Le magazine REGARDS juge le Parti de Gauche en crise

mercredi 16 juillet 2014.
 

Campagne de tirs et de démoralisation dans le champ médiatique contre le Parti de gauche

A) Au PG, c’est le temps des tempêtes

Le scrutin européen devait placer le Front de gauche devant la social-démocratie, avait prophétisé Jean-Luc Mélenchon, co-président du Parti de gauche. Les résultats passés, les crispations nées des municipales se détendent et les bouches s’ouvrent. Le parti de gauche est en crise.

C’est un Parti de gauche sérieusement ébranlé qui sort de la séquence électorale 2014. Le scrutin européen, érigé par le parti de Jean-Luc Mélenchon en « mère de toutes les batailles » lors de son congrès de Bordeaux, en mars 2013, a singulièrement bousculé les certitudes des militants. Le PG a encaissé les 6,61 % des listes Front de gauche. Du coup, les bouches, crispées par des municipales calamiteuses, s’ouvrent. Corinne Morel-Darleux, secrétaire nationale du PG en charge de l’écosocialisme, a fait connaître son départ des instances dirigeantes de son parti.

« Tu veux connaître l’état du parti ? Regarde celui du comité. » Cette militante de la première heure en Seine-Saint-Denis soupire en levant les yeux au ciel. Signe des temps, et de l’ambiance qui règne au Parti de gauche, elle veut bien parler mais sous couvert d’anonymat. Nos autres interlocuteurs optent pour la même prudence. Les tensions se sont cristallisées autour de la stratégie aux élections municipales. Le résultat des européennes qui place le Front de gauche loin derrière l’alliance PS-PRG (13,98 %) et, surtout, très loin derrière le Front national et son quasi quart des suffrages exprimés, joue le rôle d’accélérateur.

Le silence de Mélenchon

Au Parti de gauche, comme toujours, la crise a commencé par la tête. Elle s’est traduite par le silence assourdissant de son co-président Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier a quasiment disparu des écrans radars pendant un mois. Le temps de digérer les résultats d’une ligne d’affrontement brutal avec l’aile social-libérale de la famille de gauche, affrontement qui a fait lourdement tanguer le Front de gauche dans son ensemble. Jean-Luc Mélenchon est donc réapparu sur les écrans de télévision le 22 juin, « suffoqué par la violence du résultat (des européennes) ». Questionné au sujet du sondage BVA pour i>télé, Le Parisien et Aujourd’hui en France paru la veille, qui le désigne comme la personnalité incarnant le mieux les valeurs de la gauche, Mélenchon a esquissé un virage sur l’aile : « Je dois me placer sur une position plus fédératrice ». Un début d’autocritique pour celui qui se faisait fort de « parler cru et dru » et de « cliver pour rassembler » ?

Quelques jours plus tôt, sur son blog, Martine Billard avait pris, à sa manière, sans éclats, des distances vis-à-vis de la ligne « classe contre classe ». Avec des mots choisis, elle a appelé à éviter deux écueils. En premier lieu, elle invite à ne pas « insulter nos électeurs », notamment « la frange (de ceux) qui avaient été convaincus par le programme écologique de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, (qui) sont pour beaucoup retournés au vote EELV ou Nouvelle donne ». L’autre obstacle à éviter, pour la co-présidente du PG, est « le repli sur soi » : « L’isolationnisme ne mène nulle part, sauf au sectarisme ». Reprendre à son compte le terme « sectarisme », utilisé récemment par des démissionnaires du PG, c’est osé dans ce parti.

La critique la plus claire est venue de l’intérieur et, encore, de la tête. Sous la forme d’une démission des instances dirigeantes du Parti de gauche. C’est Corinne Morel-Darleux, théoricienne de l’éco-socialisme et de l’anti-productivisme, qui a jeté le pavé dans la mare. Forte de ses 7,47 % aux européennes dans la circonscription Massif central-Centre, le deuxième meilleur score du Front de gauche dans ce scrutin, elle n’a pas mâché ses mots dans un courrier interne qui se veut exempt de volonté polémique. Mais l’attaque est double. Elle porte d’abord sur la capacité du PG à analyser la défaite aux européennes et la manière dont sa ligne politique y a contribué. « Face à ce qu’il faut bien appeler un double désastre national avec la conversion désormais totale et affichée du PS au libéralisme et l’ancrage du Front national dans le paysage politique, force est de constater que le Front de Gauche et le PG n’ont pu ni s’y opposer ni en tirer parti. »

Un adhérent sur quatre a disparu

Ce faisant, Corinne Morel-Darleux se fait l’écho d’une base déboussolée. Confiants dans leur co-président, les militants pégistes ont été pris au dépourvu, après ceux des municipales, par le résultat d’élections européennes qui voient le Front de gauche devancé par les sociaux-libéraux ; sociaux-libéraux contre lesquels ils ont pourtant concentré tous leurs feux. En vain. Ce ne serait pas si grave si le maintien de cette ligne politique n’avait failli provoquer l’éclatement du Front de gauche, d’une part, et s’il ne s’était traduit par des départs nombreux. En janvier 2014, une note interne au bureau national du PG faisait état de « 9.000 adhérents à jour de cotisation », contre 12.000 revendiqués au moment du congrès de Bordeaux (mars 2013). Soit un adhérent sur quatre disparu en moins d’un an. À la direction du PG, on reste officiellement sur le chiffre de 12.000, comme si cette note n’avait jamais été publiée.

Le mouvement s’est accéléré après les municipales. Un responsable parisien évoque « ces camarades qui ne répondent plus aux mails, aux coups de fil ; pire encore, qui font le détour quand ils t’aperçoivent sur le marché ». C’est une hémorragie de militants et, plus particulièrement, de cadres qui frappe le Parti de gauche. Lui-même démissionnaire, « en silence », cet ancien militant val-de-marnais « ne compte plus les départs depuis les municipales ». L’Île-de-France, proche du pouvoir dans ce parti hyper centralisé qu’est le PG, est particulièrement frappée. Mais il ne faut pas oublier la soixantaine de démissionnaires du débat d’année dans le Sud-Ouest ou, fin 2013, le départ de la quasi intégralité de la direction du PG manceau.

La question de la démocratie interne a, pour beaucoup, contribué à détourner les militants aguerris du PG. Au Mans, c’est l’exclusion d’un adjoint PG au maire, parce qu’il avait proposé publiquement de réfléchir à une liste commune avec le PS au premier tour, qui a provoqué le départ. Moins une question de fond qu’une question de forme : les partants militaient pour une liste Front de gauche dès le premier tour des municipales. D’autres voix, qui souhaitaient apporter des nuances à la ligne martelée par le chef et son entourage, se sont éteintes, soit en partant soit en se mettant en retrait. Ce constat, c’est le deuxième angle d’attaque du courrier rédigé par Corinne Morel-Darleux : « Trop de dérives sont apparues depuis un an dans notre fonctionnement collectif (…) qui nuisent à notre efficacité, à la clarté de notre ligne et de notre stratégie. »

Querelles de personnes

Le fonctionnement, aux accents par moments claniques, de la direction du PG a fait voler en éclats l’utopie d’un parti creuset où plusieurs cultures militantes, plusieurs sensibilités politiques, plusieurs histoires collectives pouvaient se fondre. L’attachement des militants à l’unité du parti, unité incarnée par Jean-Luc Mélenchon, a permis des mises à l’écart brutales, à l’image d’un Éric Coquerel, secrétaire national aux relations unitaires, sèchement battu à l’investiture pour les têtes de listes aux européennes par Gabriel Amard, un des très proches de Mélenchon. Pour les connaisseurs de la rue Doudeauville (où siège le PG depuis 2013), cette confrontation dans le huis clos du bureau national a soldé pour tous comptes les affrontements entre Éric Coquerel et François Delapierre, avant le congrès de Bordeaux, sur fond de succession éventuelle de Mélenchon.

C’est que, derrière les empoignades politiques, pour feutrées qu’elles soient, les querelles de personnes existent bel et bien au sein du PG. Ainsi, un très proche de Raquel Garrido, la puissante patronne du secteur « 6e République », commentant la campagne de Danielle Simonnet lors de la municipale parisienne, n’a pas hésité à lâcher : « Plus gauchiste que ça, tu meurs. On ne pouvait pas trouver pire candidate à Paris ». Le fonctionnement de la direction se répercute sur les comités, l’unité de base du PG. Même si, en Province, les échos sont parfois atténués par la personnalité des animateurs locaux. Ainsi, dans les Bouches-du-Rhône hors Marseille, c’est un peu calme plat. « On fait notre boulot, ça se passe comme ça peut se passer, et plutôt pas si mal, avec les communistes », résume ce militant aixois. Ici, depuis le début 2014, on a préféré focaliser sur la convergence des luttes sociales, notamment autour des emblématiques Fralib. Même son de cloche dans le Puy-de-Dôme où les responsables départementaux, solidement ancrés sur le terrain, tiennent la boutique.

Pour autant, même si les départs se multiplient et que les cris s’élèvent, il y a peu à parier sur un éclatement du PG. Conçu par Mélenchon pour être « une colonne de fer », le PG « se renforce en s’épurant », sourit un élu francilien. Qui se souvient encore qu’il y a moins de deux ans, Marc Dolez, député ; Franck Pupunat, figure d’Utopia, et Claude Debons, militant cheminot, tous trois membres fondateurs du PG l’ont quitté ?

Rodolphe S. 4 juillet 2014

B) Communiqué de la rédaction de Regards

L’article de regards.fr sur le Parti de Gauche suscite la polémique

Nous tenons à rappeler que nous sommes un journal avec un parti pris de gauche critique et non un organe politique. Nous assumons une diversité d’écriture et de points de vue : de nombreux journalistes écrivent pour Regards avec une grande liberté et, en règle générale, la direction de la rédaction ne réécrit pas les papiers pour les homogénéiser ou arrondir des angles politiques. Nous ne cherchons pas à lisser ni à édicter une ligne mais à informer, à nourrir la réflexion, à sortir des sentiers battus.

Comme nous traitons de l’actualité, nous avons choisi de parler de la crise qui traverse actuellement le PG au sein duquel la ligne politique et le fonctionnement interne sont discutés. La personne qui a proposé ce sujet écrit régulièrement pour Regards depuis plusieurs années. Son papier ne fait pas consensus au sein de la rédaction mais il n’est pas le seul.

Nous tenons à nous désolidariser du choix du pseudonyme qui n’engage que son auteur. En effet, et nous ne le savions pas, Santerre est le pseudonyme utilisé par Jean-Luc Mélenchon quand il était à l’OCI. Il est donc de nature à blesser personnellement. Nous trouvons inadmissible de l’avoir utilisé.

La rédaction, 5 juillet 2014

C) La liberté est inaliénable (Roger Martelli)

La rédaction de Regards vient de publier une mise au point à propos de l’article consacré au Parti de gauche. Pour moi, « l’affaire » est finie. Mais je ne peux pas me taire sur un point.

Comme le dit la mise au point de la rédaction, la liberté est de règle dans notre journal. Nous ne sommes ni un parti, ni le journal officiel de quelque parti ou courant que ce soit. Les journalistes qui écrivent sont divers, à l’image de cette gauche bien à gauche que nous rêvons tout aussi unie que pluraliste, depuis très longtemps. L’unanimisme n’est pas notre tasse de thé. La rédaction a mentionné que tout le monde n’était pas d’accord avec l’article incriminé. Il se trouve que j’étais de ceux-là. Je n’aurais pas du tout écrit ce texte de la même manière. Et alors ? Je n’étais pas d’accord, mais je ne m’autorise pas le droit de dire, à qui que ce soit, à quelque place qu’il soit, d’être autre chose que ce qu’il est. La liberté compte plus que mon confort intellectuel et que mon pouvoir.

Mais j’ai été épouvanté par les réactions suscitées par cet article, spontanées ou non, sincères ou non. Je suis communiste. Je m’inscris dans l’histoire d’un courant qui a cru, au XXe siècle, qu’on pouvait réunir des assemblées de travailleurs « en colère », pour exiger le juste châtiment des traîtres, des opportunistes de droite, des rats trotskystes, des sociaux-démocrates pourris. Et tout cela, bien sûr, au nom de la justice, de la morale et de la vérité. Si j’ai décidé de garder le nom de communiste, c’est aussi pour ne jamais oublier ce que l’on a pu, dans un siècle tumultueux, faire au nom même du communisme, le meilleur mais aussi le pire. De ne pas l’oublier, et de ne plus l’accepter.

Je comprends que des membres du Parti de gauche aient pu être choqués par l’article paru sur notre site. Mais qu’ils comprennent aussi que j’ai été horrifié par certains propos tenus à notre encontre. Quand on refuse le désordre des sociétés comme la nôtre, la passion est une vertu. La haine et le ressentiment sont des égarements et des fautes. La combativité n’est pas la violence aveugle. Si nous en sommes là, nous n’avons pas d’avenir. Nous ne resterons pas ensemble et, séparés, nous serons battus.

S’il ne s’agissait que de nous, nous pourrions dire : tant pis pour nous ! Mais ce qui se joue va bien au-delà de nos orgueils. Ce qui est en jeu, en ce moment, c’est tout à la fois l’expression politique du vieux courant démocratique, plébéien et révolutionnaire ayant marqué si fort l’histoire française et l’existence d’une gauche de transformation sociale.

De notre côté, il y a de la différence, de la contradiction, du heurt : ce sont les signes qu’il y a de la vie. Si l’ampleur de la difficulté tourne à la violence, nous mettons un pied du côté de la mort.

Roger Martelli, 7 juillet 2014


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