Patri Friedman... libertarien sans limite

vendredi 24 octobre 2014.
 

Le digne petit-fils de l’économiste ultralibéral Milton Friedman porte depuis dix ans l’ambition de bâtir « des pays Apple et Google ». 
Des villes flottantes sur l’océan, véritables paradis ultralibéraux sans gouvernement, ni État, ni démocratie, ni droit de vote. « Il y a tellement de choses importantes et enthousiasmantes que nous pourrions faire, mais nous en sommes empêchés parce qu’elles sont illégales », déplorait Larry Page, fondateur de Google.

C’est exactement ce à quoi Patri Friedman envisage de répondre, et ce n’est pas anodin que ce trentenaire ait fait ses premiers pas dans la vie professionnelle comme ingénieur logiciel chez Google. C’est à l’intention de ces patrons, dans le but de se débarrasser de tout carcan gouvernemental, pour innover à plein tube sans qu’une loi ou un impôt ne vienne les contraindre, que Friedman veut créer des cités autonomes, sans État, sur la mer. Patri Friedman est issu d’une lignée d’économistes pour lesquels la liberté ne doit avoir aucune limite. Ses grands-parents, Milton et Rose Friedman, sont d’ardents défenseurs du libéralisme, qu’ils ont théorisé jusque dans ses pires vices, comme le chômage naturel.

Son père, David Friedman, promeut une forme d’anarcho-capitalisme, où les lois, l’ordre et l’État deviendraient des produits privatisés. « L’influence de mon grand-père est génétique », explique Patri Friedman. « Nous sommes tous deux petits, et de fervents libertariens. » Le petit-fils est même plus radical que son aïeul, puisqu’il préfère la suppression pure et simple de l’État, ce qu’il entend bien réaliser dans des cités offshore.

C’est ainsi qu’il a fondé le Seasteading Institute, dans le but de rassembler des financements, et négocie actuellement avec le Honduras, qui pourrait envisager l’installation du projet au large de ses côtes. Un choix logique, puisque ce pays est dirigé par une droite ultralibérale, à la suite d’un coup d’État de l’armée qui a déposé Zelaya en 2009. Mais l’idée première de Patri Friedman était d’installer sa cité flottante dans la baie de San Francisco, puisque les libertariens sont plus qu’intimement liés à la Silicon Valley, cette oasis technophile coupée des réalités sociales où règnent l’ultra-individualisme et la recherche de la rentabilité à tout prix. D’ailleurs, dans l’esprit de Patri Friedman, parce qu’elle gagne des milliards de dollars, Google n’est-elle pas mieux gérée que les États, lourds et endettés  ? « J’ai la vision de dizaines de millions de personnes qui vivraient dans des pays Apple ou Google. Les géants des nouvelles technologies gouverneraient et leurs résidents n’auront pas le droit de vote. Si les gens sont libres d’aller et de venir, on peut développer des dictatures à succès », explique Friedman. Car si la liberté d’entreprendre ne doit pas avoir de limite, ces libertariens ne sont pas de grands démocrates.

« La liberté n’est pas compatible avec la démocratie », assène même Peter Thiel, devenu milliardaire pour avoir créé PayPal et principal mécène de Patri Friedman, en plus de financer des recherches pour devenir immortel. Si les pauvres ont envie d’être riches, 
il suffit qu’ils travaillent... L’organisation sociale voulue par Friedman est tout sauf démocratique. En pratique, l’idée est de rassembler des gens richissimes qui partagent cette même passion libertarienne. Friedman se défend de toute ségrégation sociale, assurant que son projet ne concerne pas que des millionnaires, mais le prix d’accès envisagé est tellement élevé, il évoque un tarif proche de celui du centre-ville de Londres – soit un minimum de 20 000 euros le mètre carré –, que la sélection serait forcément drastique. Les administrés vivraient dans des maisons flottantes, qui pourraient s’assembler et se désassembler selon les affinités.

Joe Quirk, porte-parole du Seasteading Institute, explique, enthousiaste  : « Imaginez que votre ville soit faite de pièces de Lego flottantes. On peut séparer et réassembler à volonté. Les systèmes politiques ne se formeraient que sur la base de gens qui ont envie de s’attacher ensemble. Lors d’un conflit politique, si on ne veut pas subir la décision de la majorité, on détache sa maison-bateau et on va ailleurs, avec des gens qui partagent votre avis, et vous formez une nouvelle nation. » On touche le fond de la pensée politique lorsqu’il résume sa vision ainsi  : « Si on vote avec sa maison, alors les gouvernements sont comme des entreprises, et les citoyens des consommateurs. Il y aura un marché des systèmes politiques, et les gouvernements devront être compétitifs et se battre, comme le font les entreprises, pour conquérir des citoyens. »

Friedman a d’énormes ambitions. Il entend créer un tel paradis de la créativité que les chercheurs et entrepreneurs y découvriront des traitements révolutionnaires contre les maladies, qu’ils trouveront des solutions aux défis écologiques, etc. En finir avec la pauvreté  ? Facile. Friedman prend l’exemple des îles Caïmans, de Hongkong ou de Singapour, qui étaient pleines de crève-la-faim avant de devenir des paradis fiscaux peuplés de millionnaires. L’individualisme n’a plus de bornes  : si les pauvres ont envie d’être riches, il suffit qu’ils travaillent et fassent des efforts pour y arriver, si d’autres ont envie de devenir esclaves, pourquoi les en empêcher, et si un milliardaire veut devenir un homme bionique immortel, ce doit être un modèle à atteindre. Les villes flottantes deviendront également le lieu de développement privilégié du transhumanisme, une idéologie renaissante portée par Peter Thiel ou par la direction de Google. Le but est de dépasser la nature humaine pour se débarrasser de la mort et de la maladie, et dans ses aspects les plus extrêmes, des « imbéciles » et des êtres jugés inférieurs.

Pierric Marissal, L’Humanité


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