Une petite nouvelle : "Centriste" ou "C’est quoi être de droite, papa" (par Stéfane Alberny)

lundi 26 février 2007.
 

- C’est quoi être de droite, papa ?

Le père, assis devant son énième roman publiable, élude la question d’un mouvement sec et nerveux de la main

- Tu as demandé à ta mère ?

- C’est elle qui m’envoie, elle est occupée, répond le gosse et elle a dit que tu étais le plus compétent pour les questions politiques, continue-t-il en imitant à la perfection l’accent sud-ouest de sa mère.

Le père se retourne en rouméguant sur les femmes et leur p..... de parité.

- Assieds toi, Victor, je vais essayer de t’expliquer, se lance le père. Bon, tu sais comment marche notre gouvernement.

- Ça marche un gouvernement demande naïvement le môme.

- Ouh la, c’est pas gagné là, s’inquiète le père. Bon, reformulons : comment fonctionne le gouvernement de la France ?

- Ça je sais, s’exclame Victor et il se lance dans la récitation de ses infantiles connaissances sur le système qui régit leur vie. Même que parfois vous allez faire la queue pour rentrer dans un urinoir pour mettre le nom de celui que vous préférez dans une enveloppe. C’est les élections, conclut-il avec un air fanfaron et il rajoute même : je trouve ça ridicule.

- On dit isoloir et pas urinoir, le corrige son père et il demande d’un air circonspect : pourquoi ridicule ?

- Hé bé, au lieu de faire la queue, vous n’avez qu’à aller voir les gens assis au bureau et leur dire pour qui vous votez, ça ira plus vite en plus, lance-t-il d’un air triomphant.

- Ce n’est pas possible, réfute le père.

- Pourquoi ? Coasse Victor.

- Hou la, hou la, on s’éloigne du sujet, coupe son père. Revenons à la droite et à la gauche si tu veux bien.

- Si tu ne lui donnes pas les tenants et les aboutissants à ce petit, il va être perdu, renchérit sa mère en passant sa tête par la porte.

Son père fulmine et marmonne une fois de plus sur les femmes et leurs p..... d’yeux et d’oreilles qui traînent partout.

Mais il plie et se met à la tâche sans rechigner et abreuve la curiosité de Victor toute dévouée à sa vision de l’histoire politique. Depuis les diverses révolutions industrielles ou populaires, jusqu’au front populaire ou national, en faisant quelques détours par le contexte international et en esquissant quelques profils d’hommes d’Etat et quelques couleurs incontournables.

C’est intéressant selon Victor mais cela ne répond pas à sa question, ou en tout cas pas comme il attendait. C’est toujours pareil avec les adultes, ils compliquent toujours tout.

Le père, alerté par l’air pensif de son fils, s’arrête net au milieu d’une envolée passionnée sur les événements de 1986, événements auxquels il a activement participé.

- Alors la droite et la gauche, demande Victor.

- D’accord, s’incline le père, tu le veux simple, on va le faire simple.

Il reprend son explication : la gauche est, en théorie, composée de gens qui essaient de rendre la société plus égale. Ils se doivent d’aider les gens les plus faibles . Et toujours en théorie, la droite est composée de gens tournés vers l’argent, l’intérêt individuel et la libre entreprise.

Victor n’est pas satisfait et cela se voit.

Son père recommence à fulminer.

- Bon, encore plus simple. La gauche est un mouvement de progrès, tourné vers l’avenir et les jeunes alors que la droite est plus conservatrice, accrochée à des idées du passé, comme la famille, la patrie, par exemple.

- Attention, intervient sa mère en repassant la tête par la porte, tu deviens partisan là, tu l’endoctrines ce petit.

- M.... à la fin, explose le père, viens lui expliquer toi, si c’est si facile.

Sa mère se retire diplomatiquement en leur envoyant un baiser sonore.

- Est-ce que tu as compris Victor, demande le père calmé.

- Si j’ai bien tout compris, la gauche se bat pour les plus pauvres en essayant de leur avoir des avantages et la droite aide les plus riches à empêcher les pauvres d’accéder aux avantages, en théorie ,bien sûr papa, lâche-t-il avec un sourire malin.

- C’est bien Victor, maintenant file te coucher pour être en forme demain, dit son père en l’embrassant.

Victor fonce vers la porte et stoppe net.

- Et toi papa, t’es de droite ou de gauche, demande-t-il d’un air sérieux.

- Plutôt de gauche, répond le père distrait.

- Et maman, questionne Victor.

- Plutôt à gauche aussi, affirme son père.

- Mais pourtant, vous n’êtes pas pauvres, demande Victor inquiet.

- Riches non plus, rigole le père, juste dans la moyenne.

- Au milieu quoi, conclut Victor en fermant la porte.

Au numéro 56 de la rue, Victor rejoint tous les matins d’école, son pote Mohamed.

- T’en fais une tronche ce matin, lui lance Momo dès qu’il l’aperçoit.

- M’en parle pas, j’ai les boules, mes parents sont centristes, s’attriste Victor.

- Tu parles d’un drame, rigole Mohamed, les miens sont immigrés.

Stéfane Alberny


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