Du jamais vu : gouverner sans majorité parlementaire

lundi 10 novembre 2014.
 

C’est le bilan du vote sur le budget de la Sécurité sociale. Certes il a été adopté par l’Assemblée nationale. Mais avec seulement 270 voix pour. Or la majorité absolue de l’Assemblée est de 289 voix. Dans quel autre pays « démocratique » du monde un budget est-il adopté sans qu’une majorité de parlementaires l’ait voulu ? Surtout quand la conséquence est un rude coup porté à un monument de notre mode de vie : la Sécurité sociale.

Les votes se suivent et se ressemblent. Sur le budget de la Sécurité sociale : 270 voix pour, 245 contre et 51 abstentions. Une semaine plus tôt, mardi 21 octobre, les recettes du budget de l’Etat avaient été adoptées par un score quasi identique : 266 voix pour, 245 contre, 56 abstentions. A chaque fois, le gouvernement Valls est très loin d’obtenir la majorité absolue des 577 députés. Il gouverne sans majorité absolue. L’Assemblée nationale doit encore adopter les dépenses du budget de l’Etat. Le vote aura lieu le 18 novembre, après l’examen des dépenses par domaines. On va voir Valls manœuvrer pour obtenir une majorité sur les dépenses de chaque ministère, selon les oppositions et les abstentions dans son camp. Plus d’une trentaine députés PS et 14 députés Europe Ecologie sur 17 n’ont pas soutenu le gouvernement ni sur le budget de la Sécurité sociale ni sur les recettes de l’État. Ils ont préféré s’abstenir. Ce mardi, il y a 49 abstentions « de la majorité présidentielle » sur le budget de la Sécurité sociale dont 34 députés PS. La semaine précédente, il y a même eu jusqu’à 56 abstentions parmi les députés « de cette majorité » dans le vote des recettes de l’Etat dont 39 députés PS. A chaque fois, les députés du Front de Gauche et Isabelle Attard, de Nouvelle Donne, ont voté contre. Si les frondeurs avaient voté « contre », aucun des deux budgets n’aurait été adopté. En s’abstenant, ils privent Valls de la majorité absolue. Mais ils laissent passer les budgets alors qu’ils pourraient l’empêcher. Dès lors quel est le sens politique de ce vote ?

Pourtant le budget de la Sécurité sociale doit être combattu. La symbolique de l’abstention est très mal adaptée à une situation de régression provoquée qui n’a vraiment rien de symbolique. Pour au moins trois raisons. Le budget de la Sécu est une pièce centrale dans le plan d’austérité de Manuel Valls. D’ici 2017, 21 des 50 milliards d’euros de coupes budgétaires prévus seront effectués dans le budget de la Sécurité sociale. Pour 2015, ça commence même encore plus fort : la Sécurité sociale va supporter la moitié des 21 milliards d’euros de coupes dans les budgets publics. Derrière ces chiffres, il y a une réalité sociale : des hôpitaux davantage soumis aux restrictions budgétaires, les pensions de retraite gelées, l’application de la nouvelle convention d’assurance-chômage plus restrictive pour les intermittents et intérimaires notamment…

Ces coupes marquent aussi la fin de l’universalité des allocations familiales. C’est un des points les mieux mis en scène dans le budget de la Sécurité sociale. Dorénavant, tous les enfants ne donneront pas droits aux mêmes montant d’allocations. Pour un couple avec deux enfants, les allocations seront divisées par deux à partir de 6 000 euros de revenus et par quatre à partir de 8 000 euros. Je sais que de bonne foi, certains trouvent cela « juste ». L’enfumage du gouvernement est là pour ça. Mais c’est en réalité un changement total de principe dans notre pays. Je continue d’affirmer que chacun doit toucher les mêmes allocations. La nécessaire justice doit être pratiquée au moment du prélèvement des sommes par les impôts et cotisations. Pas au moment du versement des allocations. L’idée est que chacun contribue selon ses moyens et reçoit une même prestation. Sinon, demain cotisants ou contribuables les mieux dotés seront en droit de remettre en cause une contribution devenue de pure solidarité plutôt que d’avantage acquis commun. C’est mettre le doigt dans un engrenage qui finira par broyer tous les droits universels. Demain, au gré des coupes budgétaires, un gouvernement baissera le plafond de ressources pour avoir droit aux allocations, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des miettes pour les plus pauvres. Et progressivement, la même logique se développera pour les allocations chômage, pour les remboursements de soins par la Sécurité sociale. Une fois de plus la perversion des mots joue à plein son rôle d’empêchement de la pensée. C’est maintenant au nom de « l’égalité » qu’est mis en cause l’acquis social. Comme dans le cas du CDI dont on entend dire qu’il « crée » de « graves inégalités avec le CDD ». Et dans ce cas c’est toujours par un nivellement par le bas que se fait « l’égalité » annoncée.

Oui, il fallait rejeter ce budget de la Sécurité sociale ! C’est le premier budget annuel d’après le pacte de responsabilité adopté cet été. C’est-à-dire après la nouvelle série de cadeaux au MEDEF décidée par Hollande. Un exemple bien parlant se trouve dans ce train de mesure. Il s’agit de la baisse des cotisations sociales payées par les employeurs. Mais plus provocante encore est la suppression progressive de la « C3S ». Il s’agit d’une cotisation payée par les entreprises réalisant plus de 760 000 euros par an de chiffres d’affaires pour financer le régime social… des indépendants et le fonds de solidarité vieillesse. La solidarité patronale est abolie, à la demande… du MEDEF. Les salariés vont donc payer une cotisation pour les petits patrons, à la place des patrons ! Ces deux cadeaux représenteront plus de 15 milliards d’euros par an de manque à gagner pour la Sécurité sociale lorsqu’ils tourneront à plein régime, en 2017. Là encore, la mécanique infernale est déjà à l’œuvre. Après avoir décidé d’appauvrir la Sécurité sociale, les partisans de l’austérité viennent nous expliquer qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses et qu’il faut renoncer à indemniser les chômeurs, rembourser les malades, à augmenter les petites retraites ou combien d’autres choses qui permettent souvent seulement de survivre. Ils recommenceront demain.

Pendant ce temps, personne ne demande au gouvernement et au MEDEF comment lutter contre la fraude des patrons qui ne paient pas les cotisations sociales : heures supplémentaires non déclarées, travail au noir, utilisation frauduleuse du régime de détachements travailleurs… Pourtant, selon un récent rapport de la Cour des comptes, cette fraude a doublé entre 2007 et 2012. Cette fraude patronale à la Sécurité sociale est estimée à 20 à 25 milliards d’euros par an ! C’est deux fois le montant du déficit de la Sécurité sociale, attendu en 2014 autour de 11,7 milliards d’euros. Dit autrement, sans la fraude patronale, il n’y aurait pas de « trou » de la sécu ! C’est aussi 5 à 10 fois le montant de la fraude aux prestations sociales dont on parle pourtant beaucoup plus. Tel est le monde des fripons qui, de la Commission européenne aux palais de la monarchie présidentielle, gouvernent au mépris du grand nombre des gens simples qui les croient utiles au bien commun.


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