Comment la Banque mondiale finance le massacre de nombreux paysans

mercredi 16 juillet 2014.
 

La Banque mondiale a financé un projet de plantation de palmiers à huile de la société Dinant au Honduras. Or, cette société accumule les critiques, tandis qu’un rapport interne dénonce le non-respect par la Banque mondiale de ses propres procédures...

La vallée de Bajo Aguàn au Honduras est depuis des décennies le théâtre de conflits très durs liés à la terre. Pendant les années 1960 et 1970, le gouvernement a mis en œuvre une réforme agraire qui a permis à des milliers de petits paysans, regroupés en coopératives, de cultiver légalement ces terres. En 1992 cependant, le gouvernement change de politique et favorise le rachat de ces terres par des entreprises plus importantes, susceptibles de les « valoriser » au mieux. Depuis lors, des milliers d’hectares ont changé de main, au profit notamment de l’entreprise Dinant de M. Miguel Facussé Barjum, un des hommes les plus riches et puissants du pays.

Les paysans protestent et affirment que les contrats de vente de terres sont le résultat d’une campagne d’escroqueries, d’intimidations, de menaces et de fraude de la part des nouveaux acquéreurs. Le conflit devient de plus en plus sanglant. Les journalistes trop curieux sont assassinés, ainsi que les avocats qui osent défendre devant les cours et tribunaux les intérêts des paysans et des coopératives. Quant aux paysans eux-mêmes et leurs familles, ils sont victimes d’une campagne de répression sans précédent (132 morts selon certaines sources, d’innombrables cas de torture, d’enlèvement et de destruction de maisons) organisée par les compagnies de sécurité privée engagées par Dinant, souvent avec la collaboration active des forces de l’ordre et de l’armée.

Sur le plan politique, le Président Zelaya, qui apparaissait comme n’étant pas complètement insensible aux revendications paysannes, est renversé par un coup d’état militaire en 2009 et évacué du pays, à bord d’ailleurs d’un avion appartenant à M. Facussé. L’activité aéronautique de M. Facussé est particulièrement intrigante. Outre l’évacuation de dirigeants politiques démocratiquement élus, selon des câbles secrets de l’ambassade américaine de 2004 publiés par Wikileaks, pas moins de trois avions chargés de centaines de kilos de cocaïne ont atterri sur des pistes appartenant à M. Facussé.

De son côté, Dinant se lance dans un projet très ambitieux de plantation de palmiers à huile, pour lequel il parvient à obtenir en 2008 un prêt d’une centaine de millions de dollars auprès d’investisseurs publics internationaux, y compris la Banque mondiale, à hauteur de 30 millions de dollars. Dans le dossier d’approbation de prêt, la Banque reconnaît quelques risques mais assure qu’ils sont parfaitement gérables. Or le rapport du CAO, sorte de service de médiation interne à la Banque mondiale qui s’est saisi du dossier en 2013, est accablant : la Banque mondiale et sa branche spécialisée dans le secteur privé, l’IFC, ont délibérément ignoré leurs propres procédures et règles internes en matière de droits de l’homme, afin de maximiser les volumes d’investissements... synonymes de bonus pour les employés de l’IFC concernés par le prêt.

La première réponse de l’IFC à ce rapport accablant est particulièrement décevante : en gros, l’IFC conteste en bloc toutes les accusations et prétend que M. Facussé et son entreprise sont parfaitement honnêtes. L’affaire prend cependant de l’ampleur, avec des articles très critiques notamment dans le Guardian, le Financial Times et le New York Times. L’IFC change alors de fusil d’épaule et reconnaît finalement avoir commis quelques erreurs et promet de suspendre le déboursement des nouvelles tranches du prêt initial de 30 millions de dollars.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là : l’IFC investit de plus en plus via des « intermédiaires financiers » pour financer des PME de taille trop modeste pour avoir directement accès aux prêts de la Banque mondiale. Ainsi, l’IFC a pris une participation au capital de la banque Banco Financiera Comercial Hondureña à hauteur de 10 %. Or cette banque figure parmi les principaux créanciers de la société Dinant... Vous avez dit conflits d’intérêts ?

par Antonio Gambini

Source : article publié dans dlm, Demain le monde, n°25, mai-juin 2014.


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