Autoroutes au service des rentiers

jeudi 25 septembre 2014.
 

B) Les sociétés d’autoroutes (encore) épinglées

L’Autorité de la concurrence dénonce dans un rapport la "rente" des exploitants du réseau français d’autoroutes et préconise de modifier la formule d’indexation des tarifs des péages, rapporte le journal "Les Echos" à publié ce jeudi 18 septembre.

Les sept sociétés concessionnaires d’autoroutes, contrôlées par les groupes français Vinci et Eiffage et espagnol Abertis, "affichent toutes une rentabilité nette exceptionnelle, comprise entre 20% et 24%, nourrie par l’augmentation continue des tarifs des péages", souligne le document de 150 pages qui sera présenté jeudi, cité par le quotidien économique.

"Et cette rentabilité n’apparaît justifiée ni par leurs coûts ni par les risques auxquels elles sont exposées", ajoute-t-il. 13 propositions

Face à cette situation, la régulation de l’Etat est "défaillante", estime l’Autorité. Elle formule 13 recommandations, dont la révision du mécanisme actuel d’indexation des péages sur l’inflation, au profit d’une formule intégrant l’évolution du trafic.

Elle propose aussi "d’inclure dans les concessions une obligation de réinvestissements partiels des bénéfices, ainsi qu’un partage de ceux-ci avec l’Etat", indiquent "Les Echos".

Le Nouvel Observateur avec AFP

A) Chères, très chères autoroutes : le scandale

Par Donald Hebert, 2 août 2014

Péages qui flambent, privatisation contestée et investissements publics en rade... La gestion du réseau français fait polémique. Enquête sur un partenariat ambigu entre l’État et les grands groupes de BTP.

Cet été, c’est une certitude, il faudra payer plus cher que l’an dernier : 65 euros de péages pour un trajet Lille-Port-Leucate, 60 euros entre Lyon et Biarritz ou 68 euros pour rejoindre Saint-Raphaël depuis Paris... Ajoutez-y le stress des grands départs, les inévitables bouchons et la queue à la pompe, et vous comprendrez le ras-le-bol qui submerge les automobilistes français enfermés entre les glissières de leurs chères, très chères autoroutes...

Petits, on a tous entendu nos parents dire qu’un jour on n’aurait plus besoin de payer les autoroutes. Combien de temps cette arnaque va-t-elle encore durer ?" s’étrangle Pierre Chasseray, le porte-parole de 40 Millions d’Automobilistes, une association de conducteurs verts de rage.

Péages trop chers ! Les tarifs des sociétés autoroutières ont encore progressé de 1,14% cette année après avoir grimpé de 2,5% en 2013 et de 2,01% en 2012. Une inversion de la courbe ? La hausse du ticket autoroutier demeure supérieure à l’inflation. Entre 2007 et 2012, les péages ont augmenté de 11%, alors que l’indice Insee des prix à la consommation n’a progressé que de 8,5%. Et encore cette moyenne cache-t-elle de grandes disparités.

Particulièrement ruineux, certains tronçons atteignent aujourd’hui des records. L’A65 entre Bordeaux et Pau : 22 euros pour 150 kilomètres. Les 15 kilomètres de l’A14 : 8,20 euros le dimanche soir. Quant au tunnel "Duplex" de l’A86, en banlieue parisienne, il est facturé 10 euros pour 10 kilomètres.

Le symbole de l’autoroute pompe-à-fric, estime Pierre Chasseray. Les autoroutes, plus sûres que le réseau secondaire, seraient-elles désormais réservées aux riches ? A quand le gel des péages ?"

Ce n’est pas pour tout de suite. Car si l’Etat fixe en théorie les hausses tarifaires, il est en réalité dépendant de quelques grands groupes depuis qu’il leur a cédé, il y a huit ans de cela, les sociétés d’autoroutes : les français Vinci (propriétaire d’ASF, Escota et Cofiroute) et Eiffage (APRR et Area) et l’espagnol Abertis (Sanef et SAPN) détiennent les trois quarts du réseau autoroutier français.

Et ces géants de l’asphalte bénéficient de contrats de concession sur plusieurs décennies qui leur permettent d’augmenter les tarifs pour couvrir la hausse de leurs dépenses courantes : charges d’exploitation, d’entretien et de renouvellement... Mais ce n’est qu’un début. Tous les cinq ans en moyenne, la privatisation très controversée prévoit aussi la signature de "contrats de plan" destinés à financer - toujours par des hausses de tarifs ! - les nouveaux investissements qui n’ont pas été prévus dans les contrats de concession. Une sacrée rallonge : chaque nouveau kilomètre d’autoroute, chaque nouvelle bretelle d’accès et chaque élargissement des voies sont ainsi facturés aux usagers.

Le modèle économique est construit de telle sorte que tout investissement est compensé par une hausse de tarifs. Les bénéfices des sociétés concessionnaires n’ont pas à être réinvestis dans des investissements nouveaux ou dans des diminutions de tarifs. Par construction, ce modèle ne peut qu’aboutir à une hausse constante et continue des tarifs", résume la Cour des Comptes dans un rapport au vitriol paru en juillet 2013.

Les magistrats de la rue Cambon déplorent que les contrats de plan se multiplient bien que le réseau autoroutier soit déjà largement mature. Aujourd’hui, les travaux d’élargissement laissent la place au traitement du bruit ou à la protection des eaux, dont la compensation par des hausses de tarifs, bien que parfaitement légale, ne semble pas toujours légitime. Pourquoi l’Etat n’arrive-t-il pas à enrayer ces dépenses ? Manque d’outils de régulation ? De culture du résultat ? De volonté ? Un peu des trois, si l’on en croit les connaisseurs. Le résultat est que l’administration peine à défendre les usagers. Ou plus exactement leur porte-monnaie.

La "cash machine" des sociétés d’autoroutes

Car, en face, il y a des sociétés d’autoroutes qui savent optimiser les profits. "Leur profitabilité est plus marquée et constante que celle de l’ensemble de l’économie française, hors secteur financier", explique la Cour des Comptes. La moyenne des chiffres d’affaires des sociétés d’autoroutes - Sanef, ASF, Escota, APRR, Area, SAPN et Cofiroute - a augmenté de 4% par an entre 2006 et 2011.

Dans quelles poches ont atterri les 9,24 milliards d’euros générés par les péages français en 2013 ? Selon Vinci Autoroutes, les sociétés contribuent directement aux finances publiques à hauteur de 4 milliards d’euros sous forme de TVA (1,7 milliard), d’impôt sur les sociétés (1,18 milliard), de redevance domaniale (250 millions), de taxe d’aménagement du territoire (584 millions), et de contribution économique territoriale (280 millions).

Chaque année, 1,6 milliard d’euros sont dépensés dans les charges liées à l’exploitation des autoroutes ; 1,8 milliard, dans la modernisation, l’intégration environnementale et le développement des réseaux autoroutiers. Le reste - 1,8 milliard d’euros constitue les juteux bénéfices des groupes exploitants...

Le business est très rentable, mais pas encore assez pour Vinci & Co. Ces pros de la gestion autoroutière font tout pour réduire les coûts. En remplaçant les salariés aux péages par des machines, par exemple. De 2007 à 2011, le nombre de guichetiers a fondu, passant de 7 300 à 5 800 salariés, soit une réduction de 20% des effectifs. Efficace ! Et pourtant les concessionnaires ont réussi à faire financer une partie du développement du "télépéage sans arrêt" - et donc sans guichetiers !

C’est un service qui n’était pas prévu au contrat et qui a été décidé dans le cadre des investissements du Paquet vert. Cet ensemble de travaux, prévu par le Grenelle de l’environnement de Jean-Louis Borloo, a été financé par un allongement de la durée des concessions", justifie Pierre Coppey, président de Vinci Autoroutes et de l’Association des Sociétés françaises d’Autoroutes (Asfa).

Mais voilà, selon la Cour des Comptes, cette automatisation "correspond à l’intérêt du concessionnaire et aurait probablement été développée même en l’absence de compensation". Pourtant Vinci Autoroutes se défend d’avoir fait financer ses gains de productivité par la collectivité.

Nous nous sommes engagés à faire face à l’automatisation du péage sans licenciements ni mutations forcées. La reconversion du personnel de péage se traduit d’ailleurs chez Vinci Autoroutes par 10 millions d’euros par an investis dans la formation", explique Pierre Coppey.

Sur la sellette, les concessionnaires sont aussi accusés de dépenser le moins possible en entretien. "Tantôt ils effectuent les rénovations après cinq ans au lieu de quatre, tantôt ils utilisent des matériaux un peu moins coûteux sans que cela ne se voie trop", explique un haut fonctionnaire. Le soupçon fait bondir le lobby autoroutier. C’est faux, et d’ailleurs la Cour des Comptes n’en fait pas la démonstration - elle est impossible - car nous satisfaisons tous nos engagements", rétorque Pierre Coppey.

En 2010, pourtant, l’Etat a mis en demeure la société APRR (Eiffage) pour des décollements de revêtement de la chaussée. Fâcheux. Mais il est vrai que ces rappels à l’ordre sont peu fréquents. Les autoroutes françaises passent pour être bien entretenues et figurent régulièrement en tête des classements européens. Même si la Cour des Comptes déplore un manque de contrôle de la part de l’administration. L’Etat, même quand il est en mesure de réclamer des pénalités, ne le fait qu’"exceptionnellement".

Les sociétés d’autoroutes sont en position de force pour optimiser leurs recettes. Les hausses de tarifs, calculées à partir de l’inflation, n’ont pas cessé même quand les prix des biens et services ont diminué. Normal, car une telle baisse n’a pas été envisagée dans les contrats ! A partir de 2005, durant plusieurs années, les sociétés d’autoroutes ont pu pratiquer le "foisonnement", une technique imparable qui consiste à appliquer les plus fortes hausses sur les tronçons autoroutiers les plus fréquentés.

Selon le ministère des Transports, rien qu’en 2007, cette optimisation s’est traduite par une hausse du chiffre d’affaires aux péages comprise entre 0,19% et 1,35% en faveur des sociétés autoroutières. D’abord autorisé, le "foisonnement" a été banni en 2011. Mais la correction est considérée comme tardive et partielle par la plupart des experts. "Quand on enregistre une hausse de tarif une année, elle s’applique sur l’ensemble de la durée de la concession. Après vingt-cinq ans, quelques pourcents représentent des milliards d’euros", explique un banquier.


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