Elections européennes en France : la déception du Front de gauche

mardi 3 juin 2014.
 

- Alors que des formations analogues progressent ailleurs en Europe, le surplace électoral du FdG et sa difficulté à répondre aux aspirations de ceux qui devraient se reconnaître en lui démontrent la nécessité de nouvelles réponses de sa part.

Les élections européennes de 2009 avaient constitué le baptême du feu pour le Front de gauche. Responsables et militants attendaient beaucoup de la nouvelle consultation, après les péripéties délicates des municipales. La déception a été au rendez-vous.

Alors que le FN et le Front de gauche (FDG) étaient au coude-à-coude en 2009, le parti frontiste a connu l’envolée que l’on sait, tandis que la gauche de gauche fait du surplace. Le FDG fait à peine un peu mieux qu’en 2009, ce qui ne l’empêche pas de perdre le siège de Jacky Hénin, l’ancien maire de Calais, dans le grand Nord-Ouest.

L’évolution est à peu près la même dans les différentes régions (voir nos tableaux récapitulatifs). Le FDG enregistre ses plus fortes progressions dans l’Est et l’Ouest (+1,35% et +0,61%) et fléchit légèrement dans le Massif-Central-Centre et dans le Nord-Ouest. Du point de vue régional, il progresse assez sensiblement dans des territoires d’implantation modeste (Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Lorraine, Poitou-Charentes) et fléchit dans des zones d’implantation un peu plus dense (Centre, Corse, Limousin, Nord-Pas-de-Calais).

Les promesses perdues de 2012

Le constat est un peu plus amer si l’on élargit le regard. En 2009, le FDG et l’extrême gauche avaient fait jeu égal, ce qui portait les scores de la gauche « radicale » un peu au-dessus de 12%. En 2014, le FDG et l’extrême gauche ne dépassent pas les 8 % sur le territoire métropolitain. Sans doute faut-il tenir compte du score inattendu de Nouvelle donne, la petite formation née récemment d’une dissidence de gauche du PS. En attirant une frange de l’électorat écologiste et socialiste, le nouveau mouvement s’est fait sa place. Mais, globalement, l’extrême gauche s’est effondrée, sans que le FDG n’en récupère la part d’influence. L’achèvement définitif de la parenthèse NPA, ouverte en 2008, ne bénéficie pas au FDG. Et la gauche de gauche, si l’on y ajoute les 3% de Nouvelle Donne, plafonne autour des 11%.

Alors que, dans de nombreux pays européens, la gauche d’alternative progresse et marque la politique de son empreinte, l’espace français de la radicalité piétine. La dynamique présidentielle avait montré à la fois les potentialités du FDG et qu’il était encore loin d’atteindre le niveau nécessaire pour changer la donne. Au printemps 2012, avec la belle campagne de Jean-Luc Mélenchon, la gauche de gauche était restée dans les eaux du scrutin présidentiel précédent. Mais la concentration des votes sur le candidat présenté par le FDG donnait à l’esprit d’alternative une force et une visibilité que la dispersion antérieure corsetait.

Les élections suivantes n’ont pas confirmé ces promesses. Lors des législatives, où la grande masse des candidatures venaient des rangs du PCF, le FDG est resté au niveau du seul PCF. Quant aux municipales de 2014, elles n’ont pas été bonnes pour un Front qui manqua, tout à la fois, de visibilité et de lisibilité. Les européennes sont ainsi une nouvelle pilule amère.

La terrible cohérence du FN

La droitisation accentuée du PS crée du mécontentement et de la colère : ils se sont exprimés ce 25 mai. Mais elle nourrit davantage le ressentiment que la combativité. Or le ressentiment nourrit le retrait civique des catégories populaires (l’abstention) ou la recherche de voies courtes dont les droites autoritaires et xénophobes sont si friandes.

On ajoutera une hypothèse. Le léger regain de la participation entre 2009 et 2014 et les données de sondage disponibles suggèrent que les enjeux européens ont été déterminants dans le choix des électeurs. Le FN a fait son miel de cette situation, son discours d’exclusion se trouvant en cohérence parfaite avec un discours pseudo-patriotique qui, classiquement, renvoie à l’extérieur et donc à « l’Autre » les racines de tous nos maux. Souverainiste, xénophobe, antieuropéen : il y a là une cohérence ; terrible, mais c’est une cohérence. La même situation peut nourrir, à gauche, l’idée d’une Union européenne intrinsèquement perverse, dont le libéralisme et le technocratisme massifs sont indépassables.

Or, si la préférence nationale apparaît comme une solution immédiate dans une logique d’exclusion, le repli sur le national ne bénéficie pas du même effet d’entraînement à gauche. Pour une raison très simple : à plusieurs reprises, depuis 1981, la possibilité a été ouverte d’un État national reprenant la main pour contrer les puissances de la finance et de la « gouvernance ». Or les occasions n’ont pas été saisies et nul, en France, n’a pu empêcher les dérives des politiques publiques, de droite comme de gauche. Alors que la critique exacerbée de l’Europe en elle-même nourrit la tentation FN, elle nourrit le sentiment de fatalité à gauche, et donc le retrait civique. Le Front de gauche, a-t-il su saisir les opportunités nouvelles de cette élection-là, où l’alternative pouvait prendre pour la première fois une texture européenne, avec le Parti de la Gauche européenne et la figure attractive d’Alexis Tsipras ? C’est à voir.

Relance démocratique

La galaxie du Front de gauche doit se convaincre en tout cas que le virage social-libéral du pouvoir, confirmé par Manuel Valls le soir même du résultat, ne conduit pas mécaniquement au renforcement d’une gauche bien à gauche. Si la colère ne s’adosse pas à la perception d’une alternative tout aussi possible que nécessaire, la voie est ouverte à l’amertume et au ressentiment, et d’abord dans les catégories populaires délaissées et méprisées.

Mais la formulation d’une alternative suppose que des choses bougent dans l’espace du Front de gauche. Certainement pas dans le sens de sa dissolution ou même de son édulcoration. Si une ou l’autre des composantes du Front était mise à l’écart, ce serait une perte mortelle pour le mouvement tout entier. Conserver et élargir : c’est l’alpha ; ce n’est pas pour autant l’oméga de toute bonne politique. Car il n’est pas possible, non plus, de se cacher que le Front de gauche n’est pour l’instant qu’au milieu du gué. Il est né de l’initiative de deux organisations, l’une inscrite depuis longtemps dans l’histoire (le PCF), l’autre bénéficiant d’abord d’une longue expérience du combat au sein de la tradition socialiste (le PG). Depuis 2008, d’autres composantes se sont agrégées au duo fondateur. Mais leur présence n’a pas annulé la prégnance du tête-à-tête originel. Or, quand un mouvement dépend d’un tête-à-tête, il se trouve soumis au risque de voir le tête-à-tête tourner au face-à-face.

Quand bien même d’autres forces continueraient à s’agréger au Front déjà constitué (comme cela s’est déjà fait), on serait encore loin du compte. Car un cartel de partis ou de quasi-partis ne peut suffire à répondre aux exigences nouvelles d’une implication citoyenne. Toutes les organisations n’ont pas la même fonction, syndicats, associations ou partis et toutes ne peuvent donc pas se confondre. Il n’en reste pas moins que ceux qui agissent dans ces organisations aspirent à participer à la délibération, au choix et à l’action politique, sans que cela passe nécessairement par le prisme des partis. Concilier l’existence des partis et le désir d’implication directe, articuler le social et le politique sans subordonner l’un à l’autre (ou l’autre à l’un), trouver des manières modernes de relier l’affirmation de l’individu et le besoin de collectifs transformés : le Front de gauche n’aura demain d’utilité véritable que s’il apporte, à ces besoins, une réponse convaincante et neuve.

Esprit de refondation

La novation est l’enjeu. Il n’est pas possible que la capacité d’innover soit attribuée aux évolutions dangereuses des nouvelles générations Le Pen, ou aux impasses sociales-libérales en tous genres. En cultivant l’habitude de dénoncer avant tout le reniement d’une partie de la gauche, ne court-on pas le risque de laisser entendre qu’on se contenterait d’un retour en arrière ? Or ce n’est pas en retournant au communisme ou au républicanisme d’hier que l’on mettra la gauche de gauche sur les rails. Ce n’est pas en retournant vers on ne sait quel « thorezisme national » fixé sur la souveraineté, que l’on avancera dans les articulations nécessaires et mouvantes des combats nationaux et supranationaux.

La force du FN tient aussi à ce qu’il développe un récit sur la France. La gauche avait autrefois des grands récits, qui exprimaient une certaine modernité. Elle doit parler, sans repliement, de la France telle qu’elle est, et d’une France au cœur du monde tel qu’il est et doit être. Elle doit exprimer, dans les termes d’aujourd’hui, l’exigence de dignité du peuple tel qu’il est, celui d’aujourd’hui et pas celui d’hier, d’un peuple plus divers, plus foisonnant, plus métissé que jamais. Tout cela n’est pas encore pleinement constitué ; cela se travaille donc.

On a souvent dit, ici, que l’immobilisme était le contraire de la fidélité. Il y a déjà bien longtemps, j’ai pris l’habitude d’opposer, à l’immobilisme et au renoncement, l’esprit de refondation. Je conserve mon affection pour ce terme.

- par Roger Martelli (ancien dirigeant du PCF, actuel animateur de la FASE, Front de Gauche)


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