Justice des mineurs : Entretien avec Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, juge des enfants à Bobigny

samedi 24 février 2007.
 

Q : L’ordonnance du 2 février 1945 relative à « l’enfance délinquante » est-elle toujours adaptée à la situation ?

R : Le droit pénal des mineurs repose sur un certain nombre de principes fondateurs élaborés par le Conseil national de la Résistance édictés effectivement en 1945. Spécificité du droit pénal des mineurs et des juridictions (juge des enfants, tribunaux pour enfants, cours d’assises des mineurs) chargées de l’appliquer, primauté des réponses éducatives sur les peines, atténuation des peines infligées, constituent ces principes essentiels. Mais il faut lire l’exposé des motifs de l’ordonnance (l’introduction explicative qui accompagne toutes les lois importantes) pour bien en saisir la philosophie.

« La France n’est pas assez riche d’enfants pour en négliger un seul » résume l’ambition humaniste du texte : la société adulte est responsable de chacun de ses enfants. Le corollaire de ce principe, c’est que lorsqu’un enfant transgresse une loi pénale, la réponse à privilégier ne doit pas être l’exclusion mais l’éducation. Il faut faire en sorte que cet enfant, être en construction, trouve sa place dans la société. Quand Nicolas Sarkozy dit que l’ordonnance de 1945 n’est plus adaptée parce que « les mineurs de 2007 ne sont pas ceux de 1945 », il ne se contente pas d’énoncer un lieu commun (la société de 2007 n’est pas celle de 1945, il est donc indéniable que les enfants de cette société aient eux aussi changé), il s’en prend à la philosophie humaniste et intemporelle de 1945. Les rédacteurs de 1945 ont en effet élaboré un projet politique global en assignant à la société une responsabilité générale à l’égard de l’ensemble de ses enfants.

Nicolas Sarkozy ne dit pas qu’il n’y a plus d’enfants, et il y a fort à parier que lui-même ou ceux qui lui donnent raison seraient fort marris si leurs propres enfants étaient traités comme des majeurs s’ils commettaient un acte de délinquance. La tolérance zéro, outre qu’elle prépare une société totalitaire (qui peut prétendre pratiquer ce principe avec ses propres enfants ?) est donc aussi forcément discriminatoire : les mauvais enfants, ce sont les enfants des autres.

Depuis 2002, la droite au pouvoir privilégie les solutions de mise à l’écart des mineurs délinquants, enfermement ou emprisonnement, au détriment des réponses éducatives. Sans abroger l’ordonnance de 1945, elle l’a donc en grande partie vidée de son sens. Enfin, l’ordonnance de 1945 a été modifiée une vingtaine de fois au total, dont quatre fois depuis 2002. Certaines de ces modifications en ont modifié l’esprit, d’autres l’ont au contraire renforcé, comme l’introduction de la mesure de réparation, mesure éducative très intéressante, par la loi du 4 janvier 1993.

Il est dans le projet de Nicolas Sarkozy d’en finir avec l’esprit et la lettre de l’ordonnance de 1945, en faisant en sorte par exemple que les mineurs soient jugés systématiquement comme des majeurs à partir d’un certain âge, et en instaurant une comparution immédiate pour les mineurs : une justice d’abattage, focalisée seulement sur les actes commis au détriment de la compréhension du parcours global du mineur et de l’accompagnement éducatif, une justice donc plus sévère, mais inefficace car ne correspondant pas à la situation du mineur. Comme des parents d’adolescents débordés, enclins à user du seul rapport de force, la société risque de rentrer avec une partie de ses enfants dans une logique d’escalade vaine. Une sanction non comprise et non accompagnée d’un travail éducatif, même sévère, ne débouchera que sur une mise à l’écart stérile de ces mineurs qui ne feront que nourrir désespoir et haine à l’égard d’une société qui les rejette sans leur tendre la main.

Q : Que penses-tu de la loi Sarkozy dite « prévention de la délinquance » ?

R : Ce sera l’une des dernières lois votées durant cette législature, mais elle a commencé à être préparée par les services du ministère de l’intérieur il y a plus de trois ans. Pendant toute cette période, il n’y a pas eu une seule réunion de concertation entre les services ministériels et les professionnels ou les usagers concernés. Au total, il s’agit d’une loi tentaculaire qui traite pêle-mêle de sujets aussi divers que les pouvoirs des maires, les chiens dangereux, les gens du voyage, la délinquance des mineurs, la toxicomanie, les règles d’urbanisme...

La mobilisation des psychiatres et des familles de malades a toutefois permis le retrait du texte des dispositions relatives aux hospitalisations d’office. La logique générale de cette loi peut se résumer par la maxime de Michel Foucault (qui, lui, la dénonçait) : « surveiller et punir ». C’est aussi une logique inégalitaire, ciblant les populations en difficulté, ce qui a été démontré par le rejet sans débat de fond d’amendements inspirés par le Syndicat de la magistrature pour améliorer la lutte contre la délinquance économique et financière.

La majorité parlementaire a bien indiqué à cette occasion qu’elle ne considérait pas la lutte contre la délinquance en « col blanc » faisant partie de sa feuille de route. Cette loi repose sur un détournement de mots, bien assumé par Nicolas Sarkozy qui déclarait devant le Sénat en septembre 2006 : « Le premier outil de la prévention, c’est la sanction ». Pour les professionnels du secteur, la prévention de la délinquance repose sur une série d’actions (éducatives, sociales, sanitaires,...) ayant pour but d’éviter un dommage (la commission d’une infraction).

Sans doute inspiré par un certain nombre de films américains comme « Minority report », Nicolas Sarkozy invente la prévention répressive ou la répression préventive. Cette conception tourne le dos à la philosophie de la justice des mineurs qui repose sur l’idée que la meilleure prévention de la délinquance, c’est la protection de l’enfance. Depuis l’ordonnance de 1958 qui donne au juge des enfants des prérogatives en matière de protection de l’enfance, la justice des mineurs repose sur cette double compétence protection/sanction qui peut s’appliquer au même enfant : un mineur délinquant est souvent un mineur en danger. En moyenne, 60% de l’activité d’une juge des enfants sont consacrés à la protection de l’enfance. Scinder ces deux fonctions entre des juges des enfants différents comme l’a proposé Ségolène Royal signerait la fin de la justice des mineurs qui s’enrichit d’un regard global sur l’enfant. Pour bien juger, il faut tenter de comprendre, et il est plus facile de le faire si on a en tête le parcours long d’un enfant. Cela n’est possible que si un seul et même juge le suit.

Q : Que penses-tu des réformes du droit pénal des mineurs intervenues ces dernières années ?

R : Depuis 2002, il y a quatre réformes très importantes dans ce domaine, la dernière en date est la loi Sarkozy dite « prévention de la délinquance ». Le point commun entre ces lois est d’avoir été élaborées sans aucune concertation avec les professionnels concernés, avec une préoccupation essentielle : un affichage électoraliste de plus grande sévérité à l’égard des mineurs. A l’absence de concertation s’est ajoutée une absence d’évaluation des dispositifs déjà existants et des réformes déjà intervenues.

La loi Perben I du 9 septembre 2002, élaborée à la va-vite (le gouvernement s’était installé en juin 2002 et il y avait eu les vacances d’été !) est l’exemple à ne pas suivre de législation bâclée et démagogique, expression d’un populisme pénal ravageur. C’est par cette loi que sont (re)créés les centres éducatifs fermés, dont il convient de rappeler qu’ils succèdent à des structures analogues dont les dernières avaient été supprimées par...une majorité de droite à la fin des années 1970. Les centres éducatifs fermés (CEF) créés par la loi de 2002 reposent sur une ambiguïté forte : l’enfermement d’une personne ne peut découler que d’une peine prononcée avec des garanties procédurales fortes.

Or, la loi ne prévoit pas ces garanties concernant les CEF qui relèvent donc d’une mesure éducative. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs parlé de « fermeture juridique » : il doit être possible physiquement de sortir d’un CEF, même si une sortie non autorisée peut avoir des conséquences juridiques néfastes pour le mineur. Car la loi de 2002 a surtout élargi les possibilités de détention provisoire des mineurs en matière délictuelle à partir de 13 ans : cette détention avait été interdite en France pour les mineurs de 13 à 16 ans en 1990, elle est désormais possible en plaçant un mineur en CEF, un contrôle judiciaire s’impose, et une simple fugue du centre, sans qu’il y ait la commission d’une nouvelle infraction entraîne en bonne logique juridique l’incarcération du mineur. Un bilan officiel des CEF effectué en 2005 montrait qu’environ 50% des mineurs accueillis se retrouvaient ainsi incarcérés à la suite d’une fugue (qui, rappelons-le, ne constitue pas une infraction en soi). La création des CEF a donc d’abord débouché sur une sévérité accrue de la loi. Par ailleurs, les CEF fonctionnent avec un prix de journée moyen (coût pour un enfant et un jour) de 600 euros, contre 150 en moyenne pour un foyer classique. Les budgets consacrés depuis 2002 à ces nouvelles structures sont donc montés en charge de manière conséquente, au détriment des hébergements classiques, ou des suivis éducatifs en milieu ouvert (pour lesquels le délai entre la décision du juge et le premier rendez-vous avec l’éducateur est de plusieurs mois). Qualitativement, il n’a jamais été prouvé que l’enfermement en lui-même présente une valeur éducative. Au contraire, le bilan effectué en 2005 montrait que plus les CEF étaient ouverts sur l’extérieur, avec une inscription des mineurs dans les structures de droit commun environnantes (scolarité, formation professionnelle,...), meilleurs étaient les résultats. Ce n’est pas en étant enfermés que les mineurs apprennent, mais par un vrai travail éducatif mené avec eux, travail qui ne peut se faire sans risque (fugue, réitération d’infractions, violences, rupture du lien avec les adultes,...). Même si ce n’est pas agréable à entendre, il faut dire que les échecs momentanés ou durables font partie de la relation éducative, et qu’ils permettent souvent au mineur de progresser. Il n’y a pas d’éducation linéaire et sans risque. Le risque donc avec les CEF est que l’enfermement occulte la dimension éducative, et qu’il ne reste que l’idée de sanction, auquel cas le mineur n’aura bien souvent qu’une seule idée en tête : fuguer. Ce n’est certainement pas l’adjonction de militaires à ces structures qui renforcera leur dimension éducative, qui suppose un professionnalisme absent de leur formation et de leur vocation. La seule mise à l’écart de ces mineurs peut plaire à l’opinion publique, mais elle ne leur offrira pas un avenir. Le « pacte présidentiel » est à cet égard assez incohérent : il est proposé la suppression de l’incarcération des mineurs coupables d’atteintes aux biens, ce qui ne changera presque rien, puisque la quasi-totalité des mineurs se trouvant en prison le sont pour atteintes aux personnes, éventuellement associées à des atteintes aux biens (violences, vols avec violence, rackets, viols,...). Dans le même temps, la candidate propose un recours accru aux CEF, sans avoir d’ailleurs vraiment évalué le dispositif existant.

Q : Qu’attends-tu des responsables politiques en matière de justice des mineurs ?

Ce qui manque le plus à la justice en général, et à la justice des mineurs en particulier, ce sont des responsables politiques sérieux, courageux...et modestes. Il faudrait en effet qu’ils sachent vraiment de quoi ils parlent en s’entourant des évaluations et des expertises nécessaires, qu’ils aient le courage de dire à l’opinion publique que le risque zéro n’existe pas dans une société démocratique, et que les outils du droit pénal ne pourront régler le problème de la délinquance des mineurs qui trouve sa source essentielle dans la dégradation des conditions de vie des mineurs en question. La violence des mineurs par exemple prend des formes multiples, souvent chez un même adolescent. Cette violence est hétéro agressive ou auto agressive. Si les médias parlent beaucoup de la première, la seconde est presque totalement occultée. Or, les conduites à risque (toxicomanie médicamenteuse ou alcoolique, troubles alimentaires, mise en danger du mineur par lui-même ...) sont particulièrement répandues et touchent les filles comme les garçons (contrairement aux violences contre autrui), ainsi que les suicides ou tentatives de suicide (la France est l’un des premiers pays d’Europe pour les suicides des 15-25 ans). Tous ces problèmes appellent des solutions politiques globales (la mise en place d’une vraie politique de la jeunesse par exemple mettant en œuvre des solutions éducatives, sociales, économiques, sanitaires), mais passent aussi par des solutions individualisées sur-mesure. Le juge des enfants peut en donner, mais ce n’est pas le seul. Il faut en tout cas que la volonté d’inclure ces enfants en souffrance (fussent-ils pour certains délinquants) soit reexprimée de manière claire et volontariste, en s’éloignant des solutions de mise à l’écart et d’enfermement qui ont prévalu de puis 2002 (rappelons par exemple que ces orientations se sont traduites par la création des CEF, mais aussi par la programmation à échéance 2008 de plus de 400 places de prison pour les mineurs qui pour partie s’ajouteront aux quelques 900 places existantes).

La gauche a le devoir de faire entendre sa différence dans ce débat. Encore un effort !

Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, juge des enfants à Bobigny

(propos recueillis par Brigitte Blang, pour prs57)


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