Rail : Pour une autre réforme

dimanche 13 juillet 2014.
 

La grève à la SNCF est la plus forte depuis 2010. Un véritable coup de semonce pour le gouvernement. Elle marque une étape importante pour le mouvement social. C’est en effet pour l’idée même que l’on se fait du service public et de l’intérêt général que les cheminots se sont mobilisés. L’objectif était de résister au rouleau compresseur libéral et d’empêcher la privatisation du dernier grand service public. EDF, GDF, France Télécom, La Poste… à chaque fois il s’agit de transformer des entreprises publiques en entreprises à caractère privé. A chaque fois on peut y voir la main de Bruxelles et les directives libérales de sa commission.

C’est pour cela que le combat à la SNCF est un combat d’intérêt général. Il ne s’agit pas d’intérêts catégoriels ici mais de ce que l’on veut pour notre pays en termes d’aménagement du territoire et de transports.

Habile, le gouvernement a maquillé les véritables intentions de ce projet de loi derrière un tour de passe-passe sémantique qui a rendu la lecture du mouvement de grève malaisée par les citoyens. Le niveau de désinformation a atteint des sommets, du fait d’une presse paresseuse, se contentant de la communication gouvernementale sur la « réunification » en une entreprise de RFF (Réseau ferré de France) et SNCF, et préférant jouer sur les affects des usagers soigneusement mis en scène au lieu d’éclairer les enjeux.

Car de réunification il n’est pas question. Il s’agit en réalité d’une séparation encore plus affirmée entre gestion des infrastructures et exploitation avec le transfert de SNCF Infra qui gérait pour le compte de RFF l’exploitation et la maintenance du réseau vers la « SNCF réseau », nouvel établissement gestionnaire d’infrastructure. La constitution d’une holding avec « SNCF mobilités », l’exploitant du réseau, n’est pas une réunification. Il s’agit bel et bien toujours de deux entités. frt-sncf.jpg Pourquoi cette obstination à maintenir une séparation alors même que dans sa communication sur la pseudo réunification le gouvernement reconnaît que la séparation RFF-SNCF a été une erreur ? C’est que la séparation est voulue par la Commission européenne, pour permettre notamment l’ouverture totale à la concurrence du transport de voyageurs d’ici 2019. C’est l’objet du 4e paquet ferroviaire actuellement en débat au Parlement Européen. En première lecture, le PS et la droite ont voté main dans la main pour ce texte, montrant leur entente de fait sur l’essentiel.

Sous la pression des grévistes, le gouvernement a fait amender le texte initialement proposé en y introduisant une garantie pour les cheminots : un seul contrat de travail, un seul Comité d’entreprise, un seul CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) pour tous les cheminots des trois établissements. Cela est un gain pour les cheminots mais il faut le lire à l’épreuve de ce qui manque. Le gouvernement n’a pas lâché sur l’essentiel, le cœur de la réforme, qui prépare l’ouverture totale à la concurrence. Cela appelle à continuer le combat pour le service public du rail et à plus que jamais exiger la réunification réelle de la SNCF, l’abandon du 4e paquet ferroviaire au Parlement Européen et la désobéissance aux paquets ferroviaires précédents, préalable indispensable pour reconstruire un service public du rail à la mesure des enjeux sociaux et environnementaux.

La divergence est ici de fond avec les orientations du gouvernement. Il veut faire de la SNCF une entreprise financièrement rentable alors que nous voulons en faire un outil de la planification écologique et de l’aménagement du territoire. Il est temps de stopper les dérives constatées à la SNCF qui la voit investir à l’international ou dans le transport routier, créant ainsi elle même la concurrence au rail. C’est notamment le cas dans le fret routier où par sa filiale Géodis, elle transporte plus de fret par la route que par le rail. Un comble !

Il est temps de revenir sur la politique de contraction de la masse salariale qui a mené la SNCF là où elle est : fermetures de gares et de lignes, mais aussi accumulations de retards, de trains supprimés, et conditions de sécurité déplorables. Ainsi un rapport indépendant a récemment montré que la responsabilité de l’accident mortel de Brétigny était bien le défaut d’entretien des voies. Au mois de novembre 2013 sept trains ont pu circuler sur une portion de voie entre Toulouse et Tarbes où il manquait 1,29m de rail ! Les témoignages des cheminots s’accumulent sur les conditions désastreuses d’entretien des voies, sur le recours massif à la sous-traitance qui dilue les responsabilités et le suivi des opérations.

Face à cela que fait le gouvernement ? Il laisse la SNCF poursuivre les suppressions de poste. Plus encore, il envisage de laisser la dette de RFF (44 milliards d’euros) à la charge du futur groupe SNCF. Cette dette, qui résulte à la fois des investissements colossaux dans le tout LGV (lignes à grande vitesse) mais aussi de la séparation même entre gestionnaire d’infrastructure et exploitant devrait être assumée par l’Etat lui même. Au lieu de cela, elle pèsera dans les comptes de l’entreprise. Elle sera de fait un argument en or pour justifier les suppressions d’emplois mais aussi les attaques contre le statut des cheminots. Ainsi le texte prévoit une future convention collective commune à toute la branche. Il s’agit de remettre en question la réglementation du travail des cheminots en augmentant l’amplitude travaillée, et en diminuant les jours de repos. Cette réglementation n’est pas un « privilège ». Elle est juste car elle répond à la difficulté particulière des métiers de cheminots, et elle est nécessaire, car elle est le garant de la sécurité. Qui veut voir des conducteurs de train épuisés ?

Pour nous qui sommes écosocialistes, une réforme ferroviaire ne doit avoir pour seul but que l’intérêt général : faciliter le report modal de la route vers le rail, afin de diminuer les émissions de gaz à effet de serre en répondant aux besoins de mobilité de tous.

Ces objectifs sont incompatibles avec une gestion strictement comptable. Faciliter le report modal et permettre un égal exercice de son droit à la mobilité implique de repenser totalement la politique des transports. La SNCF ne doit pas se mettre au diapason de la concurrence programmée et donc miser uniquement sur le développement des lignes rentables. Il faut au contraire relancer les petites lignes et rouvrir les petites gares qui irriguent finement le territoire, investir sur le réseau afin de le rénover et de le moderniser ainsi que dans le matériel roulant. Il faut également relancer le fret en rouvrant des gares fret et des triages, en remettant en place le transport par wagon isolé. Tout cela ne peut se faire dans le cadre contraint d’une gestion par activités destinée à préparer l’arrivée de nouveaux opérateurs ferroviaires sur des marchés totalement ouverts.

Une politique véritablement ambitieuse pour le rail est possible et nécessaire. Elle nécessite de désobéir à l’Europe en sortant du cadre de la contrainte budgétaire et de l’obsession de la marchandisation des services.

Laurence Pache


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