"La machine va se bloquer. Et le système tout entier va passer par dessus bord. "

dimanche 25 mai 2014.
 

Peut-on changer l’Europe ? Les écologistes peuvent-ils s’unir ? Comment sortir de la croissance ? Après José Bové et Corinne Lepage, Jean-Luc Mélenchon s’explique avec Reporterre.

Reporterre - L’Europe institutionnelle est–elle réformable ?

Jean-Luc Mélenchon - Elle n’est pas réformable. Il faudrait revenir sur le traité de Lisbonne et à démanteler le traité budgétaire : ce n’est pas une réforme, c’est tout remettre à plat. Une fois qu’on a dit qu’elle n’est pas réformable, la question se pose : faut-il une Europe ? Je dis : oui, l’union de l’Europe est une nécessité parce que c’est le moyen d’empêcher la guerre. La matrice de la plupart des guerres sur cette planète est la vieille Europe.

Mais ce n’est pas la première fois qu’on essaye de faire l’union de l’Europe. Toutes les tentatives historiques ont échoué, depuis l’Empire romain. Mais on n’a jamais impliqué les citoyens dans cette construction. Pourtant, nous, Français, avions la clé : car la nation française est le résultat d’une agglomération de peuples ayant des religions différentes, le protestantisme le catholicisme, et des langues différentes – des Occitans, des Bretons, des Basques, qui parlaient la langue de leur terroir et de leur culture. On n’a pas fait cela. Mais ce n’est pas parce qu’on a échoué qu’il faut renoncer. Je suis partisan de refonder l’Europe.

Mais quel est le diagnostic, en fait ? Fonctionne-t-elle vraiment mal, l’Europe ?

Elle fonctionne très bien pour la prédation financière. Elle fonctionne plutôt bien pour la libre circulation des marchandises. Mais elle fonctionne de manière abominable pour la circulation des personnes, que celles-ci viennent de l’extérieur, ou circulent à l’intérieur des frontières de l’Europe : c’est le résultat d’un dumping social avec notamment les directives sur les travailleurs détachés. De même, d’année en année, les droits sociaux s’unifient par le bas.

Et en ce qui concerne l’environnement ?

La nouveauté de l’exigence écologique a pu se frayer un passage plus grand dans l’espace européen que dans les Etats nations, où les lobbies qui se confrontaient à cet impératif écologique avaient plus de moyens d’intervenir. Il y a eu des avancées dans la réglementation environnementale. Mais il y a aussi des échecs énormes, tels que le marché carbone qui transpose dans le domaine du climat les concepts du libéralisme et de la marchandisation de toutes choses. La seule chose que cela a produit est une spéculation et un effondrement des coûts du carbone.

Cela nous amène au cœur de la question : au sommet de la hiérarchie des normes européennes, il y a la concurrence libre et non faussée. Donc, il n’y a pas de place pour l’intérêt général, puisque la concurrence libre et non faussée est par définition la confrontation des intérêts particuliers.

Que faire ?

La subvertir par les mouvements sociaux, la dénonciation, la critique. Et aussi par le bulletin de vote parce que, ou bien on vote ou bien on règle les problèmes à coups de bâtons. Moi, je préfère le vote. Donc, je préfèrerais que les gens se déplacent pour opter pour telle ou telle Europe, même si ce Parlement n’est pas vraiment un Parlement, même si les institutions européennes ne sont pas démocratiques. Imaginez que les députés se déclarent en assemblée constituante. Qui les en empêcherait ?

Comment expliquez-vous le désamour des citoyens pour l’Europe ?

Ils ont raison. Ils ont investi beaucoup d’espérance. Les Français ont vécu trop de guerres pour ne pas comprendre que la paix n’est pas un état de nature et que cela passe par des institutions. Mais ils ont parfaitement compris qu’on se moque d’eux. Quand ils votent « non » en 2005, on fait comme s’ils avaient dit « oui ». Et quand ils élisent un président de la république qui dit, « je vais renégocier le Traité », une fois élu, il signe le texte sans en changer une virgule. Leur abstention est une colère froide. C’est une manière dans la diversité des opinions de dire, (« vous vous êtes assez moqués de nous ».

Vous êtes dans une position paradoxale : vous comprenez la rationalité de l’abstention et en même temps vous dites qu’il faut voter.

La volonté du peuple souverain s’exprime dans les canaux qui lui sont proposés sous les formes démocratiques que nous trouvons. Avoir un objectif et un programme révolutionnaire, ce n’est pas refuser les opportunités qui se présentent. On propose un Parlement qui soit un vrai Parlement , et qui puisse intervenir sur le marché unique. On accepte la règle du jeu, quitte à la subvertir de l’intérieur.

Mais si vous restez avec les quelques 8 % du Front de gauche et EELV avec 8 points et que chacun reste dans son coin, que pourrez-vous changer ?

Je milite pour l’unité avec les écologistes, mais pas sur la base des traités européens, pas sur la base de la concurrence libre et non faussée.

Comment faire l’unité ?

Il n’y a pas d’unité possible qui serait une espèce de réunion des « anti ». Il faut être ensemble pour quelque chose. On ne peut pas s’entendre s’il s’agit d’« être les gardiens du Traité », de même qu’on ne pourra jamais s’entendre si on accepte au sommet de la hiérarchie des normes la concurrence libre et non faussée. Au fondement de l’écologie politique, il y a la prise de conscience de l’existence d’un écosystème compatible avec la vie humaine. La première conséquence de cela et la base de intérêt général humain, qui est de défendre l’unique écosystème qui rend notre existence possible, c’est la coopération des êtres humains, pas la compétition.

Or, par exemple, le groupe Vert au Parlement européen a voté en faveur de la libéralisation du marché de l’énergie. Comment peut-on croire qu’une bifurcation de la production énergétique pourrait se produire par la libéralisation de ce marché ? En revanche, nous refusons ensemble la libéralisation du rail.

Peut-il y avoir une alliance autre que ponctuelle ?

Notre espace commun, c’est le paradigme de l’écologie politique, non pas comme un accessoire des programmes, mais comme le point de départ des programmes politiques. La gauche du XXIème siècle, ou elle est écologiste ou elle n’est pas de gauche. Jaurès dit : « Toute la question politique se résume à UNE question : la souveraineté politique du peuple dans tous les domaines ». S’il y a une souveraineté politique, elle ne peut s’exercer qu’au nom de l’intérêt général. La préservation de l’écosystème est l’intérêt général de tous les êtres humains.

Nous luttons contre quelque chose de terrible. Si ce n’était qu’un système politique, ce serait plus facile à subvertir. Mais nous luttons contre un ordre culturel. La nouveauté du capitalisme de notre époque est qu’il nous fait absorber, « incorporer » comme disait Bourdieu, ses normes. Chacun est avide des consommations pour capter, par cannibalisme, les vertus des objets consommés. On n’achète pas des yaourts, mais de la minceur. On n’achète pas un véhicule, mais la virilité. Là est la grande force du système établi et sa stupéfiante irresponsabilité. Car il n’essaye même pas de se justifier. Un continent de déblais flotte sur les océans. Pas un seul jour on ne se dit : « Mais qui est responsable de ce désastre ? »

Un autre point de clivage avec les Verts est le rapport à l’Etat. José Bové dit que le Parti de gauche pense qu’on peut faire une politique au sein d’une seule nation, mais que le système international ne le permet plus et que c’est à l’échelle européenne qu’il faut agir.

Que conclure d’une telle affirmation ? Que rien n’est possible. Nous vivons dans un cadre national, nous parlons une langue et pas une autre. Nous ne comprenons pas ce que nous disent les Allemands, sauf ceux qui ont appris à parler l’allemand . Nous ne comprenons pas ce que nous disent les Anglais. Cela ne facilite pas le fonctionnement de la communauté humaine. C’est donc à l’intérieur du cadre national que fonctionne notre démocratie. S’il y avait un Parlement européen qui en soit un, c’est là-bas que cela se passerait. Mais ce n’est pas le cas. Je ne dis pas que la transition du modèle social et écologique peut et doit se réaliser dans un seul pays.

Vous dites : cela serait bien de le faire à l’échelle européenne, mais compte tenu de ce qu’elle est à l’heure actuelle, le lieu où on a le plus de possibilité d’action c’est le champ national.

Pour l’instant, c’est comme cela que cela se présente. Pour nous Français, la situation est différente de ce qu’elle pourrait être pour un Maltais ou un Chypriote. Pourquoi ? Parce que nous sommes la deuxième population d’Europe en nombre, le premier territoire d’Europe, la deuxième puissance économique. Il est plus facile pour nous de mettre en mouvement une dynamique de changement en partant de l’Etat nation que pour d’autres. Mais comment pourrais-je être écologiste et ne pas comprendre que l’espace physique nous unit à une population immense jusqu’en Asie pour certains aspects ? Nous attribuons à l’Etat un rôle d’organisateur, de stratège, de maître des horloges, oui, cela est vrai. Il faut que le cadre soit donné par l’Etat et que l’Etat fasse respecter la règle générale. Ensuite, dans la mise en œuvre d’une politique de relocalisation de l’activité, ce n’est pas l’Etat qui peut le décider.

Qui ?

L’Etat européen n’y arriverait pas non plus. Ce n’est pas à lui à dire où il faut aller cueillir la lavande et les autres produits qui sont nécessaires pour faire de la tisane près de Marseille, par exemple ! Ce que va pouvoir dire l’Etat, c’est « Nous ne voulons pas que les tisanes de Marseille soient produites en Pologne. Il faut les produire là où poussent les plantes". De même, on dira que Laguiole n’est pas au Pakistan, mais à Laguiole. L ‘Etat sera garant des appellations d’origine contrôlée.

Cela pourrait être un Etat européen

Oui bien sûr. Mais pour qu’il y ait un Etat européen, il faudrait qu’il y ait un peuple européen et, pour qu’il y ait un peuple européen que faut-il ? Une communauté légale une et indivisible. C’est-à-dire un espace démocratique où la loi s’applique à tous parce qu’elle est décidée par tous, et non pas au deuxième ou au troisième degré comme quand on arrive au niveau de la Commission ou au Conseil des gouvernements. Ainsi, j’ai l’impression que l’objectif est le même qu’avec les Verts. Simplement, c’est à partir du cadre national que les choses doivent se changer. Supposez qu’on ait une majorité avec EELV et que notre pays aille voir le gouvernement allemand en lui disant : « La BCE doit changer de statut. Elle doit s’occuper de fournir les moyens dont les Etats on besoin pour faire la transition écologique. D’accord ? » On le pourrait avec une force et une puissance qui serait celle de notre pays.

Un autre aspect des choses est que vous êtes alliés avec le Parti communiste. Est-il clair sur la question nucléaire ?

Non.

Est-il clair sur la question de la croissance ?

Non.

Alors, est-ce cohérent, cette alliance, plutôt qu’avec les Verts ?

Nous sommes anti-productivistes et pour la sortie du nucléaire. Le Parti communiste n’est pas clair sur la question du productivisme, parce qu’il est bien plus divers et pluriel qu’on ne le voit de l’extérieur. Il existe une mosaïque de partis communistes locaux départementaux, régionaux, et dans cette mosaïque il y a bien des aspects. Je fais le pari que le prolongement de l’intuition communiste les amènera à l’écologie politique.

Leurs yeux qui brillent quand je dis « Il n’y a qu’un seul écosystème donc c’est bien un bien commun. L’idée d’égalité est centrale dans le communisme et refondée par l’écologie politique. » Après, de quoi parle-t-on ? On peut parler de certaines corporations puissantes qui sont influentes au sein du Parti communiste. S’il y avait moins d’agents d’EDF aux postes de responsabilité, peut-être le point de vue serait différent. Mais on ne va pas reprocher au Parti communiste d’être aussi l’expression politique de ces groupes, même si c’est une erreur. Ce que j’observe, c’est le nombre de dirigeants et de militants communistes qui ont franchi le pas. Un homme comme Olivier Dartigolles, le porte parole du Parti communiste, a publiquement dit qu’il était pour la sortie du nucléaire, et lui et moi nous faisons le même pari. On dit, dans la meilleure tradition du mouvement ouvrier, que nous faisons confiance à la technique, à l’inventivité, à la qualification pour dépasser le nucléaire.

Nous sommes tombés d’accord pour dire qu’il fallait un référendum pour sortir des énergies carbonées et sur le nucléaire. Pourquoi ? Parce que toutes les familles politiques sont divisées entre pro et anti nucléaires, sauf EELV et le Parti de gauche. Donc, consultons le peuple. Mais ayons un débat honnête. Pas la confrontation de la soit disant raison incarnée par les nucléaristes avec l’irresponsabilité dans laquelle nous serions.

Chacun doit mettre ses arguments sur la table. Eux doivent nous dire comment ils font avec le maintien de cette technique, un pour démonter les centrales trop vieilles, deux, des déchets nucléaires, trois, de l’hypothèse que n’importe quel être rationnel doit envisager, celle de l’accident. Celui-ci n’est pas un cas abstrait, mais quelque chose d’extrêmement concret devant lequel aucun responsable politique ne doit se défiler.

Les nucléaristes répondraient. Et, nous nous répondrions au défi qu’ils nous lancent : comment arriver à la même quantité d’énergie sans nucléaire ? Nous serions capables de répondre. Et je n’ai aucun doute de ce que serait le résultat d’un référendum populaire. Il faut avoir confiance dans la démocratie. Ou c’est la démocratie ou c’est la dictature. Moi, je choisis la démocratie. Mais pour l’instant, cela ressemble à la dictature parce qu’il y a un point de vue sur le nucléaire qui nous est imposé et on ne demande l’avis de personne.


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