Le Front de Gauche doit créer les conditions du nouveau bloc majoritaire

dimanche 8 juin 2014.
 

Le Conseil national de Gauche Unitaire a adopté cette lettre en vue de la réunion de la coordination nationale du Front de Gauche. Il y est question de la structure du Front de gauche et des enseignements à tirer des dernières élections européennes.

Chères et Chers Camarades,

Dans notre lettre en date du 28 avril, nous vous faisions part de notre très vive inquiétude devant le discours qui tendait à dominer l’expression publique du Front de gauche, le rendant inaudible de la gauche et du peuple. Nous vous indiquions, en notre qualité de cofondateur du Front de gauche, notre crainte de le voir s’enliser dans l’impuissance de postures incantatoires et dénonciatrices, susceptibles de le mener aux mêmes déboires qu’une extrême gauche désormais privée d’influence véritable. Et nous vous disions combien, à nos yeux, la dynamique délétère des coups de force permanents et des chantages incessants, celle de l’invective voire des insultes proférées contre des partenaires membres de la même coalition, était de nature à ruiner le pluralisme en notre sein et à nous groupusculariser aux yeux de l’opinion.

Un mois plus tard, le résultat des élections européennes vient, après la contre-performance des municipales, de marquer un indéniable échec du Front de gauche. Nous parlons bien d’échec, non du produit de circonstances objectives difficiles. Chacun en conviendra en effet, dans la plupart des pays de l’Union européenne, la gauche anti-austérité s’est maintenue, quand elle n’a pas fortement progressé comme en Espagne, aux Pays-Bas et, naturellement, en Grèce, avec la magnifique percée de nos camarades de Syriza.

Cet échec survient au pire moment. Alors que la France acquitte la lourde addition de la dérive libérale de François Hollande et de son gouvernement, qu’elle se retrouve pour cette raison au bord du précipice, que le Front national affiche sa volonté d’hégémonie sur un large pan du monde du travail et des classes populaires, que la gauche tout entière se voit menacée de marginalisation politique et électorale… Alors que nous devrions être, en un tel moment, un pôle de résistance et de contre-offensive au service de notre camp social et politique…

Ayons donc aujourd’hui le courage de mettre sur la table tous les débats qui ont été escamotés dans la dernière période. Finissons-en définitivement avec les auto-congratulations hallucinogènes, autant qu’avec l’idée fantasmatique selon laquelle « demain ce sera notre tour ». Ne cherchons pas d’explication rassurante en désignant les responsables prétendus d’un brouillage de notre message à l’occasion des municipales, puisqu’au scrutin du 25 mai, ce sont bien des listes séparées du Parti socialiste qui se seront présentées, sous l’étiquette du Front de gauche, aux suffrages des électeurs. (couvre la direction du PCF)N’attendons pas que le mouvement social ou l’initiative citoyenne viennent redistribuer les cartes à gauche, les difficultés actuelles des mobilisations provenant d’abord de l’inexistence d’une perspective politique crédible. N’ayons pas l’illusion qu’une modification des règles de notre fonctionnement militant, ou encore l’ouverture du Front de gauche aux adhésions directes, pourraient, à eux seuls, favoriser son redéploiement.

Le problème auquel nous sommes confrontés est celui du nouveau cap stratégique à adopter. Si le Front de gauche a échoué ce 25 mai, c’est que la dynamique qui lui avait permis, jusqu’à l’élection présidentielle, de mordre sur un vaste secteur de l’électorat de gauche et de marginaliser l’extrême gauche, s’est épuisée. C’est qu’il n’apparaît pas utile à celles et ceux dont il sollicite les suffrages. C’est qu’il n’incarne pas, qu’il ne peut incarner solitairement, une solution de pouvoir crédible. C’est qu’il n’est pas perçu comme le défenseur d’une orientation pour toute la gauche. C’est qu’il n’a pas su mettre dans le débat public les quelques propositions simples à partir desquelles il lui aurait été possible d’appeler, « grand angle » comme on dit, une large majorité de ladite gauche à se retrouver.

Poursuivre dans cette voie serait une catastrophe. Le pays, nous partageons tous ce diagnostic, est entré dans la zone des tempêtes. C’est son avenir, celui de la République, celui de la gauche qui se trouvent en jeu. C’est un nouveau 21 Avril, aux conséquences bien plus graves que le précédent du fait du poids désormais acquis par l’extrême droite, qui pointe possiblement à l’horizon.

Le seul facteur d’espoir vient à présent du débat qui traverse la gauche et n’a cessé de s’approfondir depuis les élections municipales. Le départ d’Europe écologie-Les Verts à la suite de la nomination de Manuel Valls à la tête du gouvernement, puis la fronde d’une large partie des députés socialistes et du PS lui-même devant la débâcle où les mène le président de la République, en représentent les principales traductions. Bien au-delà du Front de gauche, de l’écologie politique et même de l’aile gauche estampillée du Parti socialiste, c’est la majeure partie de la gauche qui ne se reconnaît pas dans la politique de l’exécutif. L’événement est d’une immense portée.

Il importe, dans ces conditions, de se saisir de toutes les opportunités à partir desquelles il deviendra possible de relever, reconstruire et refonder la gauche. En l’occurrence, à l’aune du rejet dont les orientations du pouvoir en place font l’objet dans la gauche, il est possible d’aller vers une nouvelle majorité politique, rose-vert-rouge, supportant un autre gouvernement. Pour que cette majorité voit le jour, toutes les énergies disponibles à un changement de politique se doivent, ensemble, de donner à voir au pays que la gauche ne saurait être identifiée à la dérive austéritaire mise en application au sommet de l’État.

S’il veut retrouver une place pertinente dans la gauche, il importe que le Front de gauche relève ce défi. Qu’il soit le levier qui créera les conditions du nouveau bloc majoritaire qui se cherche. Qu’il affirme avec force et clarté qu’il veut unir la gauche dans une dynamique renouvelée de combat. Qu’il mette en discussion les quelques grands axes d’un pacte anti-austérité qui le permettra. Qu’il propose la mise en place immédiate d’un comité de liaison entre toutes les forces disposées à agir pour la sortie de l’austérité et en faveur d’une politique de relance socialement juste et écologiquement soutenable. Qu’il avance l’objectif d’assises de la gauche, respectueuses des identités et des histoires de chacun, pour un changement de cap. Qu’il mette en œuvre cette démarche, en toute circonstance, sans exclusive ni préalable, avec la ferme volonté d’aboutir.

Cela ouvre, nous ne l’ignorons pas, un débat des plus essentiels entre nous. À nos yeux, l’indépendance envers un gouvernement dont l’action tourne le dos aux besoins et attentes du plus grand nombre est essentielle. Mais cette indépendance ne saurait être synonyme d’ignorance du reste de la gauche, ni de résignation aux divisions qui font le jeu de l’adversaire. C’est pour cette raison que nous avons toujours récusé la théorie des « deux gauches », repliées sur elles-mêmes et fermées l’une à l’autre. Et que nous considérons aujourd’hui que, comme dans tous les moments cruciaux de l’histoire, l’unité est une question-clé pour notre camp social et politique. Elle est la condition de la construction d’une dynamique de contre-offensive.

La politique de « l’offre », chère au président de la République, démoralise le monde du travail et le divise en profondeur. Cette division interdit au camp progressiste de faire barrage à la droite et de faire refluer cet ennemi mortel du mouvement ouvrier et de la gauche qu’est l’extrême droite. Le rassemblement de la gauche, non en soutien à une action gouvernementale qui la désintègre mais sur une plate-forme de rupture avec le libéralisme et le productivisme, est dès lors la condition de la remobilisation de ces millions d’hommes et de femmes qui sombrent lentement dans le désespoir. C’est, nous semble-t-il, la conviction qui doit animer le Front de gauche, comme elle l’inspirait à sa création.

Pour nous résumer, le devenir du Front de gauche nous paraît dépendre directement de son aptitude à penser différemment son rapport au pays et à reprendre sa place au cœur de la gauche, pour y mener une politique en direction de toute la gauche.

Voilà, Chères et Chers Camarades, ce que nous voulions soumettre à votre réflexion. Nous appelions de nos vœux, en avril, une remise à plat sans faux-semblants. Elle peut être engagée par le séminaire dont nos camarades communistes ont permis la tenue le 2 juin. C’est, du moins, notre souhait le plus cher.

Bien fraternellement.


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