9 décembre 1906 La France, l’Allemagne et l’Angleterre tentent un coup d’état au Vénézuéla

lundi 12 décembre 2022.
 

L’expulsion en janvier 1906, du chargé d’affaires français Oliver Taigny, et la rupture ultérieure des relations diplomatiques entre le Venezuela et la France résultèrent d’un rappel au respect de la souveraineté du Venezuela de la part du président Cipriano Castro. Lequel rompit le contrat qui liait le pays et la Compagnie Française des Câbles téléphoniques, qui fut compromise dans la conspiration des caciques dirigée par Manuel Antonio Matos et le blocus des côtes vénézuéliennes émanant d’un certain nombre de puissances européennes.

Durant les derniers mois de l’année 1901 une conspiration contre le pays, fut préparée de l’étranger et du Venezuela lui-même, ourdie par l’élite bancaire et les derniers notables d’Aragua, Maturin, Zamora (Barinas), Guyana et Sucre, conjointement à d’autres de la zone Caraïbe et de la frontière colombienne, dont le but ultime aura consisté à supplanter de fait, les andins du pouvoir.

En tant que leader de la « Revolucion Libertadora » -le banquier et ex- ministre des Finances du président Ignacio Andrade (1898-1899)- Manuel Antonio Matos acquiert en Angleterre, un navire de guerre le Ban Right, et débarque au Venezuela pour se joindre aux autres conjurés. Et ce, avec l’appui de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France -laquelle s’assura les services de la Compagnie Française des Câbles télégraphiques et finança la conspiration. Cependant, cette tentative avorta définitivement en novembre 1902.

Alors qu’à La Victoria (Aragua) sa défaite est avérée, la coalition des puissances étrangères préparera un blocus naval prenant pour prétexte la question des dettes contractées par le Venezuela. Elle dépêche une escadre de 15 navires pour s’emparer de la flotte vénézuélienne, verrouiller les zones côtières du pays et préparer un éventuel déstabilisation de ces dernières, voire un bombardement de celles-ci.

En novembre de la même année, les représentations diplomatiques de ces pays exigent le remboursement des dettes contractées ; le 9 décembre le blocus devient effectif ; les navires vénézuéliens saisis ; le débarquement à quai de troupes étrangères réalisé ; le château Libertador et le Fortin Solano, à Puerto Cabello (Carabobo), mais aussi le château San Carlos à Maracaibo (Zulia) bombardés.

Le « service d’information » de la Compagnie Française des Câbles téléphoniques

Dès 1866, la télégraphie à fil s’imposa comme premier moyen technique, en vue du contrôle de la diffusion de nouvelles/dépêches depuis l’étranger jusqu’à la Périphérie et vice versa. Les agences telles qu’Havas (France) (dont l’Agence France-Presse/AFP est aujourd’hui l’équivalent), et Reuters (Angleterre), assuraient principalement la diffusion de l’information relative aux échanges commerciaux, aux cotations en bourse et renforçaient de ce fait le système d’information lié au système capitaliste.

En 1870, on comptait déjà des relais de lignes aux Antilles et en Amérique du sud ; durant ce laps de temps, la France avec la Compagnie Française des Câbles télégraphiques et la Compagnie des Câbles Sud-américains, s’opposait à l’empire britannique, pour la domination de la région. Charles-Louis Havas patron français de la première agence de nouvelles au monde, sera la figure de proue de cet engagement.

En 1876, pour des raisons de fonctionnement et de coûts, les agences Reuters et Havas décident de se répartir les territoires de la planète desservis par le télégraphe. La première s’arrogera le contrôle de l’Angleterre, l’Inde, la Chine, le Japon, la Hollande et Hambourg. La seconde étendra son emprise sur la France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie et l’Amérique du sud. Ces répartitions concernèrent également les colonies britanniques et françaises, ce qui démontre au passage, que le contrôle de l’information favorisa la domination impériale de cette époque.

Le Câble français et le blocus naval

En mai 1888, le câble sous-marin atteint La Guaira (Vargas) et la première communication est assurée le 18 juin. Avant cette période, les nouvelles aboutissaient à Trinidad, par le biais du terminal câblegraphique anglais. Par la suite, l’information sera transmise par la voie maritime à Macuro (Sucre) et depuis Güiria les informations seront transmises à Caracas par le télégraphe.

Preuve de l’existence d’une volonté du contrôle sur l’information, le « service » de l’agence Havas ne concernait pas directement les journaux et périodiques. Il était partie constitutive du contrat de service passé entre la Compagnie française du Télégraphe Sous-marin et le gouvernement vénézuélien. Dans ces conditions, explique Eleazar Diaz Rangel dans son livre intitulé La informacion internacional en America Latina (L’information internationale en Amérique Latine) , les journalistes se voyaient contraints de recueillir les dépêches câblegraphiques directement auprès de l’agence télégraphique.

Le 9 décembre 1902, jour qui voit le début du blocus des zones côtières, la Compagnie du Câble français – la même qui avait mis à la disposition de la Revolucion Libertadora son réseau télégraphique côtier afin de révéler la teneur des communications émanant du gouvernement, profitant du siège imposé au secteur côtier et bénéficiant du concours de l’agence Havas, déforma la réalité des faits et entreprit d’isoler le pays sur le plan médiatique.

Par ailleurs, la dite agence fit le silence sur la réaction de divers pays. Et plus précisément sur la protestation qu’émit le ministre des Affaires étrangères argentin Luis Drago (proclamation connue sous le nom de Doctrine Drago), à propos des mesures de recouvrement de la dette par la force. L’agence Havas fit en sorte de hiérarchiser le traitement des faits, afin de minimiser l’imminence de la venue des navires de guerre dans les ports vénézuéliens.

Pour sa part, Reuters, qui recevait les dépêches d’Havas, sollicita auprès du ministère allemand des Affaires étrangères, l’autorisation de publier un communiqué dans lequel le Vénézuela précisait être conscient d’être une nation souveraine, égale des autres puissances, et qu’il était par conséquent décidé à défendre sa souveraineté.

Le dénouement résulta d’un arbitrage par lequel le Vénézuela récupéra sa flotte mise sous séquestre, et s’engagea à payer 30% des recettes des douanes de La Guaira et Puerto Cabello. Le 14 février 1904, la levée du blocus sera la contrepartie de ces accords ratifiés par le Tribunal de La Haye. Le 22, la sentence rendue fut promulguée.

Rupture avec la France

La France a toujours soutenu le complot contre Castro. A Fort de France (Martinique), elle fournit l’équipage du Ban Righ, et au Vénézuela, elle fit du Câble Français, un instrument de son entreprise de déstabilisation du président vénézuélien. Elle tira profit du conflit naval en dénonçant "l’agression" contre le vapeur Ossun, propriété d’un citoyen français résidant dans le pays. Quant à la compagnie du Câble français, elle bénéficia des plus grandes opportunités quant au déploiement de son réseau de lignes terrestres et côtières.

Le président Castro, conscient du rôle qu’avait joué la France dans ces événements, et face aux réclamations des paiements que la sentence de La Haye avait entérinés, décida en date du 4 septembre 1905 de rompre le contrat qui liait le pays à la Société des Câbles sous-marins. Dorénavant, le gouvernement décidera de prendre en main l’exploitation des services terrestres et côtiers, hormis la station de La Guaira, et ce, afin de ne pas interrompre les communications avec l’extérieur.

Dans son ouvrage intitulé El hombre de la levita gris, Enrique Bernardo Nunez soulignera le fait que Monsieur Brun, président de la compagnie, soutint auprès du gouvernement que ces mesures représentaient une menace pour la liberté de l’industrie. Une décision d’expulsion du pays sera prise à l’encontre de ce dernier. En date du 14 janvier 1906, le chargé d’affaires français Oliver Taigny sera également visé par cette décision, après que sa compagnie eut pris la décision de refuser le paiement de la patente de la même année ; cette disposition débouchant sur la fermeture de son agence de La Guaira.

Le 10 janvier, la France déclarera rompues les relations diplomatiques avec le Venezuela. Elles seront rétablies en 1913, sous la présidence de Juan Vicente Gomez, soit un an avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. L’accès au marché pétrolier devenait une nécessité vitale pour les dits pays.

Le Venezuela reviendra au service câblegraphique en s’appuyant sur une assistance maritime, avec deux embarcations qui assureront un trajet quotidien entre Trinidad et Curazao. Cette expérience durera peu de temps, jusqu’à ce que d’autres moyens de contrôle de l’information mondiale s’imposent avec l’arrivée de la télégraphie sans fil et de la radio…

Pedro Ibanez

Source : AVN, 17/01/2014. http://www.avn.info.ve/contenido/19...

Traduction de l’espagnol : Jean-Marc del Percio


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