Sauver la gauche, ce n’est pas sauver le PS !

dimanche 8 juin 2014.
 

Réponse à l’article de Philippe Marlière « La gauche est en grand danger »

Ecrit le lendemain des élections européennes, le texte de Philippe Marlière est marqué par l’émotion compréhensible suscitée par le seul résultat du FN. J’ai envie de dire qu’il a écrit trop vite. Car son analyse oublie totalement les 58% de celles et de ceux qui se sont abstenus et qui, pour beaucoup, ont manifesté de la sorte leur déception suite aux reniements du PS. Pas une seule fois, il n’évoque ces centaines de milliers de femmes et d’hommes du peuple de gauche qui se sont abstenus parce qu’ils ne pouvaient plus voter pour le PS.

Toute sa critique de l’effondrement de la gauche est concentrée sur l’impasse que représenterait à ses yeux « l’hypothèse Syriza ». Comme si la plus grande espérance formulée devant la plus grande détresse ne conduisait à rien. Comme si, en France, un Front de Gauche resté crédible et devenu clair sur sa vision d’une union différente des peuples d’Europe n’aurait pas été en capacité d’offrir une alternative au désespoir du peuple de gauche.

Et de se livrer à un éloge de la social-démocratie très surprenant sous une plume plus souvent mieux avisée.

Comment écrire en effet, suite au vote des seuls Suédois, Portugais et des Italiens – sans évoquer le particularisme de ces votes – que la social-démocratie demeure « aux yeux du peuple la mieux placée pour offrir une protection contre les attaques de la droite réactionnaire ou fascisante » ? Une protection que cette social-démocratie n’offre plus, comme beaucoup l’ont observé depuis le milieu des années 80 ; comme les victimes de Papandreou, de Zapatero et de Hollande ont pu s’en rendre compte récemment.

Car, au lieu de la protéger, la social-démocratie européenne a été le premier fossoyeur de la gauche, avec, à l’avant-garde, le PS français.

Qu’a fait le PS français depuis 1983, si ce n’est d’être en France, en Europe et sur la scène internationale (OMC) à la pointe des attaques contre les acquis sociaux ? Faut-il refaire l’inventaire de toutes les lois françaises, de tous les traités européens, de toutes les directives européennes initiés par des personnalités issues du PS français qui ont renforcé la dictature des marchés, mis à mal les services publics et le droit du travail, consolidé des institutions européennes oligarchiques ? Le PS depuis 1983, c’est avant tout Delors, Fabius, Rocard, Strauss-Khann, Pascal Lamy, des gens qui ont initié et défendu les politiques néo-libérales de démantèlement des acquis démocratiques et sociaux. Des gens qui ont négocié les accords de l’OMC, instruments de la mondialisation néo-libérale qu’ils nous ont présentée par la suite comme le bouleversement auquel il fallait absolument s’adapter. Des gens qui, comme Delors et son Acte unique européen, ont érigé le primat de la concurrence en dogme incontournable. Qu’a fait Jospin, si ce n’est davantage privatiser que les gouvernements Balladur et Juppé réunis ? Qu’a fait la social-démocratie européenne lorsqu’elle était à la tête ou présente dans 13 gouvernements sur 15, si ce n’est de soutenir tous les projets qu’elle aurait du normalement combattre ? Que fait le PS depuis 2012 en adoptant le Pacte budgétaire Merckel-Sarkozy, en imposant l’ANI, en faisant délibérément le choix des politiques de droite, en soutenant un projet de partenariat transatlantique qui va aligner les normes sociales, sanitaires et environnementales sur celles des USA et va transférer à des structures privées le soin de trancher les conflits sur ces normes entre firmes privées et pouvoirs publics ?

Aujourd’hui, en quoi les critiques virulentes des politiques du PS formulées avec une belle constance par Gérard Filoche modifient-elles les orientations fondamentales de ce parti ? Présenter l’excellent Liêm Hoang Ngoc comme « un dirigeant national du PS » sans dire qu’il a été mis à l’écart des listes européennes du PS, c’est taire la toute puissance de l’appareil de ce parti ; passer sous silence qu’une autre victime de la ligne néo-libérale du PS, Françoise Castex, a, elle, eu le courage de quitter le PS, c’est écarter délibérément la seule démarche crédible pour toute tentative de reconstituer une vraie gauche : sortir du PS.

Marlière propose de « nouer des alliances avec des sociaux-démocrates qui s’opposent à la trahison de leurs chefs ». Mais c’est oublier que ces chefs ont été choisis par la majorité des membres du PS. En 1995, ils étaient prêts à faire d’un Delors leur candidat à la présidence de la République comme ils étaient prêts en 2011 à soutenir Strauss-Khann. Et, en 2012, c’est Hollande qu’ils choisissent. Occulter ces choix et laisser entendre qu’il suffirait de remplacer l’appareil dirigeant du PS pour retrouver une vraie gauche, c’est nier la réalité sociologique d’un parti d’élus et de carriéristes.

Où sont-ils ces sociaux-démocrates courageux assez pour traduire cette opposition à leurs chefs en démarche politique concrète, conséquente et cohérente ? En quoi un programme commun adopté par une assemblée rouge-rose-verte va-t-il modifier les orientations du PS si les membres du PS signataires de ce programme commun restent au PS et continuent d’illustrer la même impuissance qui fut la leur jusqu’ici ?

Les plus beaux des programmes politiques ne sont rien si une force politique n’est pas là pour les faire approuver par le peuple et les mettre en œuvre. Depuis 1983, chaque année quj passe confirme que cette force politique ne peut plus être le PS.

La démarche des « socialistes affligés » sera crédible si et seulement si ceux qui la portent manifestent davantage d’attachement au projet qu’ils entendent porter qu’à leur appartenance à un appareil disqualifié.

S’en prendre à ceux qui tentent, avec les moyens du bord, de résister à l’obstination néo-libérale du PS, de ses cadres et de l’immense majorité des élus qui y font carrière, c’est tirer dans le dos des résistants. Ceux-ci ont bien plus besoin qu’on les aide à comprendre pourquoi ils n’ont pas réussi jusqu’ici à offrir l’alternative à gauche que de se voir priés de sauver un PS constant depuis 1983 dans ses choix de droite.

Il faut sauver la gauche, écrit Marlière. D’accord. Mais sauver la gauche, ce n’est pas sauver le PS. A mes yeux, les 14% du PS, c’est encore 14% de trop. Sauver la gauche, c’est affirmer dans le concret des projets et de l’action l’éternelle aspiration à la justice sociale, à l’égalité dans la liberté ; c’est rendre toute sa crédibilité à l’espérance socialiste dans un projet écosocialiste. Cela ne peut se faire qu’en dehors du PS.


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