Octobre 2014 : renouveau massif du mouvement social en Italie

mercredi 5 novembre 2014.
 

- B) 25 octobre 2014 : Manifestation massive à Rome contre la réforme du marché du travail

- A) Octobre 2014 en Italie : la saison des mobilisations (Ensemble)

B) Manifestation massive à Rome contre la réforme du marché du travail (AFP)

Des centaines de milliers de personnes ont défilé contre le projet du gouvernement italien, qui veut faciliter les licenciements et réduire les droits des salariés en début de contrat.

Des centaines de milliers de personnes ont manifesté samedi dans les rues de Rome pour dénoncer le projet de réforme du marché du travail de Matteo Renzi et rappeler au bouillonnant chef du gouvernement qu’il devait compter avec les syndicats. Selon les organisateurs, la manifestation à l’appel de la CGIL, le principal syndicat du pays, a mobilisé un million de personnes. Les forces de l’ordre n’ont pour leur part fourni aucune estimation.

Pour encourager les embauches afin de lutter contre le chômage, le gouvernement Renzi prévoit de faciliter les licenciements et de réduire les droits et protections des salariés dans leurs premières années de contrat. Le projet de loi de cette réforme centrale pour le gouvernement, appelé « Jobs Act », a été approuvé le 9 octobre par le Sénat - le gouvernement avait posé pour cela la question de confiance - et doit encore recevoir le feu vert de la Chambre des députés.

Drapeaux rouges

« Nous voulons du travail pour tout le monde, et du travail avec des droits. Nous manifestons pour ceux qui n’ont pas de travail, pas de droits, ceux qui souffrent, ceux qui n’ont aucune certitude pour l’avenir », a déclaré à la foule Susanna Camusso, secrétaire générale de la CGIL. « Nous sommes ici et nous n’allons pas en partir. Nous allons faire grève, et nous allons mobiliser nos forces pour nous battre afin de changer les politiques du gouvernement », a-t-elle ajouté en annonçant une nouvelle manifestation le 8 novembre.

En tête des cortèges qui ont sillonné la capitale italienne dans la matinée, des milliers de jeunes venus de tout le pays ont brandi les drapeaux rouges de la CGIL, en chantant l’hymne national. Le chômage des jeunes est actuellement de 44% en Italie, et la plupart des premiers emplois restent précaires. « Nous sommes ici pour dire que l’insécurité de l’emploi n’est pas notre destin. Nous voulons des investissements dans l’avenir », a lancé à la foule un jeune armé d’un mégaphone. « Nous n’avons pas l’intention d’abandonner. Renzi doit savoir que pour changer le pays, il a besoin de nous, ceux qui sont dans les rues de Rome aujourd’hui », a insisté Maurizio Landini, responsable du syndicat FIOM, qui avait relayé l’appel de la CGIL. Des « frondeurs » dans le cortège

Même s’il n’est pas rare de voir les Italiens descendre dans les rues pour faire entendre leur mécontentement, c’est la première fois qu’une manifestation si massive est tournée contre le Parti démocrate (centre gauche) de M. Renzi, historiquement lié aux syndicats. Le parti lui-même est divisé sur les mesures proposées, en particulier sur une éventuelle refonte de l’article 18 du code du travail - un symbole social très fort en Italie - qui protège des licenciements abusifs.

Même si l’essentiel n’est pas dans le texte de loi mais dans les décrets d’applications qui suivront, beaucoup de voix au sein des syndicats et de la gauche accusent M. Renzi de chercher à brader les droits des salariés. Et alors que le chef du gouvernement était samedi à Florence pour la « Leopolda », une réunion annuelle qu’il a instaurée en 2009 pour inviter responsables et public à dialoguer de l’avenir du pays, plusieurs « frondeurs » du PD ont choisi de défiler à Rome.

« J’ai un grand respect pour cette manifestation », avait déclaré M. Renzi avant le rassemblement, « mais l’époque où une manifestation pouvait bloquer le gouvernement et le pays est révolue ». M. Renzi table en effet sur la crédibilité de son programme de réforme pour essayer de faire passer auprès de Bruxelles un projet de budget plus expansif que prévu, alors que le pays s’attend à une nouvelle année de récession en 2014 et que le ratio dette publique/PIB devrait dépasser 133% en 2015. AFP

A) Italie : la saison des mobilisations (Ensemble)

La semaine du 12 au 19 octobre a vu se dérouler, en Italie, de nombreuses manifestations contre la politique austéritaire du gouvernement de Matteo Renzi. A l’occasion des débats au Sénat et à la Chambre des Députés autour de l’adoption des principales mesures de « libéralisation » et de précarisation du marché du travail, le mouvement social italien se réorganise autour des positions syndicales et des tentatives de recomposition de la gauche radicale. Une première étape décisive sera la manifestation nationale à Rome le 25 octobre.

Sous la banderole « Education gratuite, travail rémunéré », une série de manifestations étudiantes (plus de 100 000 personnes au plan national, 30 000 à Rome) a eu lieu le 10 octobre, pour protester à la fois contre les réformes du droit du travail et contre les réformes du système éducatif ( la Buona Scuola) visant à rapprocher l’école et l’entreprise, à élargir les partenariats publics-privés dans l’éducation et à diminuer de manière drastique le nombre d’enseignants précaires. Une semaine plus tard, à l’appel de la FIOM (fédération de la métallurgie de la CGIL), ont lieu des grèves et des manifestations massives à Terni (en soutien de travailleurs de la Thyssen menacée de fermeture), à Bologne, à Turin, où la police n’hésite pas à charger la fin du cortège syndical.

Cette semaine a été celle de l’examen, en première lecture, par le Sénat Italien, des dispositions de modification du marché du travail, prévues par le Jobs Act, pierre angulaire des réformes libérales annoncées au printemps par Matteo Renzi. Il s’agit, en résumé, d’une loi cadre, pour laquelle seuls les principes seront adoptés par le Parlement, alors que le Gouvernement sera responsable de produire les décrets correspondants. Il ne s’agit de rien de moins que de détruire totalement les éléments constitutifs du Statut du Travailleur, adopté en 1970. L’objectif premier de ce texte est de faire sauter tous les obstacles à la précarisation, et, en particulier, l’Article 18, qui prévoit la réintégration des travailleurs licenciés en cas de licenciement individuel déguisé en licenciement économique ou en cas de licenciement qualifié par la justice d’injustifié ou d’illégitime. La suppression de l’Art 18 irait de pair avec la mise en place d’un contrat de travail « unique » du type de celui que suggère notre récent Prix Nobel, Jean Tirole, un « contrat à durée indéterminée à garanties croissantes ». On croit rêver quand on sait ce que cela signifie en réalité : une période d’essai de trois ans ! Rajoutons encore l’abolition de l’interdiction du contrôle à distance du travailleur par des moyens de télésurveillance et la possibilité de déqualifier un travailleur ( en terme de qualification du travail effectué et de la rémunération correspondante) en fonction des besoins de la production, et on comprendra pourquoi la mobilisation va croissante autour du mot d’ordre unificateur : Travail, Dignité, Egalité.

Alors que le Sénat vient d’adopter ce texte (seuls trois sénateurs du Parti Démocrate, que chez nous on appellerait « frondeurs », s’y sont opposés), la FIOM, sous l’impulsion de son secrétaire général, Maurizio Landini a impulsé une série de débats, de grèves et de manifestations d’ampleur, devant déboucher sur une manifestation nationale à Rome le 25 octobre à l’appel de la GGIL. Devant le succès croissant des mobilisations locales ou sectorielles, la direction nationale de la CGIL, sa secrétaire générale, Susanna Camusso, déclare que « ce processus doit mener à la grève générale ». Ceci montre l’importance acquise dans le paysage syndical italien par une forme nouvelle de syndicalisme de lutte que l’on retrouve aussi bien à la CGIL, à travers la FIOM ou des courants comme « il sindacalismo è un altra cosa » qu’à travers des structures comme l’Union Syndicale de Base, ou les Cobas, indépendantes des directions syndicales traditionnelles.

Un débouché politique ?

La manifestation du 25 octobre et les mobilisations qui la précèdent, comme la grève nationale impulsée par l’Union Syndicale de Base, le 24, représentent une étape importante dans la constitution d’un front d’opposition à l’ensemble de la politique de Renzi. Toutefois, ce processus n’est pas exempt de contradictions. Fort des 800 000 adhérents de la FIOM, sur la base de sa dénonciation sans concession des réformes libérales en cours, Maurizio Landini apparaît comme une personnalité rassembleuse. Malgré ses affirmations répétées de vouloir se cantonner au terrain syndical, il a participé, en septembre, à la fête de la jeunesse de Syriza, à Athènes , aux côtés d’Alexis Tsipras et de Pablo Iglesias de Podemos. Et il s’engage, avec Nichi Vendola de SEL (Socialisme,Ecologie et Liberté) et P. Civati ( de l’aile gauche du PD) dans un « pacte pour les droits et le travail ». Toutefois, cette proposition ne saurait représenter le débouché politique nécessaire à la recomposition de la gauche radicale italienne, dans la mesure où elle ne pose pas clairement la question de la rupture avec la politique de Renzi, avec l’austérité imposée par la troïka et de l’autonomie totalement assumée avec le PD, tant au niveau national que local.

De nombreuses initiatives, parfois concurrentes, parfois complémentaires, ont vu le jour depuis les élections européennes et le succès, en termes électoraux au moins de la liste l’Altra Europa. Après une Assemblée Nationale des comités locaux, en juillet 2014, aucune forme d’organisation commune n’a encore pu être actée et les comités continuent à exister en tant lieux de débats et de confrontations à l’échelon local. Toutefois, l’équipe militante à l’origine de la liste l’Altra Europa, composée de responsables de Rifondazione et de Sel continue à faire vivre le projet, dans les mobilisations et les luttes en cours. L’objectif est d’en faire un des pôles autour duquel peut s’agréger la gauche radicale, notamment dans la constitution de listes autonomes par rapport au PD dans les élections régionales à venir à l’automne 2014 et au printemps 2015. C’est le cas, par exemple en Emilie-Romagne, en Calabre et dans les Pouilles.

D’autres échéances sont annoncées, qui permettront de faire converger les initiatives politiques, syndicales et plus généralement du mouvement social. Une manifestation unitaire, dépassant le cadre syndical, sera organisée le 29 novembre, contre l’austérité et la troïka Renzi, Juncker, Draghi. D’autres mobilisation sont en construction, pour s’opposer aux projets de révision constitutionnelle de Matteo Renzi, ou aux grands projets inutiles et imposés. Lors de chacune de ces échéances, le débat s’approfondit au sein des organisations politiques comme SEL ou Rifondazione qui représentent encore une réelle présence militante sur le terrain mais qui sont conscientes de la nécessité de leur dépassement pour pouvoir donner vie à des nouvelles formes organisationnelles inspirées tant de Syriza que de Podemos. D’autre forces politiques, comme Sinistra Anticapitalista, d’autres regroupements, comme Ross@, sont également partie prenante de ces débats, de ce processus. Mais la constitution d’un « nouveau sujet politique » ne pourra intervenir qu’en relation avec le développement des mobilisations axées autour des questions centrales du travail, de l’austérité et de la crise démocratique.

Mathieu Dargel


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message