Derrière l’épouvantail de l’intermittence, tous les chômeurs

mercredi 26 février 2014.
 

« Cessons de tirer sur les intermittents ». C’est le titre d’un billet à la une des Echos daté du 24 février signé par l’ex-présidente du Medef, Laurence Parisot. Elle y explique aux lecteurs du quotidien économique qui n’en ont pas forcément l’habitude qu’il ne serait pas sage de faire des intermittents des boucs émissaires. La preuve qu’ils ne sont pour rien dans le déficit de l’Unedic, dit-elle, c’est qu’en 2008, la caisse était alors excédentaire de 4,5 milliards d’euros et qu’en 2010, elle était déficitaire de 2,9 milliards à nombre égal d’intermittents et à montants d’indemnisation équivalents. Mieux, reprenant des thèses syndicalistes extrémistes, elle se livre à une apologie de la solidarité. A ceux (sans doute nombreux dans son entourage) qui lui répètent en boucle que les allocations allouées aux intermittents sont cinq fois supérieures aux cotisations collectées dans le secteur, elle répond par un argument d’ordinaire étranger à la rhétorique patronale :

« Où irait-on si l’on se mettait à soupeser au sein de l’Unedic la contribution de chaque secteur d’activité et à évincer ceux qui, sur une certaine durée, afficheraient un solde cotisations-allocations négatif ? » Cette excellente question, on aimerait qu’elle la pose à ses anciens camarades du Medef, qui, manifestement, persistent à penser de la sorte. Il ne faut toutefois pas se méprendre sur la conversion de l’ancienne présidente du Medef. La culture reste pour elle une marchandise et c’est en comptable avisée qu’elle se penche sur le problème. Pas à la manière du président américain, Abraham Lincoln, qui avait lâché à quelques cupides accrochés à leur magot : « si vous trouvez que la culture coûte cher, essayer l’ignorance ! » Il incluait dans sa remarque du social et du civilisationnel. C’est moins évident pour Madame Parisot pour laquelle « l’offre culturelle » est avant tout une « offre économique » juste « pas comme les autres ». A prendre en compte, car « le rayonnement et l’attractivité de notre pays » dépend aussi « de sa production culturelle ». « L’économie et la culture ne sont pas en conflit d’intérêts. Tout au contraire. (…). Elles ont un potentiel de synergies vertueuses tout à fait exceptionnelles. Profitons-en ! ».

Mais - nous y voilà - pour mieux en profiter, il faudrait, « impérativement lutter » contre les « nombreux abus dont fait l’objet le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle. » Pour tout dire, « des plafonnements, des critères différenciés entre les métiers techniques et ceux du spectacle vivant, des simplifications dans les procédures, pourraient largement y remédier. » La « figure emblématique de l’intermittent du spectacle », souligne Madame Parisot, c’est « l’acteur de théâtre ». Ce qui exclut d’emblée beaucoup de monde de l’intermittence, au premier rang les techniciens de l’annexe VIII avant de tronçonner l’annexe X et de faire le tri parmi les artistes. Quant aux simplifications de procédures, les négociateurs du Medef y travaillent. A tout bien considérer, il y a une différence de tactique entre l’ex-présidente et ceux qui l’ont débarquée l’an passé au profit de Pierre Gattaz mais pas de stratégie. Il s’agit plus que jamais de faire la guerre aux salariés.

La renégociation de la convention Unedic offre pour cela un beau champ de bataille. Et le Medef, en enfant gâté auquel on cède tout ces temps-ci, n’a pas fait dans le détail. Il a proposé d’entrée au nom de « l’équité » la suppression pure et simple des annexes VIII et X qui régissent le statut des intermittents, mais aussi l’annexe IV des intérimaires et la révision à la baisse de toutes les dispositions pour le régime général. La presse jusqu’ici s’est focalisée sur les intermittents. C’est plus photogénique et on peut recycler les articles d’année en année. Mais en réalité, tous les salariés privés d’emplois, les précaires, les temps partiels, les chômeurs de courte ou longue durée sont concernés.

Le document-cadre du Medef est explicite. Le système actuel est selon lui « aveugle à la conjoncture économique et à la réalité du marché du travail ». Sans vergogne aucune, l’organisation patronale dont les adhérents multiplient les plans sociaux, les délocalisations et autres restructurations propose des mesures pour « inciter au retour à l’emploi ». Car le chômeur est, on le sait, rétif, paresseux, voire roublard. Il peut, à défaut de retrouver un travail en CDI compenser le montant de ses allocations en exerçant une activité réduite. Horreur : son travail n’est plus qu’une « activité de complément » et les bénéfices qu’il en tire, ajoutés à ses allocations, peuvent parfois égaler voire dépasser son ancien salaire. Pour casser cet « effet d’aubaine » (sic) dont se goinfrent aussi les intérimaires, il faut plafonner de manière drastique le montant de cette combinaison de revenus.

Mais avant tout, pour remotiver le chômeur par nature profiteur, le Medef suggère de baisser les allocations. Si le taux de chômage est supérieur ou égal à 10%, comme aujourd’hui, la période d’indemnisation va courir sur 24 mois (36 pour les seniors). Mais si par bonheur, le chômage passe sous la barre des 10%, la période d’indemnisation va se rétracter à 18 mois (30 pour les seniors). De la même manière, il faudra 4 mois d’affiliation au minimum pour ouvrir ses droits à l’indemnisation comme aujourd’hui si le taux de chômage est égal ou supérieur à 10%. Mais deux mois de plus donc 6 mois si ce taux passe sous les 10%. Autrement dit, dès que la situation s’améliorera un peu statistiquement, elle empirera réellement pour des millions de chômeurs pour qui il sera plus difficile d’être indemnisé et sur une durée plus courte.

En dehors de ces considérations sur le retour à l’emploi et l’équité, le Medef prend le prétexte du déficit et la dette grandissants de l’Unedic. Feignant l’affolement, il agite hystériquement la menace de 40 milliards d’endettement en 2017. N’aurait-il pas remarqué qu’il vide lui-même les caisses en multipliant les emplois précaires et les périodes de chômage d’une part grandissante de la population ? N’aurait-il pas foi non plus dans ce qu’affiche le pin’s de son président Pierre Gattaz qui promet un million d’emplois que devraient libérer les 50 milliards du pacte de responsabilité ? Il se refuse en tout cas à augmenter sa part de cotisation (dont il ne cesse d’exiger la baisse lorsque la caisse est excédentaire) alors même que le record de versement des dividendes sur la planète vient d’être battu. Plus de 1000 milliards de dollars ont été versés en 2013 aux actionnaires, soit une progression de 43% entre 2009 et 2013 ! Et la France, ce pays où il n’est pas possible de faire des affaires, dont le déclin nous est annoncé à chaque JT ne s’en tire en la matière pas si mal avec une troisième place mondiale : 50 milliards distribués à ses actionnaires. A cette aune, il est effectivement urgent d’en finir avec le surcoût estimé des annexes des intermittents (320 millions par an), des intérimaires (340) et de faire les poches des chômeurs actuels et futurs du régime général…

Jeudi 27 février va se tenir une nouvelle rencontre entre les syndicats salariés et le Medef. Pour défendre le statut des quelque 100 000 intermittents et des deux millions d’intérimaires (dont les revenus seraient amputés de 20% en cas de suppression de l’annexe IV), la CGT appelle à une journée de grève et de mobilisation. Un rassemblement organisé par les intermittents et la coordination nationale pour la défense de la culture aura lieu à Palais Royal, à 14h, devant le ministère de la Culture avant de partir en manif vers le siège du Medef.

Jean-Luc Bertet


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