JL.Mélenchon : "le système n’a pas peur de la gauche, il a peur du peuple"

dimanche 24 août 2014.
 

Interview exclusive de Jean-Luc Mélenchon. Le leader du Parti de Gauche annonce sa volonté de prendre du champ pour pouvoir se ressourcer, estimant qu’il est temps pour lui de passer le relais à d’autres. Il constate l’échec du Front de Gauche, et dénonce le rôle des médias dans la percée électorale du Front national.

Hexagones : En 2012 vous avez mené une très bonne campagne…

Jean-Luc Mélenchon : Ce n’est pas la campagne qui est bonne, c’est le fait que je ne me suis pas trompé sur l’analyse du moment politique. J’ai eu aussi de la chance. Comme personne ne croyait en ce que je faisais, tout le monde m’a foutu la paix, y compris dans ma propre coalition. J’ai démarré à 3,5 %. Beaucoup pensaient que si je faisais 8 %, ça serait méritoire ; on me taperait sur l’épaule, on reviendrait à la popote. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Quand je suis arrivé à 8 %, c’était trop tard, j’étais devenu incontrôlable. De 8 pour bondir à 10, ça a pris deux mois. Et à partir de là, c’est fini, le mouvement était tellement puissant que plus personne ne le contrôlait, ce qui faisait mes affaires. C’est à la fois une campagne et une insurrection. Mon idée était que je pourrais prolonger ensuite l’insurrection en m’appuyant sur le bilan de la campagne. Ce que je n’avais pas envisagé, c’est que cette force puisse être étouffée par le poids du retour aux vieilles traditions partiaires, aux arrangements, aux accords électoraux. Jusqu’à ce néant qu’a été l’élection municipale qui a complètement décrédibilisé ce qu’était le Front de gauche, explosé entre ceux qui ne voulaient pas d’alliance avec le Parti socialiste et ceux qui se sont vautrés dans cette alliance.

Regrettez-vous votre stratégie face aux médias ?

Mais non. Si je n’avais pas ouvert les portes à coups de pieds, qui me les auraient ouvertes ? Personne. Donc je les ai ouvertes à coups de pieds. Mais la violence du bruit, du choc, la violence a attiré les regards, les oreilles et a constitué autour de moi une espèce de garde. Et ceux-là m’ont accompagné, m’ont protégé, m’ont aidé. Mais il y a un inconvénient, il vient rattraper un deuxième effet : c’est le tir à vue permanent pour essayer de m’isoler. Le troisième effet : une ambigüité qui est contenue dans le Front de Gauche depuis le début. Il y a deux lignes en quelque sorte. Celle qui est portée par la direction du Parti communiste, qui est plus institutionnelle, plus traditionnelle, où on continue à penser que la gauche est une réalité partiaire, organisée et qu’on peut rectifier le tir du Parti socialiste. Et puis, il y en a une autre qui pense que ça, c’est un monde qui est quasiment clos, qu’il faut construire et qu’on le fera progressivement à condition d’être autonome.

Quel est l’avenir du Front de Gauche ?

Là, on est dans une période où l’on a besoin de se reposer. Parce qu’on vient de passer cinq ans terribles. Nous sommes en échec. Pour moi la séquence a été écrite entre deux européennes : on a fondé le Front de Gauche pour les européennes de 2009 et à la suivante on passait devant le PS. Tout était en place. Tout ça a été planté pour une poignée de postes aux municipales. À un moment il faut s’arrêter de courir. Parce que si on court tout le temps, on va finir par se mettre dans le vide. Et là j’ai besoin de dormir, de ne rien faire, de bayer aux corneilles. Et puis après, il y aura à travailler pour donner un contenu concret à des idées assez générales. J’adhère à l’idée que le système n’a pas peur de la gauche, il a peur du peuple. La question pour nous n’est pas de faire un parti révolutionnaire, c’est d’aider à la naissance d’un peuple révolutionnaire. Vu ce qu’on a à faire, il faut tout changer en profondeur.

Comment expliquer le fait que le Front national arrive à atteindre autant de citoyens ?

Elle [Marine Le Pen, NDLR] n’a jamais fait plus de voix que Le Pen père. Elle ne touche pas une fraction plus importante de la population. Elle mobilise mieux que tous les autres une fraction de la population. Par exemple aux européennes, elle a remobilisé 4 millions de ses 6 millions d’électeurs. Les listes du Front de Gauche ont remobilisé piteusement un million et demi sur les 4 millions. On doit se demander pourquoi on fait des campagnes aussi mauvaises, aussi lamentables, aussi tardives.

À qui la faute ?

Le FN, ça pousse si certaines conditions sont remplies. Et il y a des gens qui tous les jours travaillent à ça, méthodiquement et sciemment. Les dirigeants du PS, à commencer par François Hollande, travaillent sciemment, avec toute une cohorte de gens, à dire que « le moindre risque pour nous c’est que Le Pen soit le plus fort possible, comme ça je suis sûr de gagner au second tour ». Et elle a aussi du talent.

En 2017, Marine Le Pen n’a aucune chance ?

Bien sûr qu’elle a une chance, elle va y arriver. Le volcan a éclaté, le cratère s’est ouvert du mauvais côté de la montagne. Ce n’est pas la première fois que des inventeurs de martingales magiques se prennent les pieds dans le tapis. Cette fois-ci, ils vont se prendre les pieds dans le tapis. Madame Le Pen récite des morceaux entiers de notre programme. Leur ligne, c’est d’occuper l’espace politique de la gauche. Quel est l’espace politique de la gauche ? C’est le peuple. Quel est le problème de la droite ? C’est le peuple. Voilà pourquoi ils ont toujours fait comme ça. Ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau c’est le degré de violence. Pourquoi elle va y arriver ? Parce que la société est en train de se vider de l’intérieur. Parce que la société est en train de se diriger vers le point « qu’ils s’en aillent tous ».Et quand le point « qu’ils s’en aillent tous » est atteint, tout saute en même temps.

Comment faire…

Une affaire de stratégie politique. Déjà, il faut commencer par se dire ce qu’on ne doit pas faire : on ne doit pas faire d’alliance avec des gens qu’on combat. Et aussi longtemps qu’on fera ça, les gens, qui se disent qu’ils en ont ras le bol, se diront qu’on est comme les autres. Nous, nous avons pu accumuler des forces et nous devons sans cesse les entretenir. Je demande du respect pour tous ces gens, les miens. Il faut savoir que ça va être une bataille très dure. Ce sont les courageux qui vont la mener. Pas les pleutres, ceux qui aimeraient bien que ça se passe sans problèmes. Il y aura des problèmes. Et après, il y a aura les circonstances. Il faut être prêt à rencontrer les circonstances. Je mise sur l’action du peuple.

La personnalisation, c’est l’une des raisons qui vous pousse à vous mettre en retrait ?

J’aspire à ce que le niveau de pression sur moi baisse. Ça fait 5 ans que ça dure et ce n’est pas bon. On finit par ne plus raisonner aussi tranquillement qu’on le devrait. Deuxièmement, il faut aussi que le grand arbre n’empêche pas le reste de la forêt de pousser. Je suis content, car maintenant il y a plusieurs visages qui ont émergé à l’intérieur du Parti de gauche. Il faut qu’ils aient leur espace politique. La troisième raison, c’est que je sais dans quelle condition je peux être utile. Je ne vais pas jouer tous les rôles. Je veux m’utiliser dans ce que je crois être capable de faire : la transmission idéologique, le travail intellectuel et culturel. Et j’ai besoin de reconstituer la couche de terreau. Ce qu’il faut c’est donner des raisons qui donnent envie de se battre et peu importe qui on va trouver en face de nous. C’est ça qui va être le moteur. Pour moi, ce n’est pas de me mettre en retrait, c’est m’utiliser autrement. J’ai fait mon temps à organiser la vie d’un parti. J’essaie de cristalliser quelque chose qui existe en dehors de moi. J’ai besoin de temps, je ne peux plus continuer comme cela.

Eloise Lebourg, Hexagones.fr


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