L’Ukraine est au bord du gouffre et la Russie pèse les différentes options

jeudi 6 mars 2014.
 

Tous les politiciens occidentaux, du président des Etats-Unis, Barack Obama, au plus petit d’entre eux sont des hypocrites lorsqu’ils appellent la Russie à la "réserve".

Un peu de réserve de leur part ces derniers mois, aurait certainement évité la catastrophe qui s’annonce en Ukraine. On entend de sinistres craquements, comme quand la glace se fissure, dans la mosaïque ethnique qui aura bien du mal à résister au déchirement.

L’Occident a fait une grave erreur en alimentant le feu des manifestations avec les officiels venus tout droit des capitales européennes et des Etats-Unis qui se sont succédés à Kiev pendant des semaines pour soutenir les manifestations. Des manifestations contre quoi ?

Essentiellement contre la décision du président Viktor Ianoukovitch de ne pas signer l’Accord d’Association avec l’Union Européenne parce que le pays en faillite avait besoin des 15 milliards de dollars de la Russie pour s’en sortir. L’Occident s’est trouvé confronté à la nécessité d’aider l’Ukraine dans les mêmes proportions.

Mais l’Occident veut l’Ukraine pour rien ou presque. Au lieu de relever le défi en faisant une contre proposition, l’Occident a décidé de renverser Ianoukovitch pour mettre Moscou devant le fait accompli*.

C’est une "révolution colorée", à la différence près que Ianoukovitch est un président démocratiquement élu et que l’Occident a reconnu que l’élection de 2010 avait été "libre et régulière". De fait la campagne électorale avait été gérée par une célèbre firme de relations publiques américaine.

En somme, la cinquième colonne de l’Occident en Ukraine orientale a créé une structure de pouvoir illégitime et inconstitutionnelle à Kiev, dirigée par des gens garantis "pro-occidentaux" et, plus important encore, viscéralement "anti-russes".

Il n’a pas fallu 24 heures à l’Occident pour "reconnaître" le nouveau pouvoir à Kiev. Le projet occidental est d’organiser au plus vite, c’est à dire en mai, de nouvelles élections qui donnent une légitimité constitutionnelle à ses hommes de main pour qu’ils puissent signer l’Accord d’Adhésion à l’Union Européenne. Autrement dit, l’Occident a répondu au challenge de la Russie en exigeant d’elle qu’elle avale la pilule amère que constitue une Ukraine hostile à sa porte, une Ukraine qui tôt ou tard serait intégrée à l’OTAN, amenant l’alliance occidentale aux frontières russes pour la première fois dans l’histoire.

On s’attend à une décision cruciale de la part du Kremlin. Elle a peut-être déjà été prise. Les mouvements de troupes ne semblent pas de bonne augure. D’un, le président Vladimir Poutine a immédiatement ordonné un exercice militaire aux frontières entre la Russie et l’Ukraine. De deux, le Minsk et le Kaliningrad, deux navires russes de débarquement de la classe Ropucha, qui avaient été envoyés en Méditerranée orientale au large de la Syrie la semaine dernière ont traversé le Bosphore et sont revenus en mer Rouge. Et de trois, le Vishnya, un navire de renseignement de la classe Meridian hérissé de matériel d’espionnage électronique et de missiles air-sol vient, semble-t-il, de se positionner à la Havane à Cuba.

Cependant la diplomatie est aussi à l’oeuvre. D’un, les ministres russes et étasuniens de la Défense devaient avoir une conversation téléphonique hier soir. Les remarques, jeudi à Bruxelles, du secrétaire général à la Défense, Chuck Hagel sur l’Ukraine semblaient raisonnables. Et de deux, le secrétaire d’Etat étasunien, John Kerry, a dit, jeudi au téléphone, à son homologue russe, Sergey Lavrov, qu’il privilégiait un dialogue russo-étasunien pour stabiliser la situation en Ukraine.

Le problème c’est de savoir sur quoi portera le "dialogue". La Russie soutient que l’accord de paix du 21 février devrait faire référence (ce que d’ailleurs avait aussi suggéré Obama à Poutine au téléphone). Tandis que les Etats-Unis ont évolué depuis, ont vite "reconnu" le renversement de Ianoukovitch et se préparent à faire des affaires avec les individus qui ont usurpé le pouvoir.

De fait, le vice-président Joe Biden s’est empressé de traiter le nouveau "premier ministre" ukrainien, Arseny Iatseniouk comme son homologue à Kiev.

Il n’y a aucun doute que le fossé est profond entre les Russes et les Américains - peut-être qu’ils ne sera pas facile à combler et les deux camps vont s’en rendre compte. Moscou va penser que Washington exige virtuellement que la Russie change de position et accepte la réalité géopolitique : à savoir que l’Ukraine est en passe de rejoindre l’orbite occidentale. Mais la Russie ne peut pas accepter une telle défaite stratégique.

La Russie a non seulement reconnu que Ianoukovitch était en Russie mais elle a souligné clairement que Moscou continuait à le considérer comme la tête légitime de l’état. C’est une affront indéniable pour Washington et le début d’une situation aberrante (et dangereuse) dans laquelle les Etats-Unis et la Russie traiteraient avec deux interlocuteurs différents représentant l’état souverain d’Ukraine et pourraient se prévaloir l’un comme l’autre du droit international pour légitimer leurs actions.

Les derniers rapports en provenance de Moscou indiquent que Poutine a "demandé au gouvernement russe d’étudier la question d’une aide humanitaire pour la Crimée". Une boîte de Pandore s’ouvrira si Ianoukovitch demande l’aide de la Russie pour calmer la situation en Crimée. Ianoukovitch doit tenir une conférence de presse ce soir.

Où aura lieu la conférence de presse ? Eh bien, à Rostov sur le Don. Oui, la ville du "Don paisible", le roman épique de Mikhail Sholokov, un des monuments les plus sacrés de la littérature russe, qui a pour toile de fond la guerre de Crimée (1853-86) ; il décrit la vie des Cosaques du Don qui vivent dans la vallée du Don et qui sont les défenseurs traditionnels du peuple russe et de leur foi. Invoquer la mémoire des Cosaques dans la situation actuelle est hautement significatif - principalement pour ceux qui n’ont peut-être pas conscience de la profondeur des liens qui unissent l’Ukraine à l’âme russe.

M K Bhadrakumar

Note :

* En Français dans le texte.

Pour compléter, voir l’analyse de cet article par Philippe Grasset : http://www.dedefens


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