Trois salariés d’un département d’études de Renault suicidés en peu de temps

vendredi 23 février 2007.
 

Trois employés d’un département d’études de chez Renault se sont suicidés en quelques mois. Trois anonymes. Trois hommes qui ont considéré qu’ils souffraient d’un déficit d’existence et qui malgré les amitiés et les affections que leur dispensaient leurs proches ont considéré que la vie était trop difficile, pour ne pas dire insupportable.

Le dernier d’entre eux a laissé une lettre à sa femme. Il y accusait l’entreprise qui l’employait ou le maltraitait. C’est ainsi. Aujourd’hui, où l’on vend le servage sous une forme à peine améliorée, où l’on programme une extension de l’exploitation, où l’on soumet tout un peuple de travailleurs à des lois économiques aussi absurdes qu’arbitraires.

Il n’y aurait pas à chercher très loin, chez Marx, par exemple, pour comprendre qu’un système aveugle et sourd exige chaque fois davantage des individus qu’il emploie et qu’il finit, d’une manière ou l’autre, par coloniser leur esprit. Que penser d’une époque où l’on constate que le suicide n’a cessé de croître depuis des décennies ?

Qu’il touche de nouvelles tranches d’âge ? Ce phénomène vient contrarier les études de Durkheim sur sa relative constance. Que penser d’une société où l’on « psychologise » à outrance des comportements et, ici, des décisions dramatiques, comme pour se disculper des conditions générales qu’elle impose à ses acteurs et ne pas les penser ? Antonin Artaud l’avait répété au sujet de Van Gogh : Il n’est jamais de suicidé que de la société.

Le patron de Renault compte mener une enquête. Et alors ? Au mieux, on aménagera des stades de décompression, sans toucher à la machine.

L’essentiel, quant à lui, s’abîme avec les rêves brisés, un goût de rien, des vies dévastées, des chagrins infinis, des deuils forcément impossibles. Adam Wazyk, le poète polonais, a publié des vers sur le suicide de son frère qui, lui, avait mis à ses jours parce que condamné au chômage. « J’ai seulement pleuré quand je me suis agenouillé devant son tiroir / où il y avait de petites choses comme lui inutiles / un briquet cassé, de menues inventions, des leurres magiques qu’il aimait beaucoup... »

Nous en sommes là, qui que nous soyons, à nous absorber dans des photographies, à tenter de reconstituer un passé, à se rappeler ce qui encore hier nous semblait banal : aux repas pris ensemble, aux projets caressés, aux mots échangés avec des sourires, aux objets, aux vacances, à la voix, à la chaleur des mains...

Et l’on ne décolère pas, aussi, face à l’absence.

De : Genica Baczynski jeudi 22 février 2007


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