmes doutes du côté ouvrier et les mêmes stratégies de division ou d’affaiblissement du côté patronal.

Il y a d’abord toutes les joies de la lutte, la fierté de relever la tête, de rompre avec les logiques de résignation et de trouver la force avec ses collègues pour s’affronter au patronat. Il y a cette dignité ouvrière retrouvée chez tous ceux qui ont fait reculer le patron, au moins un instant, chez tous ceux qui ont défendu leurs aspirations. Ça c’est vrai partout et en tout temps.

Il y a aussi toute l’énergie militante dépensée pour tisser les liens de solidarité entre collègues, pour tenter de construire les convergence nécessaires au changement du rapport de forces. On voit bien la détermination qu’il faut pour contourner les pièges, les nombreuses entraves une fois la bataille lancée. Comme on dit souvent, « on ne lâche rien ! ».

Au final, ce qui est terrible, ce n’est pas tant ces patrons qui font tout pour diviser et affaiblir les ouvriers. S’il n’y avait « que » ça, le combat social serait presque simple. Malheureusement, nous sommes confrontés dans « notre » camp aux chefs syndicaux, à ces bureaucrates qui paralysent, freinent ou pèsent de tout leur poids contre l’émancipation ouvrière. C’est d’ailleurs souvent au dessus des forces des équipes militantes de pouvoir se battre à la fois contre les patrons et les dirigeants des confédérations syndicales.

Il y a enfin les problèmes politiques qui se posent à toute bataille sociale et notamment celles concernant la défense des emplois, les résistances aux licenciements, aux fermetures d’usines. Des luttes particulièrement d’actualité et dans tous les coins du monde. Le conflit syndical devient vite un conflit politique car pour gagner, il n’y a pas d’autres choix que sortir la lutte des murs de l’usine. D’où la nécessité des liens de solidarité entre salariés d’entreprises différentes, de secteurs économiques différents, de pays différents. D’où la nécessaire convergence des luttes, la construction vitale de la mobilisation générale. C’est la seule façon de changer le rapport de forces et de se donner les moyens de changer la donne. C’est ce que nous voyons bien dans le livre.

Cette lutte contre les licenciements pose le problème de revendications offensives et pas seulement défensives. Car défendre nos emplois, cela signifie stopper ou interdire les licenciements. Et immédiatement se pose le problème de ne pas laisser l’économie entre les mains des capitalistes, celui du contrôle ouvrier sur la production et sur les usines. Cela pose tout simplement le problème de prendre en main nos luttes, nos affaires, notre vie quoi. C’est ce que raconte très bien Henry.

Avec ce témoignage, comme avec tous les livres qui racontent des luttes, on voit bien que notre camp social est riche d’une grande expérience. Le problème est que nous avons du mal à transmettre cette expérience, à collectiviser notre vécu, nos histoires. Dans la quasi-totalité des cas, nous sommes amenés à subir les mêmes problèmes mais chacun dans son coin, isolés les uns des autres. Alors le livre d’Henry est important à faire connaître, à faire circuler. La solidarité, la conscience collective, la convergence des luttes naîtront de cette culture commune. Le combat de chacun est une aide pour tous les autres, il fait réfléchir, il fait discuter, il donne la force pour tous les combats qui suivront.

Pour nos luttes de demain, pour notre émancipation, nous avons vraiment besoin d’apprendre les histoires des autres militants, celle des autres classes ouvrières de tous les pays.

—Philippe Poutou, délégué CGT à Ford-Blanquefort (France) et militant du NPA


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